Je rêvais profondément en parcourant, un fusil à la main, les vignes et les hautaies des environs de Furonières. Comme mon père, soigneux de me contrarier, défendait la chasse, et tout au plus la tolérait à grande peine par faiblesse, j'allais rarement et presque jamais à la chasse avec de vrais chasseurs, quelquefois à la chasse au renard dans les précipices du rocher de Comboire avec Joseph Brun, le tailleur de nos hautaies. Là, placé pour attendre un renard, je me grondais de ma rêverie profonde, de laquelle il eût fallu me réveiller si l'animal eût paru. Il parut un jour à quinze pas de moi, il venait à moi au petit trot, je tirai et ne vis rien. Je le manquai fort bien. Les dangers des précipices à plomb sur le Drac étaient si terribles pour moi que je pensais fort, ce jour-là, au péril du retour ; on se glisse sur des rebords comme A et B avec la perspective du Drac mugissant au pied du rocher. Les paysans avec lesquels j'allais (Joseph Brun et son fils, Sébastien Charrière, etc.) avaient gardé leurs troupeaux de moutons dans ces pentes rapides dès l'âge de six ans et nuds-pieds ; au besoin ils ôtaient leurs souliers. Pour moi, il n'était pas question d'ôter les miens, et j'allai deux ou trois fois au plus dans ces rochers.
J'eus une peur complète le jour que je manquai le renard, bien plus grande que celle que j'eus, arrêté dans un chanvre en Silésie (campagne de 1813) et voyant venir vers moi tout seul dix-huit ou vingt cosaques. Le jour de Comboire je regardais à ma montre qui était d'or comme je fais dans les grandes circonstances pour avoir un souvenir net au moins de l'heure, et comme le fit M. de Lavalette au moment de sa condamnation à mort (par les Bourbons). Il était huit heures, on m'avait fait lever avant jour, ce qui me brouille toujours toute la matinée. J'étais rêvant au beau paysage, à l'amour et probablement aussi aux dangers du retour, quand le renard vint à moi au petit trot. Sa grosse queue me le fit reconnaître pour un renard, car, au premier moment je le pris pour un chien. En S, le sentier pouvait avoir deux pieds, et en S' deux pouces, il fallait que le renard fît un saut pour passer de S' en H, sur mon coup de fusil il sauta sur des brousailles en B, à cinq ou six pieds au-dessous de nous.
Les sentiers possibles, praticables même pour un renard, sont en petit nombre dans ce précipice ; trois ou quatre chasseurs les occupent, un autre lance les chiens, le renard monte et fort probablement, il arrive sur quelque chasseur.
Une chasse dont ces chasseurs parlaient sans cesse est celle des chamois, au Peuil de Claix, mais la défense de mon père était précise, jamais aucun d'eux n'osa m'y mener. Ce fut en 1795 je pense que j'eus cette belle peur dans les rochers de Comboire.
J'eus une peur complète le jour que je manquai le renard, bien plus grande que celle que j'eus, arrêté dans un chanvre en Silésie (campagne de 1813) et voyant venir vers moi tout seul dix-huit ou vingt cosaques. Le jour de Comboire je regardais à ma montre qui était d'or comme je fais dans les grandes circonstances pour avoir un souvenir net au moins de l'heure, et comme le fit M. de Lavalette au moment de sa condamnation à mort (par les Bourbons). Il était huit heures, on m'avait fait lever avant jour, ce qui me brouille toujours toute la matinée. J'étais rêvant au beau paysage, à l'amour et probablement aussi aux dangers du retour, quand le renard vint à moi au petit trot. Sa grosse queue me le fit reconnaître pour un renard, car, au premier moment je le pris pour un chien. En S, le sentier pouvait avoir deux pieds, et en S' deux pouces, il fallait que le renard fît un saut pour passer de S' en H, sur mon coup de fusil il sauta sur des brousailles en B, à cinq ou six pieds au-dessous de nous.
Les sentiers possibles, praticables même pour un renard, sont en petit nombre dans ce précipice ; trois ou quatre chasseurs les occupent, un autre lance les chiens, le renard monte et fort probablement, il arrive sur quelque chasseur.
Une chasse dont ces chasseurs parlaient sans cesse est celle des chamois, au Peuil de Claix, mais la défense de mon père était précise, jamais aucun d'eux n'osa m'y mener. Ce fut en 1795 je pense que j'eus cette belle peur dans les rochers de Comboire.