Camille, Caillou et le soleil

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Et si ça ne marche pas ? se demanda Camille. Debout sur la falaise, il tenait par la main Caillou, qui semblait très anxieuse. Lui aussi était nerveux. Il avait réussi à la convaincre de venir se poster là, face à l'horizon, alors qu'il faisait encore nuit. Et l'heure fatidique approchait. Dans quelques minutes, ils sauraient s'ils pouvaient s'aimer.

***

Index et majeurs posés sur le cou, sourcils froncés, à l'affût de ce que pourraient percevoir les extrémités de ses doigts, sa concentration était extrême. Mais la maîtresse l'avait brutalement interrompue. Un nouveau était arrivé et il allait s'asseoir à côté d'elle. Il s'appelait Camille. Elle, les enfants qui riaient de son air hagard l'appelaient Caillou.
« Qu'est-ce que tu faisais avec tes doigts ? Tu rechargeais tes pouvoirs ? » lui avait-il demandé dès la récré annoncée. Ennuyée, elle lui avait avoué essayer d'écouter les battements de son cœur. Comme il ne comprenait pas, elle avait pris sa main et l'avait posée sous son t-shirt. Alors il avait senti la pierre rugueuse, grosse comme son poing, qui était plantée dans sa poitrine. Caillou avait un cœur de pierre, et tout le monde le savait. Mais contrairement aux autres, Camille avait accepté de devenir son ami. À présent, ils passaient toutes leurs récréations ensemble. Elle lui apprenait ses techniques secrètes pour gagner aux billes et il l'écoutait, passionné. Il lui apprenait à reconnaître les fleurs et elle fronçait les sourcils, concentrée. Inséparables, ils se racontaient des histoires, jouaient aux pirates, mangeaient des bonbons en cachette.
Un jour, Camille avait pris les mains de Caillou de manière solennelle. Ils étaient assis dans un champ de blé, à l'abri de tout regard. « Caillou, est-ce que tu veux bien être mon amoureuse ? » avait-il chuchoté. Elle en était restée silencieuse pendant quelques secondes. Avant de lui dire que c'était impossible. Les yeux de Camille s'étaient mis à briller et il avait serré fort ses paupières pour qu'elle ne puisse le voir. « Mais ce n'est pas ta faute ! », avait-elle tenté de s'expliquer, paniquée. « C'est mon cœur ! Il est de pierre, je ne peux rien en faire, je ne peux pas t'aimer ! Un cœur de glace peut fondre. Mais que peut faire un cœur de pierre ? » Des larmes avaient embué ses yeux, alors elle aussi les avait fermés avec hargne pour ne rien laisser couler. Secrètement, Camille s'était alors juré qu'il trouverait le moyen de faire vivre son cœur.

***

— Et si ça ne marche pas ? lui demanda Caillou.
— Ça marchera forcément, je le sens... là, lui répondit-il en prenant sa main et en la posant sur son cœur.
Les battements lents apaisaient la tension qui étreignait Caillou. Elle inspira profondément et ferma les yeux. Elle n'était pas sûre de vouloir voir se lever le soleil. Il lui avait promis que quelque chose se passerait. Mais si jamais cela n'arrivait pas ? Il était si dur de ne pas y croire.
Les yeux clos, elle ne pouvait ignorer les changements de luminosité qui teintèrent peu à peu de bordeaux le noir de ses paupières. Tout doucement, nuance par nuance. Et au fur et à mesure, ses muscles se contractaient. Elle voulait tant aimer. Elle voulait tant ressentir la joie immense de voir les yeux de Camille se poser sur elle et sonder les profondeurs de son être. Et elle voulait tant saisir ses gestes. Comprendre la douceur d'une caresse, d'un baiser furtivement posé sur une joue. Comprendre le rouge qui couvrait ses pommettes quand elle lui souriait. Comprendre ses lèvres pincées lorsqu'elle discutait avec Mathieu. Mais le soleil montait, impassible quant à sa détresse. Et elle serrait si fort ses paupières, ses muscles étaient si tendus, son angoisse si grande, la pression sur son petit cœur de pierre tellement puissante que soudain il se fendit. Violemment. Elle cria, de douleur peut-être, de stupeur sans l'ombre d'un doute. Son cœur était à présent fissuré, une entaille profonde scindait sa roche pourtant solide. Effarée, elle implora l'aide de Camille. Mais ce dernier ne pouvait s'empêcher de regarder le cœur de pierre. Elle paniquait, pleurait. Il restait immobile, les yeux écarquillés. Et le soleil, ignorant le malheur, continuait son ascension. Un à un, ses rayons épousèrent les courbes de la Terre. Un à un, ils s'élevèrent pour caresser les cimes des arbres. Un à un, il vinrent danser avec les oiseaux. Un à un, ils transpercèrent le cœur fissuré.

— Caillou, re... regarde.
Mais Caillou n'écoutait pas. Son cœur était cassé, tout était fini.
— Caillou, regarde !
Mais Caillou n'entendait pas. Son cœur s'était cassé, elle ne pourrait pas aimer.
— CAILLOU, REGARDE ! TON CŒUR !
Le cri de Camille avait stoppé net toutes ses plaintes. Elle l'avait entendu. Alors doucement elle baissa la tête, redoutant de voir l'état de son cœur meurtri. Mais Camille lui ordonna de se tourner. Stupéfaite, Caillou ne réagit pas. Il empoigna son torse et la fit doucement bouger.
— Est-ce que tu le vois ? lui demanda-t-il.
Mais elle ne comprenait pas et voyait encore moins. Il pointa du doigt son cœur fissuré, continuant de la faire vaciller de gauche à droite.
— L'éclat ! Juste ici, au milieu de la fissure ! Tu sais ce que c'est ?
Et Caillou le vit enfin. Un éclat rouge vif dont l'intensité variait en fonction de ses mouvements. Puis il lui montra le soleil.
— Ce sont ses rayons Caillou ! s'exclama-t-il. Ils ont transpercé ton cœur pour te montrer l'invisible ! C'est vrai qu'il est fait de pierre. Mais regarde, il renferme un rubis. Lumineux, incandescent, scintillant. Un cœur rare, et précieux, voilà ce que tu as !
— Mais alors... tu crois que je suis capable d'aimer ? hésita-t-elle.
— Moi ce que je crois, c'est que tout le monde peut aimer, à sa façon, comme il l'entend ou comme il le peut. Ce n'est pas une histoire de cœur, Caillou. C'est une histoire de confiance. Confiance en moi, et confiance en toi, c'est comme ça que ça marche ! Si tu me laisses le façonner, j'en ferais le plus beau joyau de la Terre, voilà ce que je crois.

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