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« Dans 24 heures, l'humanité aura pris fin. »
La Voix s'était fait entendre par tous les moyens. De Fox News aux radios locales, en passant par chaque écran de smartphone, le piratage était planétaire. Quiconque se trouvait à proximité d'un support de diffusion audio ou vidéo l'avait entendue.
La Voix. Aussi continue qu'un courant électrique, prononçant ces sept mots glaçants par le biais d'une bouche androgyne filmée en très gros plan.
La bouche avait disparu comme elle était apparue. Passée une stupéfiante seconde, les journalistes avaient improvisé. L'excitation du scoop transpirant dans leurs pupilles, ils imaginaient déjà les terroristes, l'État islamique, ou bien une nouvelle pandémie. Mieux : une pandémie lancée par l'État islamique ! Ils enchaînaient les appels aux experts, de tout et de rien, en direct de partout, puisque nul ne savait d'où la Voix s'était exprimée. Les duplex mettaient en relation New York avec Paris, Paris avec Pékin, Pékin avec Rio. On se partageait l'absence d'information dans toutes les langues.
Les présidents avaient multiplié les déclarations rassurantes et fermes. Ils étaient sur le coup : FBI, armée et NASA travaillaient de consort, passaient chaque lieu sensible au peigne fin. Si une bombe se cachait quelque part, on pouvait compter sur eux pour la débusquer. Et, bombe ou pas bombe, les auteurs de la menace seraient punis avec la plus inflexible sévérité !
La menace était leur seul indice, à la fois vague et précis. On ne savait quoi craindre, pourtant, le compte à rebours était lancé.
Dans un peu moins de vingt-et-une heures, l'humanité prendrait peut-être fin.
Pour certains, il s'agissait d'une fausse alerte, d'une plaisanterie de très grande ampleur et de très mauvais goût. D'autres pensaient à un complot gouvernemental voué à les asservir plus encore.
La plupart, cependant, paniquaient. De l'aube au cœur de la nuit, selon le fuseau horaire où la nouvelle leur tombait dessus, les gens avaient des nœuds dans l'estomac, d'autres dans les méninges et une terrible solitude plantée dans la poitrine.
Qu'allait-il leur arriver ?
Cette question, Eva ne se la posait pas : elle dormait. Elle avait toujours adoré dormir. Ce que le monde absurde tardait à lui offrir, elle se l'appropriait dans ses rêves, le soir venu, ou au cours de la journée, si la délicieuse possibilité d'une sieste se présentait à elle : sur le coin de son bureau, dans la blondeur nacrée de ses cheveux, contre l'épaule d'une grand-mère entre deux arrêts de bus, elle rejoignait les infinis méandres de son esprit.
Lorsqu'elle se réveilla, six heures après la menace de la Voix, elle était bêtement dans son lit. Sur l'oreiller voisin, Albert ronflait. Au mouvement des draps, il secoua ses oreilles pointues et vint ronronner sous la joue de sa maîtresse.
Eva et Albert quittèrent le lit de la même démarche ronde et délicate, la haute queue du chat devançant la blanche culotte d'Eva. Devant un bol de céréales et un autre de croquettes, ils s'infligèrent les informations.
Les frontières étaient fermées, les avions cloués au sol, les trains, métros et bateaux stationnés à quais. Les riches prenaient leurs jets privés pour rejoindre leurs îles privées. Les moins riches formaient d'interminables files de voitures pour fuir les villes à la vitesse du klaxon. On criait par la vitre, on avait tous la meilleure raison de passer devant les autres. Personne ne savait rien, mais la rumeur faisait foi, les réseaux sociaux s'établissant en dictateurs. La Voix, c'était l'étranger. L'Occidental, l'Oriental, l'austral. Selon sa position sur le globe, le coupable venait de l'exact opposé, fomentant l'attentat dans sa langue obscure, guettant l'occasion de ses yeux indigènes. Il s'était infiltré pour mieux trahir, là, dans la foule, à quelques mètres. Pour s'éloigner du danger, ceux qui n'avaient pas de véhicules marchaient le long des routes, leurs vies sur les épaules.
Delhi, Lagos, Mexico.
Karachi, Sao Paulo, Kinshasa.
Le Caire, Manille, Tokyo.
Buenos Aires, Istanbul, Bogota...
Les mégalopoles se vidaient, au soleil de midi, à la dorure de la lune, sous une chaleur estivale ou les pieds dans la neige. Chaque situation était unique, et toutes pourtant étaient identiques. L'exode. Total, insensé, avec la peur pour seul phare.
Il restait dix heures à vivre.
En l'absence de pistes, les gouvernements empilaient les décisions radicales. Comme une démangeaison dont on ne trouve pas la source : on commence par se gratter, puis se griffer, s'écorcher, on trancherait bien un pied ou un bras. À force de tout couper, on finirait bien par éteindre le prurit.
Couvre-feux et lois martiales luttaient contre le désordre. Ceux qui ne fuyaient pas pillaient. Les magasins étaient éventrés pour faucher un paquet de riz ou le dernier iPhone. Les forces armées usaient de fumigènes et de matraques pour disperser les foules.
Devant les caméras de CNN, on vit un petit garçon escalader un camion de police pour échapper aux bousculades. Le visage en pleurs, un épi de cheveux roux dressé sur la tête, il appelait sa mère d'un hurlement lorsqu'une balle transperça son t-shirt à l'effigie des Avengers. Il s'effondra, le cœur rouge, et avant d'avoir touché le sol, l'image de sa mise à mort avait fait le tour de la terre.
Le compte à rebours indiquait 4 heures lorsque la guerre civile éclata. Partout. Les peuples s'armaient pour affronter les uniformes. Ceux qui ne combattaient pas se barricadaient. Ils poussaient les meubles devant les portes, clouaient des planches. On s'agressait entre voisins, perçait les ampoules des vieilles rancœurs à coups de couteaux de cuisine. Les viols souillaient les chambres sombres, les couloirs désaffectés, les ruelles, les supermarchés, les jardins d'enfants. Il n'y avait plus rien à perdre, alors on prenait tout.
Les présidents, eux aussi, étaient au combat : dans leurs fauteuils de cuir, un téléphone à la main. On réclamait à l'autre des preuves d'innocence qui ne venaient jamais. Il restait moins de deux heures pour agir. Et pour les plus hautes sphères du pouvoir, la meilleure des défenses avait toujours été l'attaque.
Il existait dix valises nucléaires dans le monde. Aux États-Unis, c'était une mallette noire antichoc ; en Russie, elle était grise à la serrure argentée ; en Corée du Nord, recouverte de soie tendue. Toutes furent ouvertes à quelques minutes de la fin des temps.
Eva était allongée dans l'herbe lorsque les champignons apparurent au-dessus de cinquante-quatre capitales mondiales. Albert reniflait les pâquerettes à ses côtés, coursait une abeille. C'était la première fois qu'il rencontrait la nature. Il n'avait connu jusqu'ici que la froideur de leur appartement. Le regard au ciel, Eva se laissait bercer par les branches. Elle s'était déshabillée entièrement, délestée de tout artifice. Le rêve allait la prendre d'ici peu, elle sentait déjà sa caresse familière. Elle avait entendu les bombes, au lointain, elle trouvait que la note sonnait comme un gong tibétain. La terre tremblait, un souffle vaste et sec se leva.
Guidée par une odeur vive, Eva s'assit en tailleur. Il se trouvait là des fleurs fuchsia aux pétales allongés. D'autres semblaient des fougères blanches. De fines tiges roses avaient pour pistils de minuscules pompons jaunes et pâles. Elle se pencha pour cueillir un bouquet de verdure. À peine en humait-elle le parfum, qu'elle ressentit un frémissement au niveau de sa colonne vertébrale. Elle glissa une main dans son dos pour constater des bourgeons sous l'épiderme. Les fleurs en naquirent à une vitesse folle, courant jusqu'à ses épaules, contre ses fesses. Les mêmes fleurs qu'elle tenait dans sa main.
Autour d'elle, et partout dans le monde, le spectacle se répétait : chacun voyait son corps transformé en terreau d'une fertilité sans borne. Les peaux claires, brunes ou dorées prenaient une teinte bleu maritime. Les fleurs grandissaient, les corps diminuaient.
Il n'y avait pas de cris, pas de stupeur, juste une pensée : le moment était venu de passer le relais.
La Voix s'était fait entendre par tous les moyens. De Fox News aux radios locales, en passant par chaque écran de smartphone, le piratage était planétaire. Quiconque se trouvait à proximité d'un support de diffusion audio ou vidéo l'avait entendue.
La Voix. Aussi continue qu'un courant électrique, prononçant ces sept mots glaçants par le biais d'une bouche androgyne filmée en très gros plan.
La bouche avait disparu comme elle était apparue. Passée une stupéfiante seconde, les journalistes avaient improvisé. L'excitation du scoop transpirant dans leurs pupilles, ils imaginaient déjà les terroristes, l'État islamique, ou bien une nouvelle pandémie. Mieux : une pandémie lancée par l'État islamique ! Ils enchaînaient les appels aux experts, de tout et de rien, en direct de partout, puisque nul ne savait d'où la Voix s'était exprimée. Les duplex mettaient en relation New York avec Paris, Paris avec Pékin, Pékin avec Rio. On se partageait l'absence d'information dans toutes les langues.
Les présidents avaient multiplié les déclarations rassurantes et fermes. Ils étaient sur le coup : FBI, armée et NASA travaillaient de consort, passaient chaque lieu sensible au peigne fin. Si une bombe se cachait quelque part, on pouvait compter sur eux pour la débusquer. Et, bombe ou pas bombe, les auteurs de la menace seraient punis avec la plus inflexible sévérité !
La menace était leur seul indice, à la fois vague et précis. On ne savait quoi craindre, pourtant, le compte à rebours était lancé.
Dans un peu moins de vingt-et-une heures, l'humanité prendrait peut-être fin.
Pour certains, il s'agissait d'une fausse alerte, d'une plaisanterie de très grande ampleur et de très mauvais goût. D'autres pensaient à un complot gouvernemental voué à les asservir plus encore.
La plupart, cependant, paniquaient. De l'aube au cœur de la nuit, selon le fuseau horaire où la nouvelle leur tombait dessus, les gens avaient des nœuds dans l'estomac, d'autres dans les méninges et une terrible solitude plantée dans la poitrine.
Qu'allait-il leur arriver ?
Cette question, Eva ne se la posait pas : elle dormait. Elle avait toujours adoré dormir. Ce que le monde absurde tardait à lui offrir, elle se l'appropriait dans ses rêves, le soir venu, ou au cours de la journée, si la délicieuse possibilité d'une sieste se présentait à elle : sur le coin de son bureau, dans la blondeur nacrée de ses cheveux, contre l'épaule d'une grand-mère entre deux arrêts de bus, elle rejoignait les infinis méandres de son esprit.
Lorsqu'elle se réveilla, six heures après la menace de la Voix, elle était bêtement dans son lit. Sur l'oreiller voisin, Albert ronflait. Au mouvement des draps, il secoua ses oreilles pointues et vint ronronner sous la joue de sa maîtresse.
Eva et Albert quittèrent le lit de la même démarche ronde et délicate, la haute queue du chat devançant la blanche culotte d'Eva. Devant un bol de céréales et un autre de croquettes, ils s'infligèrent les informations.
Les frontières étaient fermées, les avions cloués au sol, les trains, métros et bateaux stationnés à quais. Les riches prenaient leurs jets privés pour rejoindre leurs îles privées. Les moins riches formaient d'interminables files de voitures pour fuir les villes à la vitesse du klaxon. On criait par la vitre, on avait tous la meilleure raison de passer devant les autres. Personne ne savait rien, mais la rumeur faisait foi, les réseaux sociaux s'établissant en dictateurs. La Voix, c'était l'étranger. L'Occidental, l'Oriental, l'austral. Selon sa position sur le globe, le coupable venait de l'exact opposé, fomentant l'attentat dans sa langue obscure, guettant l'occasion de ses yeux indigènes. Il s'était infiltré pour mieux trahir, là, dans la foule, à quelques mètres. Pour s'éloigner du danger, ceux qui n'avaient pas de véhicules marchaient le long des routes, leurs vies sur les épaules.
Delhi, Lagos, Mexico.
Karachi, Sao Paulo, Kinshasa.
Le Caire, Manille, Tokyo.
Buenos Aires, Istanbul, Bogota...
Les mégalopoles se vidaient, au soleil de midi, à la dorure de la lune, sous une chaleur estivale ou les pieds dans la neige. Chaque situation était unique, et toutes pourtant étaient identiques. L'exode. Total, insensé, avec la peur pour seul phare.
Il restait dix heures à vivre.
En l'absence de pistes, les gouvernements empilaient les décisions radicales. Comme une démangeaison dont on ne trouve pas la source : on commence par se gratter, puis se griffer, s'écorcher, on trancherait bien un pied ou un bras. À force de tout couper, on finirait bien par éteindre le prurit.
Couvre-feux et lois martiales luttaient contre le désordre. Ceux qui ne fuyaient pas pillaient. Les magasins étaient éventrés pour faucher un paquet de riz ou le dernier iPhone. Les forces armées usaient de fumigènes et de matraques pour disperser les foules.
Devant les caméras de CNN, on vit un petit garçon escalader un camion de police pour échapper aux bousculades. Le visage en pleurs, un épi de cheveux roux dressé sur la tête, il appelait sa mère d'un hurlement lorsqu'une balle transperça son t-shirt à l'effigie des Avengers. Il s'effondra, le cœur rouge, et avant d'avoir touché le sol, l'image de sa mise à mort avait fait le tour de la terre.
Le compte à rebours indiquait 4 heures lorsque la guerre civile éclata. Partout. Les peuples s'armaient pour affronter les uniformes. Ceux qui ne combattaient pas se barricadaient. Ils poussaient les meubles devant les portes, clouaient des planches. On s'agressait entre voisins, perçait les ampoules des vieilles rancœurs à coups de couteaux de cuisine. Les viols souillaient les chambres sombres, les couloirs désaffectés, les ruelles, les supermarchés, les jardins d'enfants. Il n'y avait plus rien à perdre, alors on prenait tout.
Les présidents, eux aussi, étaient au combat : dans leurs fauteuils de cuir, un téléphone à la main. On réclamait à l'autre des preuves d'innocence qui ne venaient jamais. Il restait moins de deux heures pour agir. Et pour les plus hautes sphères du pouvoir, la meilleure des défenses avait toujours été l'attaque.
Il existait dix valises nucléaires dans le monde. Aux États-Unis, c'était une mallette noire antichoc ; en Russie, elle était grise à la serrure argentée ; en Corée du Nord, recouverte de soie tendue. Toutes furent ouvertes à quelques minutes de la fin des temps.
Eva était allongée dans l'herbe lorsque les champignons apparurent au-dessus de cinquante-quatre capitales mondiales. Albert reniflait les pâquerettes à ses côtés, coursait une abeille. C'était la première fois qu'il rencontrait la nature. Il n'avait connu jusqu'ici que la froideur de leur appartement. Le regard au ciel, Eva se laissait bercer par les branches. Elle s'était déshabillée entièrement, délestée de tout artifice. Le rêve allait la prendre d'ici peu, elle sentait déjà sa caresse familière. Elle avait entendu les bombes, au lointain, elle trouvait que la note sonnait comme un gong tibétain. La terre tremblait, un souffle vaste et sec se leva.
Guidée par une odeur vive, Eva s'assit en tailleur. Il se trouvait là des fleurs fuchsia aux pétales allongés. D'autres semblaient des fougères blanches. De fines tiges roses avaient pour pistils de minuscules pompons jaunes et pâles. Elle se pencha pour cueillir un bouquet de verdure. À peine en humait-elle le parfum, qu'elle ressentit un frémissement au niveau de sa colonne vertébrale. Elle glissa une main dans son dos pour constater des bourgeons sous l'épiderme. Les fleurs en naquirent à une vitesse folle, courant jusqu'à ses épaules, contre ses fesses. Les mêmes fleurs qu'elle tenait dans sa main.
Autour d'elle, et partout dans le monde, le spectacle se répétait : chacun voyait son corps transformé en terreau d'une fertilité sans borne. Les peaux claires, brunes ou dorées prenaient une teinte bleu maritime. Les fleurs grandissaient, les corps diminuaient.
Il n'y avait pas de cris, pas de stupeur, juste une pensée : le moment était venu de passer le relais.
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Pourquoi on a aimé ?
À mi-chemin entre un récit apocalyptique démentiel et un instant bucolique très doux, ce texte happe par sa construction impeccable et son sens du
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Pourquoi on a aimé ?
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