Et aujourd’hui, que ferais-tu Madeleine ?
Le 13 février 1946, tu nous as quittés à cause d’une route verglacée en Pologne mais nous ne t’oublierons jamais, ma petite sœur. Energique et déterminée, tu l’auras été durant chacune de tes trente-trois années d’une vie exceptionnelle.
Après la mort de notre père, tué au cours de la Grande Guerre en 1916, alors que tu n’avais que trois ans et demi, nous avons vécu avec notre mère puis, sur décision juridique, nous sommes allées rejoindre notre grand-mère paternelle qui vivait à Villeneuve-sur-Lot.
Tu avais un an de moins que moi mais nous avons été bachelières la même année, celle de tes 17 ans, et tu as été admise à la faculté de médecine de Paris pour entreprendre un magnifique parcours qui s’est achevé par un titre de docteur en 1939. Tu étais l’une des trois cent cinquante femmes-médecins en France à cette époque. Heureusement que tout çela a bien changé !
Pendant la Seconde guerre mondiale, tu as immédiatement choisi la Résistance. Tu as soigné les aviateurs alliés blessés, participé à la Libération de Paris puis à la bataille des Vosges. Au cours des premiers mois de 1945, appelée par le général de Gaulle, tu t’es vu confier une mission très difficile : partir en Pologne pour tenter de rapatrier le plus possible de ressortissants français soumis au Service du Travail Obligatoire par les Allemands. Ils étaient cinq cent mille disséminés dans un pays ravagé par la guerre.
La tâche était incommensurable, ta détermination l’a rendue réalisable. Nommée médecin-chef de l’hôpital français à Varsovie, tu t’es mise d’abord au service de tous les malades qui arrivaient en grand nombre pour bénéficier des soins procurés par la Croix-Rouge Française. Et puis, il y a eu ce moment de grâce en juillet 1945 où tu as reçu l’appui de onze femmes, dont la cheffe d’unité Violette Guillot, qui ont pris la direction de la Pologne avec cinq ambulances. Elles ont formé « L’Escadron bleu » qui est venu t’épauler dans ta recherche des survivants.
Que ferais-tu Madeleine aujourd’hui ? Te lancerais-tu avec cette belle énergie, dans la recherche des migrants qui pensent échapper à leurs bourreaux en montant dans une embarcation le long des côtes libyennes ? Serais-tu de celles et ceux qui alertent chaque jour sur la détresse de tous ces êtres humains poussés à la mer par la volonté de quelques dictateurs aveuglés par le pouvoir et l’argent et sourds aux cris de leurs populations exsangues ?
Tu serais certainement à nouveau dans ce camp de femmes en première ligne qui ont sorti des milliers de corps décharnés par l’enfer de la Seconde guerre mondiale pour les aider à se rétablir lentement, patiemment, dans leur dignité d’hommes libres.
Tu as mené plus de deux cents missions en Pologne, sauvé mille cinq cent quarante grands malades en les extirpant des griffes d’Allemands traqués mais toujours armés ou de Russes assoiffés de vengeance et coupables des pires exactions. Après tes longues journées de travail à l’hôpital, tu allais au secours de religieuses violées des dizaines de fois par des soldats russes ivres et désaxés. Tu les as accouchées dans le plus grand secret, tu as accompagné et réconforté ces femmes meurtries, mises constamment en danger par de sauvages envahisseurs. En parvenant à transformer le couvent en orphelinat, tu as sauvé la plupart des nouveau-nés, tu as même réussi à en faire adopter vingt-quatre par des familles françaises. Tu t’es complètement investie dans ce combat permanent contre une violence démentielle qui se poursuit malheureusement et inexorablement dans tous les pays en guerre.
Ta mission officielle a pris fin en novembre 1945 mais tu n’as pas renoncé à ta mission humaine. Tu es repartie en Pologne dès le début de l’année suivante, tu as poursuivi ton œuvre d’accompagnement psychologique de toutes les victimes de viols et, une nuit d’hiver, tu as perdu la vie quand la voiture, dans laquelle tu t’étais installée en tant que passagère, s’est fracassée contre un arbre.
Je ne sens plus le parfum de ta peau depuis cette soirée tragique mais tu es toujours présente à mes côtés. Et, chaque jour, au regard de tout ce qui nous entoure, je me dis que toi, Madeleine, tu serais aux côtés de ceux qui souffrent et qui s’accrochent à la survie que leur imposent des criminels contre l’humanité connus de tous mais impunis.
Je sais que tu parcourrais la Syrie comme tu as parcouru la Pologne pour sauver des vies. Tu aiderais à reconstruire des hôpitaux, des orphelinats, des écoles détruits sciemment par des bombardements incessants et bien ciblés. Tu monterais dans le Sea Bird pour repérer les embarcations surchargées par des profiteurs du malheur qui prolifèrent et font fortune. Tu naviguerais en Méditerranée sur l’Océan Viking ou le Louise Michel (quel symbole !) avant que ces innocents n’aillent s’ajouter à la trop longue liste des condamnés à mort dans l’immense cimetière marin. Et tu réussirais à affréter un nouveau bateau avec le concours de donateurs convaincus par ton équipe de battantes, toutes à l’image de l’Escadron bleu en 1945, que les missions à venir seront encore plus nombreuses et essentielles que celles d’hier et aujourd’hui.
Le sillon, rempli d’humanité, que tu as tracé il y a plus de soixante-quinze ans ne se refermera jamais. Il y a eu et il y aura d’autres Madeleine et d’autres escadrons bleus. Bientôt, l’Escadron Amel verra le jour. Amel veut dire « espoir », « espérance » en langue syrienne.
Le 13 février 1946, tu nous as quittés à cause d’une route verglacée en Pologne mais nous ne t’oublierons jamais, ma petite sœur. Energique et déterminée, tu l’auras été durant chacune de tes trente-trois années d’une vie exceptionnelle.
Après la mort de notre père, tué au cours de la Grande Guerre en 1916, alors que tu n’avais que trois ans et demi, nous avons vécu avec notre mère puis, sur décision juridique, nous sommes allées rejoindre notre grand-mère paternelle qui vivait à Villeneuve-sur-Lot.
Tu avais un an de moins que moi mais nous avons été bachelières la même année, celle de tes 17 ans, et tu as été admise à la faculté de médecine de Paris pour entreprendre un magnifique parcours qui s’est achevé par un titre de docteur en 1939. Tu étais l’une des trois cent cinquante femmes-médecins en France à cette époque. Heureusement que tout çela a bien changé !
Pendant la Seconde guerre mondiale, tu as immédiatement choisi la Résistance. Tu as soigné les aviateurs alliés blessés, participé à la Libération de Paris puis à la bataille des Vosges. Au cours des premiers mois de 1945, appelée par le général de Gaulle, tu t’es vu confier une mission très difficile : partir en Pologne pour tenter de rapatrier le plus possible de ressortissants français soumis au Service du Travail Obligatoire par les Allemands. Ils étaient cinq cent mille disséminés dans un pays ravagé par la guerre.
La tâche était incommensurable, ta détermination l’a rendue réalisable. Nommée médecin-chef de l’hôpital français à Varsovie, tu t’es mise d’abord au service de tous les malades qui arrivaient en grand nombre pour bénéficier des soins procurés par la Croix-Rouge Française. Et puis, il y a eu ce moment de grâce en juillet 1945 où tu as reçu l’appui de onze femmes, dont la cheffe d’unité Violette Guillot, qui ont pris la direction de la Pologne avec cinq ambulances. Elles ont formé « L’Escadron bleu » qui est venu t’épauler dans ta recherche des survivants.
Que ferais-tu Madeleine aujourd’hui ? Te lancerais-tu avec cette belle énergie, dans la recherche des migrants qui pensent échapper à leurs bourreaux en montant dans une embarcation le long des côtes libyennes ? Serais-tu de celles et ceux qui alertent chaque jour sur la détresse de tous ces êtres humains poussés à la mer par la volonté de quelques dictateurs aveuglés par le pouvoir et l’argent et sourds aux cris de leurs populations exsangues ?
Tu serais certainement à nouveau dans ce camp de femmes en première ligne qui ont sorti des milliers de corps décharnés par l’enfer de la Seconde guerre mondiale pour les aider à se rétablir lentement, patiemment, dans leur dignité d’hommes libres.
Tu as mené plus de deux cents missions en Pologne, sauvé mille cinq cent quarante grands malades en les extirpant des griffes d’Allemands traqués mais toujours armés ou de Russes assoiffés de vengeance et coupables des pires exactions. Après tes longues journées de travail à l’hôpital, tu allais au secours de religieuses violées des dizaines de fois par des soldats russes ivres et désaxés. Tu les as accouchées dans le plus grand secret, tu as accompagné et réconforté ces femmes meurtries, mises constamment en danger par de sauvages envahisseurs. En parvenant à transformer le couvent en orphelinat, tu as sauvé la plupart des nouveau-nés, tu as même réussi à en faire adopter vingt-quatre par des familles françaises. Tu t’es complètement investie dans ce combat permanent contre une violence démentielle qui se poursuit malheureusement et inexorablement dans tous les pays en guerre.
Ta mission officielle a pris fin en novembre 1945 mais tu n’as pas renoncé à ta mission humaine. Tu es repartie en Pologne dès le début de l’année suivante, tu as poursuivi ton œuvre d’accompagnement psychologique de toutes les victimes de viols et, une nuit d’hiver, tu as perdu la vie quand la voiture, dans laquelle tu t’étais installée en tant que passagère, s’est fracassée contre un arbre.
Je ne sens plus le parfum de ta peau depuis cette soirée tragique mais tu es toujours présente à mes côtés. Et, chaque jour, au regard de tout ce qui nous entoure, je me dis que toi, Madeleine, tu serais aux côtés de ceux qui souffrent et qui s’accrochent à la survie que leur imposent des criminels contre l’humanité connus de tous mais impunis.
Je sais que tu parcourrais la Syrie comme tu as parcouru la Pologne pour sauver des vies. Tu aiderais à reconstruire des hôpitaux, des orphelinats, des écoles détruits sciemment par des bombardements incessants et bien ciblés. Tu monterais dans le Sea Bird pour repérer les embarcations surchargées par des profiteurs du malheur qui prolifèrent et font fortune. Tu naviguerais en Méditerranée sur l’Océan Viking ou le Louise Michel (quel symbole !) avant que ces innocents n’aillent s’ajouter à la trop longue liste des condamnés à mort dans l’immense cimetière marin. Et tu réussirais à affréter un nouveau bateau avec le concours de donateurs convaincus par ton équipe de battantes, toutes à l’image de l’Escadron bleu en 1945, que les missions à venir seront encore plus nombreuses et essentielles que celles d’hier et aujourd’hui.
Le sillon, rempli d’humanité, que tu as tracé il y a plus de soixante-quinze ans ne se refermera jamais. Il y a eu et il y aura d’autres Madeleine et d’autres escadrons bleus. Bientôt, l’Escadron Amel verra le jour. Amel veut dire « espoir », « espérance » en langue syrienne.