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Dans nos mains
Anne-Marie Puyhardy
Tout a commencé un jour, en montagne.
C'était une rando-balade. Adultes et ados, à notre rythme.
Tous les âges, tous les métiers. Avec même une spécialiste de science atomique. Un ciel très clair, une montagne très verte chapeautée de neige comme de chantilly. L'ombre des arbres le long d'un torrent qui cascade.
Il était là sous les buissons, un gros vilain bout de carton. Avec des couleurs très criardes. Il faisait tache, c'était très laid. J'ai détourné les yeux en passant à côté.
Tout le groupe est passé à côté, avec en dernier notre physicienne. Elle s'est penchée vers le carton et elle l'a ramassé. Elle l'a gardé dans sa main deux heures entières. Jusqu'au retour dans la vallée.
Depuis, je ramasse quand je vois quelque chose par terre.
Je ramasse les canettes, je ramasse les papiers. Je ramasse les plastiques.
Je ramasse autant que mes mains peuvent tenir, jusqu'à la prochaine poubelle. Parfois, je ramasse un sac en plastique, puis je le remplis. Souvent, j'emmène un sac avec moi, dans ma poche.
Cela agace mes parents, cela agace mes amis. Mais, je m'en fiche.
Si une spécialiste de science atomique peut ramasser des déchets par terre, je peux le faire, moi aussi.
Puis mes copains ont commencé à ramasser, à leur tour.
Un oncle qui est très âgé, et a du mal à se baisser, s'est acheté une sorte de pince. Quand nous nous promenons ensemble, il ramasse quelques objets. Avec lenteur et dignité.
- Tu m'inspires, il a dit.
Et mes enfants s'y mettent aussi. Avec naturel, sans rien dire. C'est juste que c'est contagieux.
Je suis allé à la plage, l'été. Sur ces immenses plages landaises. Parfois, il n'y a personne. Un ou deux jeunes qui font du surf.
Je ramasse aussi sur la plage. Le naturisme est toléré, je reste donc vêtu de vent. Je prends ce que mes mains peuvent porter.
Mes amis surfeurs en font autant. Depuis bien plus longtemps que moi, ils rassemblent au pied des dunes bidons, cordages et bouteilles. Puis chacun prend selon ses forces, vers des poubelles fort lointaines.
A vélo et habillés, évidemment.
Il y a quand même, et surtout, plastique, plastique et plastique.
Comme dans ma poubelle, en fait.
On en fait quoi, de ce plastique ? Il part en fumée, ou on l'enterre.
Tu veux acheter un yaourt ? Plastique. Un morceau de viande, ou du lait ? Plastique, plastique et plastique.
J'ai voulu faire des yaourts, pour garder les mêmes pots en verre. Ils sont pas mal, ils sont moins chers. La famille n'a pas l'habitude.
Et les bouteilles de lait : plastique. Encore, on peut les recycler. Du moins, avant l'invention d'une super-saloperie de plastique : le PET opaque. Le PET opaque se recycle pas, et pourrit les autres plastiques. Il coûte moins cher, il est partout. J'ai appris à le reconnaître, il est brillant. Il emballe aussi du lait bio ! Si la bouteille de lait attire plus votre œil qu'une autre, elle est en PET opaque. Il est plus lisse, plus fin, plus brillant que le PEHD.
Regardez donc sous la bouteille :
Si vous voyez le chiffre 2 (dans un triangle ou pas) ou la mention HDPE ou PEHD, c'est OK. S'il y a le chiffre 1, ou rien, si l'étiquette de la bouteille vante ses « 15 % de plastique en moins » (sournois, n'est-ce pas ?) c'est du PET opaque non recyclable. Pas pour moi.
J'ai acheté des sacs en tissu. J'en ai même cousu quelques-uns, dans un vieux rideau de mousseline. J'y range mes légumes, et fruits. Des produits en vrac quelquefois.
Parce que les sacs, c'est du plastique. Et en plus les sacs coûtent cher. Je le vois sur le prix au kilo. C'est bien moins cher en vrac, souvent. (Mais, pas toujours !)
Maintenant quand je fais les courses, j'ai l'impression de réfléchir. Je trouve que parfois, ça fatigue. Le prix au kilo, la liste d'ingrédients : je renonce à acheter, parfois. Les produits mélangés, surtout : les produits au poisson qui contiennent très peu de poisson, les « boulettes de viande » pareil.
« L'agriculture UE et non UE » : qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Que les produits viennent du monde entier ? Qu'on ne sait pas cultiver un cornichon dans ce pays ?
Qu'il faut chercher du miel en Chine ? Et en plus, souvent, c'est pas du miel, c'est juste du sucre coloré. Avec quelques grains de pollen. Histoire de faire illusion en cas de contrôle au microscope.
C'était plus simple, avant. J'entassais tout dans le caddie, je balançais tout dans la même poubelle, verre compris.
Et puis on a trié le verre.
Et puis j'ai fini par comprendre, le bon déchet est celui qu'on ne produit pas. Même en verre, en réalité.
J'ai récupéré mes bocaux, j'ai moins acheté de bouteilles. Moins, mais du meilleur, surtout pour le vin. On s'est pas plaint, à la maison.
Je regarde d'où viennent les choses. Je veux bien acheter du bout du monde, des bananes ou du café. En attendant d'en produire en Lorraine suite au réchauffement climatique.
Mais des cornichons, du poulet...
Au fait il a vécu comment, ce poulet ?
En Argentine, bourré d'hormones et d'antibiotiques, dans un bagne pour volailles avant de faire le tour du monde ?
Dans un bagne pour volailles local ?
Dans la cour du fermier du coin ? OK pour manger et être mangé, c'est une loi de la nature.
Pas OK pour faire souffrir une bête sa vie durant, dans le seul but de la bouffer.
Ça veut dire : pas de plats préparés où se trouverait du poulet. Parce que dans les mélanges, on perd la trace. Souvent.
Ça veut dire pas d'œufs produits par des bêtes enfermées en cages, de la surface d'une feuille A4. On reconnaît les œufs à leur numéro. 3 = œufs de poules élevées en cage. 3, c'est niet.
Ça veut dire des arbitrages.
Concernant ces mammifères, qui nous ressemblent biologiquement. Ces « êtres sensibles », selon la loi.
Mouton ( « agneau de belle taille ») néo-zélandais, pourquoi pas : c'est un élevage « extensif », c'est-à-dire en liberté. Mais la viande fait le tour du monde, dans des cales réfrigérées. Ça me fait pas vraiment envie.
Le cochon élevé dans un bagne à cochons, non plus.
Le « bœuf » de supermarché ? Des vaches épuisées par la production de lait.
Donc du lait bio pour que les vaches soient dehors et mangent de l'herbe. C'est la vie normale pour une vache. Et le goût du lait est meilleur.
Dans des bouteilles sans PET opaque. Ou dans des briques en carton. En rêvant de bouteilles consignables, faites-moi signe si vous en trouvez.
J'ai été membre d'une AMAP. Association pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne.
J'ai eu du mal à manger du chou tout l'hiver. J'ai arrêté.
J'ai commencé à cuisiner. Un peu. Faire des spätzle, c'est facile.
A manger des lentilles, des pois et des haricots. Il n'y a pas que la viande dans la vie. Entre le budget et le gras j'en mange moins, mais mieux.
Je me suis inscrite à la Graoucoop de Metz. C'est une épicerie coopérative. Je donne chaque mois trois heures de mon temps. J'accède à des produits moins chers. Fruits et légumes bio et locaux. Sans compter la boulange ! J'aurais pu m'inscrire juste pour leur pain.
La coopérative s'agrandira en 2024. Plus de choix, besoin de plus de bras aussi. Vous êtes bienvenu.e.s si ça vous inspire.
Je ne parle pas des vêtements. Là aussi, j'ai changé : moins, et mieux. Je me lance à retoucher taille ou ourlet. Faut oser, c'est tout.
J'ai acheté un vélo. Je me suis ramassé la gueule avec. Une fois en dix ans. Je suis remonté dessus, et je fais davantage gaffe. J'ai un bon casque, des gants, une veste fluo et des lumières qui marchent. Le vélo me maintient en forme. Je fais plus jeune que mon âge en termes de puissance physique. Technologiquement, je maîtrise. Du moins, je pourrais maîtriser.
Et si l'histoire c'était reprendre un peu de pouvoir sur les choses ? Pas pour tout, et pas tout le temps. Mais « une marge de liberté ».
J'ai commencé à tirer un fil, un jour. Sur une route de montagne.
Il m'a fallu toute une vie pour dérouler cette pelote.
Je vous souhaite de comprendre plus vite que moi. Je nous souhaite d'aller plus loin. Ensemble. « Tout seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin. »