Julien était assis à la table de la cuisine, en train de prendre son petit-déjeuner, lorsque Léa, sa femme, arriva :
« Salut, bien dormi ? demanda-t-elle après un long bâillement.
-Oui », répondit-il machinalement.
Mais en vérité, il mentait. Il avait fait un rêve assez étrange : un homme décharné, couvert de cicatrices, marchait au milieu de la voie rapide, aux alentours de la zone industrielle, d'un pas pressé, comme s'il était sûr de sa destination et qu'il avait hâte d'y être. Mais le plus étrange était son visage. Il était un peu flouté, mais Julien pouvait distinguer une longue trainée de sang partant du coin de sa bouche et descendant jusque dans son cou.
Le reste de la journée passa sans que Julien ne puisse détacher ses pensées du rêve qu'il avait fait. Ce rêve n'était qu'un cauchemar, seulement, il lui paraissait si réel et lui procurait une étrange impression de malaise qu'il n'aurait su décrire.
Le lendemain, Julien se réveilla en sursaut. Il venait de faire un nouveau rêve qui avait un étrange rapport avec le précédent : le même homme était en train de marcher devant un parc où les enfants le regardaient avec effroi. Cette fois-ci, son visage apparaissait plus clairement dans la tête de Julien. Ses yeux affichaient la haine mêlée à une expression de folie et ses dents étaient jaunes. Julien ressentait toujours une étrange sensation, comme si cet homme représentait un danger pour lui.
Le soir, Julien se couchait de plus en plus tard car il avait l'impression qu'il referait le même rêve jusqu'à ce que l'homme atteigne sa destination. Et effectivement, il n'arrivait pas une nuit sans que Julien retrouve cet homme bizarre en train de marcher. Le décor autour de lui changeait à chaque fois : parfois une autoroute, parfois la rue d'une ville remplie de gens qui s'écartaient sur son passage ou encore une aire de jeux.
Julien ne supportait plus de faire tout le temps le même rêve mais il ne voulait pas le raconter à Léa. La journée, il était de plus en plus fatigué et les images de l'homme devenaient de plus en plus réelles.
Jusqu'à ce qu'arrive cette nuit-là.
C'est à partir de ce moment-là que Julien commença à ressentir une réelle angoisse. Il avait encore rêvé de l'homme, mais cette fois, c'était différent. Il avait reconnu en arrière-plan les immeubles gris qui précédaient l'entrée de la voie rapide...
...l'homme se dirigeait en réalité vers la ville où Julien habitait.
Julien priait pour qu'il arrête de toujours rêver de la même chose, mais ce rêve recommençait à chaque fois, l'homme avançant toujours plus en plus loin dans la ville.
Julien pensait à voir un psy pour essayer d'arrêter de faire ce rêve mais en même temps, il éprouvait une envie, comme de la curiosité, de connaitre la destination de cet homme. Il ne dit donc rien à personne, gardant ce secret pour lui sans savoir si c'était la meilleure chose à faire.
Mais une nuit, Julien vit une chose qui l'interrogea autant qu'elle l'inquiéta : l'homme de son rêve s'était engagée dans la ruelle à côté du théâtre que Julien empruntait souvent lorsqu'il était enfant et que ses parents l'emmenaient voir un spectacle. Mais elle était barrée par une ficelle rayée rouge et blanche signalant que des travaux bloquaient la route, et lorsque cet homme avait levé son bras pour écarter la ficelle, Julien avait reconnu sur son avant-bras une longue cicatrice blanche sur sa peau mate.
Son oncle avait la même. Son oncle qui, dans un accès de folie avait tué sa femme et sa fille, donc la cousine de Julien, puis s'était suicidé en se jetant du haut de son balcon du septième étage.
Julien ne l'avait pas reconnu avant car il allait très peu chez lui mais les quelques fois où il l'avait vu, il avait remarqué cette longue cicatrice dont il ignorait l'origine. Mais quand le double meurtre s'était produit, Julien avait été traumatisé par son oncle qui avait eu l'air si gentil avec lui et qui se révéla être un homme fou. Fou à un tel point qu'il en était arrivé à tuer sa propre famille puis à mettre fin à sa vie.
Julien essaya de se rassurer en se disant que son oncle était mort et que ces rêves n'étaient pas réels.
C'est alors qu'une nuit, l'homme marcha au milieu de l'allée qui menait jusqu'à la maison, un couteau à la main. Il s'engouffra dans le petit jardin planté de magnifiques tulipes violettes mais presque invisibles dans cette nuit noire. L'oncle s'avança sur le chemin de pierre qui menait jusqu'à la porte de la maison de Julien.... Arrivé devant, il frappa à grands coups de poing le battant, jusqu'à ce que la porte s'ouvre sur une femme brune qui afficha une expression d'horreur lorsqu'elle vit l'homme armé qui se tenait en face d'elle. Elle essaya de refermer la porte, mais le pied de l'homme vint la bloquer et il entra dans la maison en brandissant son couteau. La femme hurla mais ses cris furent étouffés lorsque la main de l'homme se referma sur sa bouche et la plaqua contre le mur. Puis, d'un geste vif, l'homme enfonça la lame du couteau dans le ventre de la femme qui s'affaissa contre le mur, et s'effondra sur le sol quand il la lâcha. Elle poussa des cris d'agonie.
Soudain, Julien se réveilla : il avait entendu des cris et des hurlements. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il était penché sur le corps de sa femme. Il remarqua qu'il tenait un couteau à la main et que ses habits étaient tâchés de sang. « J'ai tué ma propre femme » se dit-il. Il comprit qu'il était devenu fou et un criminel, comme son oncle et qu'il ne méritait pas de vivre. Alors, il referma sa prise sur le couteau et se transperça le cœur avec.