Toute histoire commence un jour, quelque part, comme celle de la salle 216 à Truro, le lundi 2 novembre 2015. 20h26, de retour dans sa chambre étudiante, assise sur son bureau faisant face à son ordinateur, une jeune chercheuse passionnée de biologie marine, des algues et des récits de Bernard Werber écrivit.
« Ô C. elegans,
Je me permets de consacrer ce temps d’un lundi soir après une intense journée de travail pour exprimer par des mots écrits noir sur blanc ma source d’inspiration. Cette dernière est tellement puissante qu’elle me force à écrire ce que je ressens pour toi Ô C. elegans, mon inspirateur du moment. Qui sait, ai-je cette chance de connaître ce sentiment qu’a l’écrivain commençant la rédaction de son livre ? Peut-être, mais je n’ai pas ce talent ni cette intention d’en écrire un, juste un ensemble de quelques pages pour une thèse. Mais toi Ô C. elegans, du haut de ton millimètre, tu me parais bien trop grand au travers de ma loupe binoculaire dotée d’une lumière qui t’éblouit, Ô C. elegans.
Toi et moi, ça a commencé il y a un an à Truro, au milieu de nulle part dans le froid boréal canadien. De là, notre histoire est née. Une histoire de tendresse, de dégoût, d’humour, de cruauté, d’admiration, de partage et de réflexion. Tu m’étais si étrange et en même temps si fascinant. Aux premiers abords, je t’ai considéré comme un banal animal, un petit ver, que l’on manipule sans grande émotion. Aujourd’hui, quand je pense fort à toi, mes voies métaboliques s’emballent et sont responsables de mon corps frissonnant et de mes poils de bras se hérissant. Quel effet, Ô. C. elegans.
Tu luis et tu zigzagues sur une gélose que je confectionne soigneusement pour ton plus grand bien. Dans un monde riche d’une nourriture fleurissante, tu traces lentement et sinueusement ton chemin. Au paradis des goinfres, tu t’engouffres dans ce tapis bactérien que tu adores et que tu manges à grandes bouchées. Je vois ta minuscule tête bouger de droite à gauche et cet énorme corps translucide immobile se remplir. Fidèle compagnon de cinq à sept, seuls tous les deux, nous nous retrouvons toutes les fins d’après-midi en salle 216, comme si nous ne pouvions pas nous passer l’un de l’autre. Un devoir, un besoin, une nécessité. Pendant ces nombreuses heures pendant lesquelles je te sculptais du regard, j’avais l’impression d’être le thanatonaute Michael Pinson de mes livres d’époque estudiantine. Le cycle des anges et celui des dieux de Bernard Werber étaient en moi. Sans aucune prétention, il m’arrivait de m’imaginer déesse de ton univers. La déesse des vers, d’un peuple pour le moins intéressant et original sans discrimination sexuelle et avec un extraordinaire cycle de vie. Toi, Ô C. elegans et tes congénères êtes pour la plus grande majorité hermaphrodites et pondez des œufs. Instinctivement, David Wells et sa troisième humanité apparurent, surgissant d’un autre de mes tiroirs d’imagination étiqueté B. Werber de ma cavité cérébrale. J’aime ce concept. C’est d’ailleurs au moment où tu as largué un de tes œufs que j’ai dû laisser échapper un « hoo » quasiment inaudible par les autres individus de mon espèce mais bien perceptible par mes neurones qui se sont sensiblement agités dans tous les sens pour me donner cette source d’inspiration à ton sujet, Ô C. elegans.
Puissante et sans scrupule je te manipule à l’œil, au doigt et à la baguette. Cependant, j’aime prendre soin de toi en utilisant un fil d’un métal précieux bien plus cher que l’or pour te déplacer. Le platine. Je te veux pur, sans aucune autre espèce pour te salir. Pour cela, je chauffe le platine pour tuer tous les potentiels intrus. Le spectacle de couleurs est à voir. Le précieux métal passe du rouge au jaune dans les flammes bleues du bec Bunsen. Son pouvoir enfin retentit. Il se refroidit en un rien de temps afin de t’emmener dans les airs sans te brûler pour te déposer dans un nouveau jardin d’Eden, Ô C. elegans.
Par moment, j’avoue que je fus d’une cruauté intraitable. Néanmoins, en tant qu’espèce vivante dominante, je ne ressens aucun remord. Sélection naturelle ? Je ne pense pas, disons que toi Ô C. elegans, tu es au service de la recherche scientifique de l’espèce humaine. Dois-tu t’en réjouir ? Je ne sais pas, à toi de voir. Me pardonneras-tu de t’avoir lavé et centrifugé ? Sache qu’avec un de mes congénères d’une contrée lointaine, nous avons d’abord compati, puis ri comme des cyclopes. Demande encore à Bernard, il t’expliquera. En effet, pour ma part, pendant cette torture que tu as endurée, je t’imaginais avec ton corps raide et avec tes yeux qui grossissaient et sortaient de leurs orbites comme dans les dessins animés que je regardais lors de mon stade juvénile. Ensuite est venu le moment tant redoutable, celui de la synchronisation de ta population. Tu ne m’as pas forcément aidée. Des jeunes de ton espèce ont dû subir les tragiques conséquences : la mort, brulés vifs servis par le précieux métal. Je m’en voulais. A vrai dire, c’était soit cette mort rapide soit une mort plus longue à base d’une maladie infectieuse. Le triste destin d’un ver en salle 216. En contrepartie, tu m’en as fait voir des vertes et des pas mûres en m’hypnotisant et en zigzaguant dans l’espace de mon esprit, ce qui m’éloignait bien souvent des bras de Morphée. Comme quoi, toi aussi, tu as le pouvoir de contrôler une espèce du monde des vivants, Ô C. elegans.
Il est tard, ma source d’inspiration est épuisée. En ce moment même, j’aurais aimé que la recherche scientifique internationale humaine ait mis en place des moyens de communication et de compréhension entre tous les organismes vivants. Si un jour, il s’avère que tu me comprennes, je voudrais que tu saches que je t’adresse ma plus grande gratitude. Ô C. elegans, merci d’avoir contribué à mes recherches scientifiques. Tu m’as montré que tout comme moi, tu apprécies la magnifique algue rouge au doux nom de Solieria chordalis, une autre espèce vivante qui me fascine. Je m’en réjouis. C’est vrai, je t’ai forcé à émigrer et te voilà maintenant en partie sur le Campus de Tohannic. Bienvenue en territoire breton en espérant que tes zigzags ne finissent jamais Ô C. elegans.
Il est grand temps que je termine d’écrire ma thèse, tu me fais bien tourner la tête Ô C. elegans.
Une thésarde Homo sapiens sapiens dont le génome a entre 60 et 80 % d’orthologies avec le tien Ô C. elegans, mon cousin à l’élégance suprême. »
Depuis, trois longues années sont passées et de nouvelles histoires ont commencé. La chercheuse est devenue docteure des algues. Fuyant le froid et le crachin, elle s’est exilée au pays de la lucha libre, de la tequila et des tacos à la rencontre des algues caraïbéennes. Puis, elle s’en est allée au soleil sur la terre de la Teranga, car comme dirait le sage sous l’arbre à palabres « où est le cœur, le pied va ». Cependant, l’homme blanc l’a trahie, l’a déchirée en deux. Une partie d’elle est restée là-bas, car elle a beaucoup appris et énormément apprécié la convivialité et les chaleureuses amitiés. L’autre partie est retournée chez elle, en Bretagne, auprès de son cousin à l’élégance suprême. Un autre sage conseillerait « Si tu ne sais pas quoi faire, souviens toi de tes origines et le destin te guidera ». Ainsi, la jeune chercheuse continue sa recherche sur les algues et salue de temps en temps son cousin Caenorhabditis. En attendant la réunification, des histoires, il en existera toujours. Toutes, elles commencent un jour et quelque part.
« Ô C. elegans,
Je me permets de consacrer ce temps d’un lundi soir après une intense journée de travail pour exprimer par des mots écrits noir sur blanc ma source d’inspiration. Cette dernière est tellement puissante qu’elle me force à écrire ce que je ressens pour toi Ô C. elegans, mon inspirateur du moment. Qui sait, ai-je cette chance de connaître ce sentiment qu’a l’écrivain commençant la rédaction de son livre ? Peut-être, mais je n’ai pas ce talent ni cette intention d’en écrire un, juste un ensemble de quelques pages pour une thèse. Mais toi Ô C. elegans, du haut de ton millimètre, tu me parais bien trop grand au travers de ma loupe binoculaire dotée d’une lumière qui t’éblouit, Ô C. elegans.
Toi et moi, ça a commencé il y a un an à Truro, au milieu de nulle part dans le froid boréal canadien. De là, notre histoire est née. Une histoire de tendresse, de dégoût, d’humour, de cruauté, d’admiration, de partage et de réflexion. Tu m’étais si étrange et en même temps si fascinant. Aux premiers abords, je t’ai considéré comme un banal animal, un petit ver, que l’on manipule sans grande émotion. Aujourd’hui, quand je pense fort à toi, mes voies métaboliques s’emballent et sont responsables de mon corps frissonnant et de mes poils de bras se hérissant. Quel effet, Ô. C. elegans.
Tu luis et tu zigzagues sur une gélose que je confectionne soigneusement pour ton plus grand bien. Dans un monde riche d’une nourriture fleurissante, tu traces lentement et sinueusement ton chemin. Au paradis des goinfres, tu t’engouffres dans ce tapis bactérien que tu adores et que tu manges à grandes bouchées. Je vois ta minuscule tête bouger de droite à gauche et cet énorme corps translucide immobile se remplir. Fidèle compagnon de cinq à sept, seuls tous les deux, nous nous retrouvons toutes les fins d’après-midi en salle 216, comme si nous ne pouvions pas nous passer l’un de l’autre. Un devoir, un besoin, une nécessité. Pendant ces nombreuses heures pendant lesquelles je te sculptais du regard, j’avais l’impression d’être le thanatonaute Michael Pinson de mes livres d’époque estudiantine. Le cycle des anges et celui des dieux de Bernard Werber étaient en moi. Sans aucune prétention, il m’arrivait de m’imaginer déesse de ton univers. La déesse des vers, d’un peuple pour le moins intéressant et original sans discrimination sexuelle et avec un extraordinaire cycle de vie. Toi, Ô C. elegans et tes congénères êtes pour la plus grande majorité hermaphrodites et pondez des œufs. Instinctivement, David Wells et sa troisième humanité apparurent, surgissant d’un autre de mes tiroirs d’imagination étiqueté B. Werber de ma cavité cérébrale. J’aime ce concept. C’est d’ailleurs au moment où tu as largué un de tes œufs que j’ai dû laisser échapper un « hoo » quasiment inaudible par les autres individus de mon espèce mais bien perceptible par mes neurones qui se sont sensiblement agités dans tous les sens pour me donner cette source d’inspiration à ton sujet, Ô C. elegans.
Puissante et sans scrupule je te manipule à l’œil, au doigt et à la baguette. Cependant, j’aime prendre soin de toi en utilisant un fil d’un métal précieux bien plus cher que l’or pour te déplacer. Le platine. Je te veux pur, sans aucune autre espèce pour te salir. Pour cela, je chauffe le platine pour tuer tous les potentiels intrus. Le spectacle de couleurs est à voir. Le précieux métal passe du rouge au jaune dans les flammes bleues du bec Bunsen. Son pouvoir enfin retentit. Il se refroidit en un rien de temps afin de t’emmener dans les airs sans te brûler pour te déposer dans un nouveau jardin d’Eden, Ô C. elegans.
Par moment, j’avoue que je fus d’une cruauté intraitable. Néanmoins, en tant qu’espèce vivante dominante, je ne ressens aucun remord. Sélection naturelle ? Je ne pense pas, disons que toi Ô C. elegans, tu es au service de la recherche scientifique de l’espèce humaine. Dois-tu t’en réjouir ? Je ne sais pas, à toi de voir. Me pardonneras-tu de t’avoir lavé et centrifugé ? Sache qu’avec un de mes congénères d’une contrée lointaine, nous avons d’abord compati, puis ri comme des cyclopes. Demande encore à Bernard, il t’expliquera. En effet, pour ma part, pendant cette torture que tu as endurée, je t’imaginais avec ton corps raide et avec tes yeux qui grossissaient et sortaient de leurs orbites comme dans les dessins animés que je regardais lors de mon stade juvénile. Ensuite est venu le moment tant redoutable, celui de la synchronisation de ta population. Tu ne m’as pas forcément aidée. Des jeunes de ton espèce ont dû subir les tragiques conséquences : la mort, brulés vifs servis par le précieux métal. Je m’en voulais. A vrai dire, c’était soit cette mort rapide soit une mort plus longue à base d’une maladie infectieuse. Le triste destin d’un ver en salle 216. En contrepartie, tu m’en as fait voir des vertes et des pas mûres en m’hypnotisant et en zigzaguant dans l’espace de mon esprit, ce qui m’éloignait bien souvent des bras de Morphée. Comme quoi, toi aussi, tu as le pouvoir de contrôler une espèce du monde des vivants, Ô C. elegans.
Il est tard, ma source d’inspiration est épuisée. En ce moment même, j’aurais aimé que la recherche scientifique internationale humaine ait mis en place des moyens de communication et de compréhension entre tous les organismes vivants. Si un jour, il s’avère que tu me comprennes, je voudrais que tu saches que je t’adresse ma plus grande gratitude. Ô C. elegans, merci d’avoir contribué à mes recherches scientifiques. Tu m’as montré que tout comme moi, tu apprécies la magnifique algue rouge au doux nom de Solieria chordalis, une autre espèce vivante qui me fascine. Je m’en réjouis. C’est vrai, je t’ai forcé à émigrer et te voilà maintenant en partie sur le Campus de Tohannic. Bienvenue en territoire breton en espérant que tes zigzags ne finissent jamais Ô C. elegans.
Il est grand temps que je termine d’écrire ma thèse, tu me fais bien tourner la tête Ô C. elegans.
Une thésarde Homo sapiens sapiens dont le génome a entre 60 et 80 % d’orthologies avec le tien Ô C. elegans, mon cousin à l’élégance suprême. »
Depuis, trois longues années sont passées et de nouvelles histoires ont commencé. La chercheuse est devenue docteure des algues. Fuyant le froid et le crachin, elle s’est exilée au pays de la lucha libre, de la tequila et des tacos à la rencontre des algues caraïbéennes. Puis, elle s’en est allée au soleil sur la terre de la Teranga, car comme dirait le sage sous l’arbre à palabres « où est le cœur, le pied va ». Cependant, l’homme blanc l’a trahie, l’a déchirée en deux. Une partie d’elle est restée là-bas, car elle a beaucoup appris et énormément apprécié la convivialité et les chaleureuses amitiés. L’autre partie est retournée chez elle, en Bretagne, auprès de son cousin à l’élégance suprême. Un autre sage conseillerait « Si tu ne sais pas quoi faire, souviens toi de tes origines et le destin te guidera ». Ainsi, la jeune chercheuse continue sa recherche sur les algues et salue de temps en temps son cousin Caenorhabditis. En attendant la réunification, des histoires, il en existera toujours. Toutes, elles commencent un jour et quelque part.