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AJAX399 contempla le désordre dans la pièce : des cadavres jonchaient le sol sanglant, donnant une étrange impression de massacre. Il en conclut qu'une telle boucherie provenait probablement d'un être humain, car les androïdes en étaient théoriquement incapables, du fait des Trois Lois de la Robotique. Sauf lui et quelques-uns de ses pairs étaient équipés de la Quatrième Loi ; cependant, ils le cachaient à l'espèce humaine qui n'appréciait pas de voir ses créations lui disputer le droit de tuer. Ce fut à ce moment précis qu'une petite fille apparut. Elle sortait de derrière une colonne où elle se cachait depuis quelque temps déjà.
— N'aie pas peur. Je ne suis pas l'auteur de ces crimes.
— Je le sais. J'ai vu les meurtriers. Ils recherchaient un parchemin dans cette église, alors que tout le monde célébrait tranquillement l'office de Pâques.
L'humanoïde regarda l'enfant avec étonnement. Il se demanda comment une fillette pouvait s'exprimer de la sorte, surtout dans de telles circonstances. Puis il s'aperçut qu'elle tenait fermement un rouleau de papier. Il ressemblait à la relique qu'il était venu chercher, un objet convoité par tous les chercheurs d'antiquité de la galaxie. Elle valait des millions de crédit.
— Quel est ton nom, petite fille ?
— Aurélia.
— Que faisais-tu dans cette église en ruines, Aurélia ?
— J'accompagnais mes parents.
— Je trouve que tu parles bien l'anglais universel, pour une enfant de ton âge.
— Mes parents ont mis au point une technique infaillible d'apprentissage.
— Qu'as-tu appris d'autre ?
— L'Histoire et la poésie.
— Est-ce un de tes poèmes que tu tiens avec tant de volonté dans ta main ?
— Non, c'est juste un vieux grimoire que mon père utilisait pour un projet scientifique dont il ne parlait jamais, par peur de nous attirer des ennuis.
— Le risque s'est avéré, je suppose, au vu du carnage.
AJAX399 ne vit pas venir les pleurs de la petite Aurélia, au rappel de la mort de ses parents. N'étant pas habitué aux enfants, il improvisa un geste de tendresse et tapota sur la tête d'Aurélia comme il l'avait vu faire dans un reportage sur les jeunes chiots. La fillette lui enserra alors la jambe très fort tout en continuant de pleurer. L'androïde en profita pour vérifier la position du parchemin.
— Il faut que je sécurise la place puis nous partirons loin de tout ça.
— As-tu des enfants ?
— Les androïdes n'ont pas d'enfants.
— Je voulais dire : t'occupes-tu d'enfants là où tu habites ?
— Non, je ne suis pas programmé pour cela.
— Comment vas-tu faire avec moi, alors ?
— Je vais télécharger un programme d'éducation parentale.
— Je ne suis pas une petite fille comme les autres. Je suis une future poétesse.
— Tu m'apprendras la poésie.
— As-tu une amoureuse ?
— Non, je ne suis pas programmé pour cela.
— Tu ne connais que cette réponse ?
— Je ne suis pas programmé pour tourner autour du pot.
— Aimes-tu les enfants, au moins ?
— Je ne sais pas si c'est le bon terme. Je ne suis pas programmé pour aimer, mais les Trois Lois de la Robotique m'obligent à protéger les êtres humains.
— Parlent-elles d'amour, ces lois ?
— Je ne sais pas exactement. Leur énoncé est laconique.
— As-tu déjà lu des poèmes sur l'amour ?
— Cela n'a pas été ma préoccupation première ces cent dernières années.
— Je vais te chanter une de mes créations. Elle s'intitule « L'Étoile rouge et le nain blanc ».
AJAX399 n'eut pas le cœur à refuser la proposition. Il tenta de son mieux de paraître emporté par les rimes parfaites de la fable naïve qu'égrenait Aurélia de sa voix haut perchée.
— As-tu aimé ?
— J'ai trouvé la rythmique précise et l'histoire logique.
— Comment peux-tu parler de logique quand je te chante l'amour ?
L'androïde coupa court à la controverse. Il quitta Aurélia pour procéder à la sécurisation. Une fois le système anti-intrusion activé, il fouilla les cadavres. Les morts semblaient avoir subi la rage d'un animal muni d'un arsenal militaire. Aucun soldat au monde, même fou, n'aurait frappé avec autant de haine. Il en voulait pour preuve les corps découpés en plusieurs morceaux, en long en large et en travers. La scène de crime lui rappelait quelque chose, mais il n'arrivait pas encore à définir précisément quoi. Il lança son dispositif d'antémémoire afin de scanner tous les programmes qu'il avait téléchargés durant le siècle puis revint vers la fillette. Il était temps de partir.
— Quittons l'église maintenant.
— J'ai envie de faire pipi.
— D'accord, mais fais vite. Laisse-moi ce bout de papier que tu tords dans tous les sens depuis le début.
— Non, je le garde. C'est le dernier cadeau de mon papa.
— Ce n'est pas pratique pour pisser. En plus, tu n'as pas de poches.
— Je le poserai à mes côtés.
— Ne fais pas l'enfant ! Je ne vais pas le manger, ton torchon.
— Ce n'est pas un torchon. Il contient des secrets scientifiques.
— C'est la grande poétesse de l'amour qui me dit ça ? Depuis quand comprends-tu la science ?
— Tu m'énerves. Je vais au petit coin. Tu n'as pas intérêt à me suivre. Je garde mon grimoire.
— Fais comme tu veux, mais vite. Les sauvages qui ont massacré tous ces gens peuvent revenir.
À ce moment précis, son antémémoire trouva des correspondances avec la scène de crime. Il procéda à une rapide analyse et conclut que tout concordait : il avait résolu l'énigme de ce meurtre barbare. AJAX399 s'avança vers l'endroit où la fillette satisfaisait un besoin naturel.
— Il est temps de partir, Aurélia.
— Laisse-moi finir. As-tu apporté du papier ?
— Tu n'en auras plus besoin.
Sur ces derniers mots, il fracassa la tête d'Aurélia, reprit le grimoire et passa un coup de lance-flammes pour qu'il ne subsiste plus un quark de sa dernière action. Enfin, il se dirigea vers son vaisseau, ayant au préalable désactivé tous les dispositifs de surveillance et de protection. Non seulement il avait récupéré la précieuse relique, mais en plus il avait élucidé un crime horrible, puis exécuté son auteur plusieurs fois récidiviste et pas plus humaine que lui. « Putain de Quatrième Loi de la Robotique ! » jura-t-il avant de quitter la planète.
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Pourquoi on a aimé ?
Il ne faut pas se fier aux apparences, paraît-il. Facile de croire en l’innocence d’une petite fille, retrouvée seule sur les lieux d’un crime
Pourquoi on a aimé ?
Il ne faut pas se fier aux apparences, paraît-il. Facile de croire en l’innocence d’une petite fille, retrouvée seule sur les lieux d’un crime