Toute histoire commence un jour, quelque part. Mettre le doigt sur le moment précis où tout a débuté ne vient qu’après coup, quand, encore groggy par le choc des émotions et des rebondissements, le protagoniste se recueille en lui-même pour réfléchir à ce qui lui arrive. Pour raconter son histoire à soi-même ou aux autres, l’esprit doit être clair, les mots précis, l’introspection profonde. C’est fouiller dans les moindres recoins de son âme pour y déloger les lambeaux de noirceur subsistant des flammes de l’émoi que l’on voulait laisser reposer à l’ombre du déni. Raconter c’est forcément prendre parti, livrer une sensibilité, une interprétation ; la richesse d’une histoire c’est qu’elle en comporte mille autres.
Une question me place au début du carrefour, l’attente de la réponse me fait enfourcher une monture qui me mènera au bout de l’épopée.
« Est-ce que l’on décide de faire une partie du chemin de notre vie ensemble ? »
La réponse ne représente finalement qu’un petit pas, un saut hésitant et timide dans le fleuve, en préférant oublier qu’il se jette dans la mer. Il n’y a pas de petit saut, pas de petites enjambées et surtout pas de décisions insignifiantes. Le moindre choix est un usage du pouvoir vertigineux qu’est la liberté et le coup de baguette le plus inoffensif peut avoir des remous inattendus. Peu importe que ce pouvoir revête le nom de destin, hasard, coïncidence ou même Dieu, il n’en demeure pas moins lourd de sens et de responsabilité.
« Est-ce que l’on décide de faire une partie du chemin de notre vie ensemble ? »
La question résonne dans le silence qui s’est installé entre nous. Elle est partout, palpable. Elle parfume l’air qui nous entoure, elle teint le paysage environnant, l’écho du vent la murmure à nos oreilles, la cadence du pas des passants la martèle, et chaque regard croisé au hasard semble attendre une réponse.
Il fuit mon regard et je fuis le sien. Essayer de s’aimer n’est pas sans gêne, hésitation et fuite de l’autre. Soudainement, c’est la révolte : nous voulons nous différencier, affirmer notre identité, retrouver le nid douillet du soi. Nous mourrons tous les deux d’envie de partir en courant, de laisser notre destin entre les mains du hasard, de tirer les cartes, de jeter les dés, de demander à un parfait inconnu, de laisser la question à la faveur de la démocratie, de s’en remettre au peuple, pour entourer notre décision individuelle d’une légitimité quelconque, aussi absurde et incongrue qu’elle soit. Que ne ferions-nous pas pour nous dérober à la responsabilité qui nous incombe ? Pouvoir assigner le blâme à un autre qu’à soi-même, voilà qui est rassurant. La souffrance d’un échec n’en sera que plus supportable.
Mais quelle idée de penser à la chute alors que nous sommes au bord du vide ! Il semble irrésistible de regarder en bas au bord de la falaise ou du haut d’une tour, comme si l’on cherchait volontairement à se faire peur pour s’assurer que l’on ne sautera pas, ou qu’au contraire le vide exerçait une fascination presque malsaine et nous appelait. J’ai toujours eu peur du vide que j’associe au néant, à la mort, à l’absence de sensations, à la torpeur. J’imagine pourtant l’amour à l’opposé de cela, est-ce ici la preuve du lien étroit, presque intime qui attache ces deux tendances ?
Je peux affirmer de manière quasiment certaine que je n’ai jamais connu l’amour. D’aucuns diraient que je le saurais si je l’avais connu. Ce discours revient souvent chez ceux qui vivent un amour profond et épanouissant, leurs yeux semblent animés d’une mystérieuse béatitude qu’ils expliquent par le simple fait « qu’ils ont su ». Une forme d’évidence transparaît de ces illuminés magnifiques, une révélation qui frappe et que l’on ne peut ignorer. Est-ce à ce point catégorique ? Deux camps s’opposent : les croyants et les sceptiques. Je pense appartenir aux seconds bien que j’aspire à être des premiers. Leur beauté séduit et leur bonheur est si enviable. Pourtant j’ai bien une conception de l’amour où l’intimité et l’amour s’entremêlent. Je me suis parfois demandé si elle n’était pas trop idéale pour être rencontrée dans la réalité. Elle est ce secret, cette magie que les amants ne partagent qu’entre eux ; l’un croise le regard de l’autre dans la foule en se délectant de posséder quelque chose qui n’appartient qu’à eux. Les effluves de la nuit, des corps et des esprits enchevêtrés les suivent partout où ils vont, nimbés d’un halo mystérieux.
Nous nous quittons sur la promesse de nous revoir le lendemain, comme si vingt-quatre heures et une nuit de sommeil pouvaient nous apporter la clairvoyance qui nous échappe dans l’instant. En réalité, je crois que nous rêvons tous les deux de nous retrouver avec nous-mêmes et d’analyser le météore qui vient de tomber dans notre atmosphère.
Je pensais naïvement qu’une sagesse soudaine nous aurait murmuré des mots apaisants et guidé vers la bonne alternative. Mais l’appréhension est toujours là et nous décidons de ne pas décider. L’absurdité de la situation me frappe : choisir de ne pas choisir. Un laissez-faire, un entre-deux qui me laisse sûre d’à peu près rien. Nous pourrions couler comme accoster saufs sur le rivage que je n’y serais pour rien, jouant pour seul rôle celui du regard impuissant.
Cette situation accélère mon rythme cardiaque et ma respiration sans raison apparente. Comment expliquer cette angoisse alors que je ne suis engagée à rien, que je ne suis liée par aucune chaîne ? Je ressens une pression qui n’a rien à faire là, une intruse indésirable. Mon corps et mon esprit me crient que cela ne devrait pas se passer comme ça, que cela devrait être beaucoup plus simple. Mes réactions physiques tentent-elles de me dire que cette décision n’est pas la bonne, que cette situation ne devrait pas être ? Pourquoi cela semblait-il tellement plus simple, plaisant et attirant quand ce n’était qu’une potentialité, une vague perspective ? Pourquoi ai-je la désagréable impression de ne plus m’appartenir ? Cette réticence à me donner semble me paralyser à chaque fois que la connexion est sur le point de devenir trop intime et personnelle à mes yeux, peut-être déformés par la peur de me perdre et d’être piégée. Une question me hante et me pousse à vouloir essayer pour me faire violence et me prouver que je peux vaincre cette peur stupide : cela sera-t-il le cas à chaque fois qu’un être manifestera son envie d’être avec moi, de manière plus complète et absolue que je ne l‘ai jamais été ? D’où vient cette réticence à être possédée ? D’où vient cette volonté viscérale de n’appartenir qu’à moi-même, et de ne me livrer qu’aux compte-gouttes ? Est-ce égoïste ou un instinct de préservation trop développé et encombrant ? Est-ce que je ne veux pas me donner par peur de me perdre, de perdre de que j’ai construit si lentement, ce fragile édifice du soi ? Ou bien ai-je été trop habituée à rester en moi et à moi que j’ai peur de me quitter, de laisser quelqu’un d’autre entrer ? Il fait froid dehors et pourquoi aurais-je besoin de bras étrangers pour me réchauffer ? Sauront-ils me réchauffer autant que j’en aie besoin ? Si ces bras étrangers m’effraient, ne devrais-je pas les fuir ?
Je ne peux me garder jalousement pour moi-même à jamais au risque de devenir folle. En témoigne le bien et le bonheur que je tire des liens profonds que j’ai tissés avec quelques personnes. Je ne pourrais me passer d’elles car être sans elles c’est être moins moi-même. Un lien si fort et exclusif avec une seule personne est forcément plus difficile à trouver et encore plus pour quelqu’un qui, comme moi, a du mal à s’abandonner.
Dois-je faire taire en moi cette voix qui me dit de fuir et de me dégager du poids de l’anxiété à l’idée de ne savoir quoi faire ou plutôt de ce qui pourrait se passer ? Dois-je me faire violence ou le simple fait que je considère cela comme une violence implique que ce serait une mauvaise décision ? Ou bien ces questions ne sont-elles pas que pollution et la manifestation d’une force qui malgré moi que pousse à fuir à chaque fois qu’une opportunité se présente ? Je cherche ce que je n’ai pas et quand il s’approche je le fuis. Resterai-je à jamais cet être insaisissable que peu de gens peuvent revendiquer avoir possédé, mais seulement de s’en être approchés : « j’ai eu un aperçu de son essence avant qu’elle ne s’évanouisse, qu’elle ne me file entre les doigts ».
Est-ce la liberté qui est si terrifiante, la vertigineuse étendue des possibilités dont on ne peut retenir qu’une, le vide de l’inconnu, ou bien est-ce d’être enfermée dans l’indécision, paralysée par le précipice des choix ?
Ce n’est peut-être pas la personne avec qui je passerai le reste de ma vie, mais après tout quelle importance ? On n’en est jamais sûrs et même si je ne le pense pas cela ne devrait pas me terrifier à ce point. Je sais que je dois être complètement et librement moi-même, que ce soit pour une nuit, une semaine, un mois ou plusieurs années, que ce soit intense ou léger. Ce contact ne devrait pas m’effrayer comme une biche effarouchée si c’était le cas.
Je me sens mieux quand je sens que je suis en contrôle. Si je gagne cette faible connexion au sacrifice de tout ce qui est important à mes yeux, à quoi bon ? Quoiqu’il arrive je dois rester libre et sentir qu’il s’agit d’une décision à laquelle j’ai pris part, que je ne suis pas poussée par un vent contraire. Si je n’arrive pas à me sentir seule quand je suis avec lui, suis-je véritablement libre dans cet embryon de relation ? Si je dois sentir que je me retiens, que je pense trop à ce que je dis, que ce que je considère comme des traits essentiels de ce que je suis, de ma personnalité ne sont pas appréciés ou vus, alors cela ne sert à rien de de persévérer. Est-ce que j’hésite parce que je ne suis pas sûre qu’il me veuille ? J’ai besoin d’être rassurée et qu’on me prouve que cette voie est la bonne par des mots, des attentions qui résonnent comme une vérité en moi.
Je ne suis pas prête à être domptée, il m’en faut plus pour accepter que j’aie besoin de quelqu’un. Je veux que l’autre me sorte de moi-même de la même façon que la fiction et l’art le font. Je veux que l’on écrive une histoire que je prendrais plaisir à lire. L’amour est une œuvre d’art faite humaine, en trois dimensions.
Mais si j’en venais à regretter ce choix ? Si l’affection, l’attirance suggérées par cette question venait à se frayer un chemin dans mon esprit ? Et si je me mets à chercher ta main, et si tous les prétextes sont bons pour attarder ma peau sur la tienne, contact innocent ou chargé de sens, et si j’en viens à ne pas me soucier de ce que tu crois ? Et si ma main traîne nonchalamment sur la tienne, et si elle se retire à regret avec une caresse ? Et si mon corps est dirigé vers toi et ne veut pas changer de direction ? Et si mes yeux cherchent les tiens et que la prison de mes pupilles les force à me suivre aussi longtemps que possible ? Et si mes pensées t’appellent quand tu n’es pas là et s’activent à la recherche d’une occasion de te voir, de te parler ? Si je veux que tu éloignes les yeux d’autres sur moi pour ramener les miens vers toi ? Que peut bien signifier ce besoin impérieux de l’autre ? Il ne m’est pas familier, saurais-je le supporter ?
Est-ce mieux de parler ou de mourir ? Je suis morte bien trop de fois, il est hors de question que je la connaisse une nouvelle fois. Il est temps que l'histoire commence.
« Je veux sauter dans le vide avec toi. »
Une question me place au début du carrefour, l’attente de la réponse me fait enfourcher une monture qui me mènera au bout de l’épopée.
« Est-ce que l’on décide de faire une partie du chemin de notre vie ensemble ? »
La réponse ne représente finalement qu’un petit pas, un saut hésitant et timide dans le fleuve, en préférant oublier qu’il se jette dans la mer. Il n’y a pas de petit saut, pas de petites enjambées et surtout pas de décisions insignifiantes. Le moindre choix est un usage du pouvoir vertigineux qu’est la liberté et le coup de baguette le plus inoffensif peut avoir des remous inattendus. Peu importe que ce pouvoir revête le nom de destin, hasard, coïncidence ou même Dieu, il n’en demeure pas moins lourd de sens et de responsabilité.
« Est-ce que l’on décide de faire une partie du chemin de notre vie ensemble ? »
La question résonne dans le silence qui s’est installé entre nous. Elle est partout, palpable. Elle parfume l’air qui nous entoure, elle teint le paysage environnant, l’écho du vent la murmure à nos oreilles, la cadence du pas des passants la martèle, et chaque regard croisé au hasard semble attendre une réponse.
Il fuit mon regard et je fuis le sien. Essayer de s’aimer n’est pas sans gêne, hésitation et fuite de l’autre. Soudainement, c’est la révolte : nous voulons nous différencier, affirmer notre identité, retrouver le nid douillet du soi. Nous mourrons tous les deux d’envie de partir en courant, de laisser notre destin entre les mains du hasard, de tirer les cartes, de jeter les dés, de demander à un parfait inconnu, de laisser la question à la faveur de la démocratie, de s’en remettre au peuple, pour entourer notre décision individuelle d’une légitimité quelconque, aussi absurde et incongrue qu’elle soit. Que ne ferions-nous pas pour nous dérober à la responsabilité qui nous incombe ? Pouvoir assigner le blâme à un autre qu’à soi-même, voilà qui est rassurant. La souffrance d’un échec n’en sera que plus supportable.
Mais quelle idée de penser à la chute alors que nous sommes au bord du vide ! Il semble irrésistible de regarder en bas au bord de la falaise ou du haut d’une tour, comme si l’on cherchait volontairement à se faire peur pour s’assurer que l’on ne sautera pas, ou qu’au contraire le vide exerçait une fascination presque malsaine et nous appelait. J’ai toujours eu peur du vide que j’associe au néant, à la mort, à l’absence de sensations, à la torpeur. J’imagine pourtant l’amour à l’opposé de cela, est-ce ici la preuve du lien étroit, presque intime qui attache ces deux tendances ?
Je peux affirmer de manière quasiment certaine que je n’ai jamais connu l’amour. D’aucuns diraient que je le saurais si je l’avais connu. Ce discours revient souvent chez ceux qui vivent un amour profond et épanouissant, leurs yeux semblent animés d’une mystérieuse béatitude qu’ils expliquent par le simple fait « qu’ils ont su ». Une forme d’évidence transparaît de ces illuminés magnifiques, une révélation qui frappe et que l’on ne peut ignorer. Est-ce à ce point catégorique ? Deux camps s’opposent : les croyants et les sceptiques. Je pense appartenir aux seconds bien que j’aspire à être des premiers. Leur beauté séduit et leur bonheur est si enviable. Pourtant j’ai bien une conception de l’amour où l’intimité et l’amour s’entremêlent. Je me suis parfois demandé si elle n’était pas trop idéale pour être rencontrée dans la réalité. Elle est ce secret, cette magie que les amants ne partagent qu’entre eux ; l’un croise le regard de l’autre dans la foule en se délectant de posséder quelque chose qui n’appartient qu’à eux. Les effluves de la nuit, des corps et des esprits enchevêtrés les suivent partout où ils vont, nimbés d’un halo mystérieux.
Nous nous quittons sur la promesse de nous revoir le lendemain, comme si vingt-quatre heures et une nuit de sommeil pouvaient nous apporter la clairvoyance qui nous échappe dans l’instant. En réalité, je crois que nous rêvons tous les deux de nous retrouver avec nous-mêmes et d’analyser le météore qui vient de tomber dans notre atmosphère.
Je pensais naïvement qu’une sagesse soudaine nous aurait murmuré des mots apaisants et guidé vers la bonne alternative. Mais l’appréhension est toujours là et nous décidons de ne pas décider. L’absurdité de la situation me frappe : choisir de ne pas choisir. Un laissez-faire, un entre-deux qui me laisse sûre d’à peu près rien. Nous pourrions couler comme accoster saufs sur le rivage que je n’y serais pour rien, jouant pour seul rôle celui du regard impuissant.
Cette situation accélère mon rythme cardiaque et ma respiration sans raison apparente. Comment expliquer cette angoisse alors que je ne suis engagée à rien, que je ne suis liée par aucune chaîne ? Je ressens une pression qui n’a rien à faire là, une intruse indésirable. Mon corps et mon esprit me crient que cela ne devrait pas se passer comme ça, que cela devrait être beaucoup plus simple. Mes réactions physiques tentent-elles de me dire que cette décision n’est pas la bonne, que cette situation ne devrait pas être ? Pourquoi cela semblait-il tellement plus simple, plaisant et attirant quand ce n’était qu’une potentialité, une vague perspective ? Pourquoi ai-je la désagréable impression de ne plus m’appartenir ? Cette réticence à me donner semble me paralyser à chaque fois que la connexion est sur le point de devenir trop intime et personnelle à mes yeux, peut-être déformés par la peur de me perdre et d’être piégée. Une question me hante et me pousse à vouloir essayer pour me faire violence et me prouver que je peux vaincre cette peur stupide : cela sera-t-il le cas à chaque fois qu’un être manifestera son envie d’être avec moi, de manière plus complète et absolue que je ne l‘ai jamais été ? D’où vient cette réticence à être possédée ? D’où vient cette volonté viscérale de n’appartenir qu’à moi-même, et de ne me livrer qu’aux compte-gouttes ? Est-ce égoïste ou un instinct de préservation trop développé et encombrant ? Est-ce que je ne veux pas me donner par peur de me perdre, de perdre de que j’ai construit si lentement, ce fragile édifice du soi ? Ou bien ai-je été trop habituée à rester en moi et à moi que j’ai peur de me quitter, de laisser quelqu’un d’autre entrer ? Il fait froid dehors et pourquoi aurais-je besoin de bras étrangers pour me réchauffer ? Sauront-ils me réchauffer autant que j’en aie besoin ? Si ces bras étrangers m’effraient, ne devrais-je pas les fuir ?
Je ne peux me garder jalousement pour moi-même à jamais au risque de devenir folle. En témoigne le bien et le bonheur que je tire des liens profonds que j’ai tissés avec quelques personnes. Je ne pourrais me passer d’elles car être sans elles c’est être moins moi-même. Un lien si fort et exclusif avec une seule personne est forcément plus difficile à trouver et encore plus pour quelqu’un qui, comme moi, a du mal à s’abandonner.
Dois-je faire taire en moi cette voix qui me dit de fuir et de me dégager du poids de l’anxiété à l’idée de ne savoir quoi faire ou plutôt de ce qui pourrait se passer ? Dois-je me faire violence ou le simple fait que je considère cela comme une violence implique que ce serait une mauvaise décision ? Ou bien ces questions ne sont-elles pas que pollution et la manifestation d’une force qui malgré moi que pousse à fuir à chaque fois qu’une opportunité se présente ? Je cherche ce que je n’ai pas et quand il s’approche je le fuis. Resterai-je à jamais cet être insaisissable que peu de gens peuvent revendiquer avoir possédé, mais seulement de s’en être approchés : « j’ai eu un aperçu de son essence avant qu’elle ne s’évanouisse, qu’elle ne me file entre les doigts ».
Est-ce la liberté qui est si terrifiante, la vertigineuse étendue des possibilités dont on ne peut retenir qu’une, le vide de l’inconnu, ou bien est-ce d’être enfermée dans l’indécision, paralysée par le précipice des choix ?
Ce n’est peut-être pas la personne avec qui je passerai le reste de ma vie, mais après tout quelle importance ? On n’en est jamais sûrs et même si je ne le pense pas cela ne devrait pas me terrifier à ce point. Je sais que je dois être complètement et librement moi-même, que ce soit pour une nuit, une semaine, un mois ou plusieurs années, que ce soit intense ou léger. Ce contact ne devrait pas m’effrayer comme une biche effarouchée si c’était le cas.
Je me sens mieux quand je sens que je suis en contrôle. Si je gagne cette faible connexion au sacrifice de tout ce qui est important à mes yeux, à quoi bon ? Quoiqu’il arrive je dois rester libre et sentir qu’il s’agit d’une décision à laquelle j’ai pris part, que je ne suis pas poussée par un vent contraire. Si je n’arrive pas à me sentir seule quand je suis avec lui, suis-je véritablement libre dans cet embryon de relation ? Si je dois sentir que je me retiens, que je pense trop à ce que je dis, que ce que je considère comme des traits essentiels de ce que je suis, de ma personnalité ne sont pas appréciés ou vus, alors cela ne sert à rien de de persévérer. Est-ce que j’hésite parce que je ne suis pas sûre qu’il me veuille ? J’ai besoin d’être rassurée et qu’on me prouve que cette voie est la bonne par des mots, des attentions qui résonnent comme une vérité en moi.
Je ne suis pas prête à être domptée, il m’en faut plus pour accepter que j’aie besoin de quelqu’un. Je veux que l’autre me sorte de moi-même de la même façon que la fiction et l’art le font. Je veux que l’on écrive une histoire que je prendrais plaisir à lire. L’amour est une œuvre d’art faite humaine, en trois dimensions.
Mais si j’en venais à regretter ce choix ? Si l’affection, l’attirance suggérées par cette question venait à se frayer un chemin dans mon esprit ? Et si je me mets à chercher ta main, et si tous les prétextes sont bons pour attarder ma peau sur la tienne, contact innocent ou chargé de sens, et si j’en viens à ne pas me soucier de ce que tu crois ? Et si ma main traîne nonchalamment sur la tienne, et si elle se retire à regret avec une caresse ? Et si mon corps est dirigé vers toi et ne veut pas changer de direction ? Et si mes yeux cherchent les tiens et que la prison de mes pupilles les force à me suivre aussi longtemps que possible ? Et si mes pensées t’appellent quand tu n’es pas là et s’activent à la recherche d’une occasion de te voir, de te parler ? Si je veux que tu éloignes les yeux d’autres sur moi pour ramener les miens vers toi ? Que peut bien signifier ce besoin impérieux de l’autre ? Il ne m’est pas familier, saurais-je le supporter ?
Est-ce mieux de parler ou de mourir ? Je suis morte bien trop de fois, il est hors de question que je la connaisse une nouvelle fois. Il est temps que l'histoire commence.
« Je veux sauter dans le vide avec toi. »