La chaleur écrasante du soleil n’empêchait pas l’enfant de jouer au ballon. Pieds nus, sur un terrain en latérite, soulevant, à chaque jongles et dribbles, une poussière ocre faite de sable et de terre mélangés, qui l’enveloppait presque entièrement. Ces pieds reprenaient vigueur en frappant le sol dur. Son ballon, qui avait pris vie grâce à un entrelacs de vieux vêtements serrés en boule, dansait entre les deux pieds du garçon. Contrôle de la balle, rotation, enchaînement du pied gauche...
« Saïd, Saïd ! » La voix furibonde son oncle s’approchait en mettant un terme à son jeu favori.
Ibrahim Touré, qui avait pris l’enfant en charge à la mort de son frère, s’efforça à prendre une mine sévère. Mais c’était peine perdue. Son visage qui reflétait la bonté même n’impressionnait guère son neveu.
« Tu as encore séché l’école pour jouer au ballon ! Ce n’est pas ainsi que tu arriveras à t’instruire pour devenir professeur.
-Ce n’est pas en étant professeur que j’aurai assez d’argent pour construire un hôpital et ainsi sauver la vie des gens des villages » protesta Saïd.
Ses yeux s’embrumèrent en pensant à la souffrance de son père qui, faute d’infrastructures adaptées, mourut sous ses yeux et fut enterré sur place, à cause des guerres de rébellion qui saccageaient la région.
Saïd tenait tête à son oncle en fronçant les sourcils et sa moue boudeuse arracha un sourire qui éclaira le visage de son oncle.
« Et comment comptes-tu être ce champion de foot ? Qui pourra te payer la formation ? Tu sais très bien que je n’en ai pas les moyens. Puisque tu ne veux pas étudier, tu viendras demain avec moi dans les champs pour récolter les arachides. »
Même si le ton de son oncle se radoucit, il trouvait nécessaire de l’éloigner de ce jeu qui, pour lui, n’était qu’une perte de temps
Saïd suivit son oncle et entra dans la hutte où sa grand-mère préparait le tiayne. La théière sur le feu, avait comme toujours son bec bouché par du papier, afin que l’eau où infusait le thé ne déborde pas. Quelques instants plus tard, sa grand-mère y ajouta le sucre puis remis le thé sur le feu pour le réchauffer et le laissa mijoter. Puis vint le moment préféré de toute la famille réunie dans l’attente de déguster ce breuvage sucré. Le thé fut transvasé dans un verre puis du verre à la théière, puis de la théière à un autre verre. Et enfin il fut versé de verre en verre, en le tenant bien haut afin de faire naître la mousse en aérant plusieurs fois la boisson chaude. Puis quand la mousse s’éleva à plus d’un centimètre, tous prirent leur verre et le burent en faisant de grands « Slurp ! »
Le lendemain, Saïd eut du mal à se lever mais les allées et venues de son oncle l’empêchèrent de se rendormir.
« Allez Saïd il est temps de se lever pour aller dans les champs.
-Non ! Merci mais je préfère encore m’entraîner au foot.
-Il n’en est pas question. Lève-toi et viens !
-Mais tu ne comprends pas ? La seule chance que j’aie de t’aider c’est le foot qui me la donnera. Je préfère encore aller à l’école.
-Et bien va ! Je te suis »
Saïd s’arrêta en route pour cueillir une mangue sur l’un des nombreux manguiers qui bordaient la route.
Il s’assit sur les grosses racines noueuses d’un fromager centenaire pour éplucher le fruit puis savourer sa chair sucrée.
Il se dirigea ensuite vers une hutte au toit de chaume qui servait de classe d’école. Il passa devant la mosquée qui était toujours inachevée et se promit qu’il achèverait les travaux une fois riche.
Il arriva pile au moment où le professeur faisait rentrer les élèves en tapant dans les mains.
De vieux manuels de français, issu de la méthode du Centre Linguistique Appliquée de Dakar, trônaient sur le bureau du maître. Il posa un livre par table et demanda à ce que les élèves aillent en page 51.
Des vignettes représentaient un match de foot où deux jeunes spectateurs commentaient la prouesse du footballeur. Les mots en caractère gras soulignaient la nécessité de comprendre et d’apprendre le terme.
Moussa : - Quel joueur formidable ce Mané !
Salif : - Tu as vu ? Il vient de feinter deux adversaires.
Moussa : - Il surprend tout le monde avec ses feintes.
Salif : - Et il tire aussi bien du pied droit que du pied gauche.
Moussa : - Regarde il va encore marquer un but.
Salif : - Joli, le plongeon du gardien ! Dommage il a manqué le ballon.
Moussa : - Ça fait deux buts pour Mané en moins de deux minutes.
Tous les élèves se tournèrent vers Saïd.
« T’as vu Saïd ? Même les livres disent que tu vas devenir un champion du monde dans le foot »
Les rires heureux des enfants fusèrent et ils applaudirent, certains du succès futur de leur camarade.
Le professeur eut bien du mal à attirer l’attention de ses élèves car une vache vint juste à ce moment appuyer son museau contre la fenêtre de la classe, provoquant l’hilarité générale.
Le professeur, qui n'appelait jamais ses élèves par leur surnom, s'adressa à Saïd par son vrai prénom.
« Et bien Sadio, sais-tu que ce livre date de 1970, bien avant ta naissance et on dirait qu’il parle de toi. On pourrait presque croire à une prophétie et si cette prophétie se réalise, j’espère que tu penseras à rénover ton ancienne école et à l’entourer d’une barrière afin de tenir éloigner le bétail pour qu’il ne vienne plus nous déranger.
Inch’Allah ! Si Dieu le veut!
Et puis le jour arriva où Saïd prit son avenir en mains et partit pour Dakar dans l’espoir de se faire repérer par un club de foot. Lorsque sa famille apprit la fugue ils allèrent à Dakar le récupérer. Il accepta de rentrer mais à une seule condition, retenter sa chance l’année suivante. Il réussit enfin à convaincre sa famille et son oncle vendit tous ses biens pour lui payer la formation. Le village aussi lui donna tout ce qu’il pouvait et c’est en 2009 que Sadio Mané se présenta à M’Bour pour une nouvelle détection et il fut enfin admis à l’un des clubs de Dakar, Génération Foot.
Dix ans sont passés et Sadio revient comme chaque année dans son pays natal, le Sénégal, afin de retrouver le village de son enfance, Bambali.
Dans l’avion qui l’emmène à Dakar, il aperçoit les villages sérères perdus parmi les bois, les bolongs bordés de mangroves à palétuviers et les tanns, ces vastes étendues planes et sablonneuses.
Les palétuviers, les pieds dans l’eau, les baobabs, les fromagers, les palmiers, manguiers et papayers au bord du fleuve Casamance, dans une explosion de végétation luxuriante, faisaient de cette région un paradis terrestre, la plus belle de l’Afrique de l’Ouest.
« Que de chemin parcouru depuis mon admission au club de M’Bour, se rappela-t-il. Il y avait 200 à 300 joueurs pour tenter leur chance ce jour là. Et dès le départ, ça partait mal pour moi car quand je me suis présenté on m’a un peu ri au nez. J’avais une culotte qui ne ressemblait en rien à un short de foot et mes chaussures étaient déchirées sur le côté, réparées comme j’avais pu avec du fil. Ceux qui me faisaient passer le test me regardaient bizarrement. »
Sadio sourit à cette évocation du passé. Il était heureux de pouvoir, grâce à sa stature de footballeur international, tenir les promesses qu’il s’était faites lorsqu’il était enfant. Aider son peuple, construire des écoles, un stade, un hôpital. Recommencer et finir les travaux de la mosquée inachevée. Fournir des vêtements, de la nourriture à des personnes dans une extrême pauvreté. De tous ces souhaits exaucés, il ajouta deux autres dons, verser 70 € par mois à toutes les personnes d’une région très pauvre du Sénégal et livrer 300 maillots de foot rouge écarlate, emblème du FC Liverpool, floqué du numéro 10 avec son nom en-dessous.
« Que m’importe d’avoir dix Ferrari, vingt montres et deux avions, d’afficher des voitures et des maisons de luxe. Lorsque, comme moi on a survécu aux guerres, joué au football pieds nus, on ne peut être heureux qu’en aidant sa famille, son peuple. »
Mektoub! C'est écrit!
« Saïd, Saïd ! » La voix furibonde son oncle s’approchait en mettant un terme à son jeu favori.
Ibrahim Touré, qui avait pris l’enfant en charge à la mort de son frère, s’efforça à prendre une mine sévère. Mais c’était peine perdue. Son visage qui reflétait la bonté même n’impressionnait guère son neveu.
« Tu as encore séché l’école pour jouer au ballon ! Ce n’est pas ainsi que tu arriveras à t’instruire pour devenir professeur.
-Ce n’est pas en étant professeur que j’aurai assez d’argent pour construire un hôpital et ainsi sauver la vie des gens des villages » protesta Saïd.
Ses yeux s’embrumèrent en pensant à la souffrance de son père qui, faute d’infrastructures adaptées, mourut sous ses yeux et fut enterré sur place, à cause des guerres de rébellion qui saccageaient la région.
Saïd tenait tête à son oncle en fronçant les sourcils et sa moue boudeuse arracha un sourire qui éclaira le visage de son oncle.
« Et comment comptes-tu être ce champion de foot ? Qui pourra te payer la formation ? Tu sais très bien que je n’en ai pas les moyens. Puisque tu ne veux pas étudier, tu viendras demain avec moi dans les champs pour récolter les arachides. »
Même si le ton de son oncle se radoucit, il trouvait nécessaire de l’éloigner de ce jeu qui, pour lui, n’était qu’une perte de temps
Saïd suivit son oncle et entra dans la hutte où sa grand-mère préparait le tiayne. La théière sur le feu, avait comme toujours son bec bouché par du papier, afin que l’eau où infusait le thé ne déborde pas. Quelques instants plus tard, sa grand-mère y ajouta le sucre puis remis le thé sur le feu pour le réchauffer et le laissa mijoter. Puis vint le moment préféré de toute la famille réunie dans l’attente de déguster ce breuvage sucré. Le thé fut transvasé dans un verre puis du verre à la théière, puis de la théière à un autre verre. Et enfin il fut versé de verre en verre, en le tenant bien haut afin de faire naître la mousse en aérant plusieurs fois la boisson chaude. Puis quand la mousse s’éleva à plus d’un centimètre, tous prirent leur verre et le burent en faisant de grands « Slurp ! »
Le lendemain, Saïd eut du mal à se lever mais les allées et venues de son oncle l’empêchèrent de se rendormir.
« Allez Saïd il est temps de se lever pour aller dans les champs.
-Non ! Merci mais je préfère encore m’entraîner au foot.
-Il n’en est pas question. Lève-toi et viens !
-Mais tu ne comprends pas ? La seule chance que j’aie de t’aider c’est le foot qui me la donnera. Je préfère encore aller à l’école.
-Et bien va ! Je te suis »
Saïd s’arrêta en route pour cueillir une mangue sur l’un des nombreux manguiers qui bordaient la route.
Il s’assit sur les grosses racines noueuses d’un fromager centenaire pour éplucher le fruit puis savourer sa chair sucrée.
Il se dirigea ensuite vers une hutte au toit de chaume qui servait de classe d’école. Il passa devant la mosquée qui était toujours inachevée et se promit qu’il achèverait les travaux une fois riche.
Il arriva pile au moment où le professeur faisait rentrer les élèves en tapant dans les mains.
De vieux manuels de français, issu de la méthode du Centre Linguistique Appliquée de Dakar, trônaient sur le bureau du maître. Il posa un livre par table et demanda à ce que les élèves aillent en page 51.
Des vignettes représentaient un match de foot où deux jeunes spectateurs commentaient la prouesse du footballeur. Les mots en caractère gras soulignaient la nécessité de comprendre et d’apprendre le terme.
Moussa : - Quel joueur formidable ce Mané !
Salif : - Tu as vu ? Il vient de feinter deux adversaires.
Moussa : - Il surprend tout le monde avec ses feintes.
Salif : - Et il tire aussi bien du pied droit que du pied gauche.
Moussa : - Regarde il va encore marquer un but.
Salif : - Joli, le plongeon du gardien ! Dommage il a manqué le ballon.
Moussa : - Ça fait deux buts pour Mané en moins de deux minutes.
Tous les élèves se tournèrent vers Saïd.
« T’as vu Saïd ? Même les livres disent que tu vas devenir un champion du monde dans le foot »
Les rires heureux des enfants fusèrent et ils applaudirent, certains du succès futur de leur camarade.
Le professeur eut bien du mal à attirer l’attention de ses élèves car une vache vint juste à ce moment appuyer son museau contre la fenêtre de la classe, provoquant l’hilarité générale.
Le professeur, qui n'appelait jamais ses élèves par leur surnom, s'adressa à Saïd par son vrai prénom.
« Et bien Sadio, sais-tu que ce livre date de 1970, bien avant ta naissance et on dirait qu’il parle de toi. On pourrait presque croire à une prophétie et si cette prophétie se réalise, j’espère que tu penseras à rénover ton ancienne école et à l’entourer d’une barrière afin de tenir éloigner le bétail pour qu’il ne vienne plus nous déranger.
Inch’Allah ! Si Dieu le veut!
Et puis le jour arriva où Saïd prit son avenir en mains et partit pour Dakar dans l’espoir de se faire repérer par un club de foot. Lorsque sa famille apprit la fugue ils allèrent à Dakar le récupérer. Il accepta de rentrer mais à une seule condition, retenter sa chance l’année suivante. Il réussit enfin à convaincre sa famille et son oncle vendit tous ses biens pour lui payer la formation. Le village aussi lui donna tout ce qu’il pouvait et c’est en 2009 que Sadio Mané se présenta à M’Bour pour une nouvelle détection et il fut enfin admis à l’un des clubs de Dakar, Génération Foot.
Dix ans sont passés et Sadio revient comme chaque année dans son pays natal, le Sénégal, afin de retrouver le village de son enfance, Bambali.
Dans l’avion qui l’emmène à Dakar, il aperçoit les villages sérères perdus parmi les bois, les bolongs bordés de mangroves à palétuviers et les tanns, ces vastes étendues planes et sablonneuses.
Les palétuviers, les pieds dans l’eau, les baobabs, les fromagers, les palmiers, manguiers et papayers au bord du fleuve Casamance, dans une explosion de végétation luxuriante, faisaient de cette région un paradis terrestre, la plus belle de l’Afrique de l’Ouest.
« Que de chemin parcouru depuis mon admission au club de M’Bour, se rappela-t-il. Il y avait 200 à 300 joueurs pour tenter leur chance ce jour là. Et dès le départ, ça partait mal pour moi car quand je me suis présenté on m’a un peu ri au nez. J’avais une culotte qui ne ressemblait en rien à un short de foot et mes chaussures étaient déchirées sur le côté, réparées comme j’avais pu avec du fil. Ceux qui me faisaient passer le test me regardaient bizarrement. »
Sadio sourit à cette évocation du passé. Il était heureux de pouvoir, grâce à sa stature de footballeur international, tenir les promesses qu’il s’était faites lorsqu’il était enfant. Aider son peuple, construire des écoles, un stade, un hôpital. Recommencer et finir les travaux de la mosquée inachevée. Fournir des vêtements, de la nourriture à des personnes dans une extrême pauvreté. De tous ces souhaits exaucés, il ajouta deux autres dons, verser 70 € par mois à toutes les personnes d’une région très pauvre du Sénégal et livrer 300 maillots de foot rouge écarlate, emblème du FC Liverpool, floqué du numéro 10 avec son nom en-dessous.
« Que m’importe d’avoir dix Ferrari, vingt montres et deux avions, d’afficher des voitures et des maisons de luxe. Lorsque, comme moi on a survécu aux guerres, joué au football pieds nus, on ne peut être heureux qu’en aidant sa famille, son peuple. »
Mektoub! C'est écrit!