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Sarmomille ouvrit une paupière dans un râle empreint de mécontentement. Le vacarme du pic vert sur le tronc du vieux rouvre l'avait tirée de sa sieste. Le sonneur ignorait bien sûr qu'une telle témérité le condamnait à un funeste destin.
 Oh ! Chiabrena, tu ne peux donc pas garder le secret ? Cela fait-il si longtemps que je pionce ? Ma légendaire ire en cas de bousin est-elle passée aux oubliettes ?
Déterminée à faire payer le volatile importun de sa vilaine audace, Sarmomille se leva, tira de sous son oreiller sa baguette magique et se précipita au-dehors. Du moins, l'avait-elle prévu ainsi, car elle se trouva nez à nez avec un mur de terre qui obstruait son passage. Surprise, elle constata seulement alors, et avec une pointe de suspicion, le désordre qui l'entourait. Tout n'était que pourriture et poussière. Certes, elle n'était pas une fée, mais elle savait d'ordinaire tenir son logis. Or, excepté sa baguette et ses guenilles, toute sa cabane sentait sérieusement le moisi.
 C'est-y pas trouble, mon Hubert ? Hubert ? Où est donc passé ce greffier 
En place du perchoir du félin, libre de tout occupant depuis trente-cinq générations, gisait un infime amas de sciure. Sarmomille, d'habitude sagace, s'avoua un peu perdue. Le vacarme, à présent accompagné de secousses inquiétantes, devenait bien trop sonore pour un pic vert. Cela n'arrangea aucunement les réflexions de Sarmomille et lorsqu'une brèche s'ouvrit sur le toit, elle ne put contenir un petit cri. La silhouette d'un homme apparut dans un halo de lumière qui inonda la modeste demeure. La sorcière, dans un instinct de survie inné à sa profession, se tint sur ses gardes.
 Bob ! Je crois qu'on est tombé sur un os, fit la voix extérieure. T'es sûr que c'est ici qu'il fallait creuser ? Ah oui ? Je dirais plutôt que c'est un ancien caveau à en juger l'odeur. Qu'est-ce que j'en sais si le cadastre le mentionne. J'suis pas géomètre. Attends, y a un truc qui bouge...
Les paroles de l'inconnu, bien qu'étranges, arrivèrent aux oreilles de Sarmomille et lui confirmèrent qu'elle n'était ni sourde ni morte, ce qui était déjà en soi rassurant. Il était déguisé d'un vêtement au bleu ridicule. Ce n'était ni un gueux ni un nobliau, de cela elle pouvait jurer. Il tenait entre ses mains un ustensile pesant à la pointe de fer qui vrombissait tels mille essaims. Sarmomille devina à son niaiseux regard que l'homme en bleu avait, lui aussi, bien du mal à comprendre la situation. Puis il se reprit et tendit une main crasseuse à la sorcière.
 Eh ben, ma petite dame. On est tombée ? Va falloir me dire comment, mais bon, on va déjà vous tirer de là, vous en faites pas.
Rassurée, Sarmomille ne l'était pas. L'état de délabrement de son domicile et le drôle au patois hermétique l'incitaient à la prudence. Elle en était convaincue, ça ne tournait pas rond. Elle accepta néanmoins l'aide proposée et sortit de son trou avec plus de questions que lorsqu'elle y était entrée huit siècles plus tôt. 
Il se peut, songea-t-elle, que je sois encore en train de roupiller. Point de chêne, point de pic vert, point de collines ou de village. Ou alors je suis victime d'un faément. Un mauvais tour de l'Hellequin sans doute. Il n'a guère apprécié mon dernier envoutement pour le faire taire, lui et sa bande de truandailles. 
Son nouvel environnement sortait tout droit d'un mauvais rêve. D'étranges constructions l'entouraient, la nature était pervertie quand elle n'était tout simplement pas absente et l'air était vicié. Elle se garda bien de toute conclusion hâtive, mais ce qui lui faisait face ne l'encourageait pas à l'optimisme.
 Sacrebleu, qu'est-ce que c'est que ce bourbier ? lâcha-t-elle.
 On dirait que vous êtes pas en forme ma bonne dame. Vous voulez que j'appelle le SAMU ? Votre famille ?
 Rah, mais ferme ton clape-fumier, terreux, je n'arrive pas à aligner les lanternes.
Claquant sa baguette tel un fouet, Sarmomille joignit l'acte à la parole. Et sous le regard médusé de Bob, son collègue se transforma en un crapaud aussi boutonneux qu'il avait dû l'être à l'adolescence. Bob baragouina quelques onomatopées incompréhensibles avant de subir le même sort. Sarmomille les fourra alors tous les deux dans sa poche.
 Faut toujours avoir de la bave sur soi et vu le débit du corniaud, je ne risque pas d'en manquer. Ma brave Sarmomille, il va falloir t'y faire. Le monde est devenu fol. Si tu ne veux pas rester coquefredouille, tu vas devoir trouver quelqu'un pour t'aider. Et un malin. 
La voilà donc partie dans les rues, ponctuant chaque nouvelle découverte du monde moderne d'un : « C'est-y pas vrai ? », « Tudieu ! » ou « Mordiable ! ». Son flair la conduisit dans le jardin d'une maison pavillonnaire où un chat noir ronflait sous un figuier. Son maître occupé à repiquer des géraniums interpella la sorcière au moment où elle enjambait la haie qui ceignait sa propriété.
L'ignorant totalement, Sarmomille fila droit sur le félin. Mais c'était sans compter la pugnacité de l'homme à défendre son territoire face à ce qu'il considérait comme une menace, tout du moins une déplaisante intrusion. Il n'avait pas fini de la vilipender qu'il rejoignit les deux batraciens dans la poche.
Enfin tranquille, Sarmomille caressa le chat qui prit seulement conscience de la présence de la sorcière. Il ouvrit grand ses deux yeux jaunes à la pupille fendue. Un spécialiste des félidés aurait pu affirmer que l'animal venait de voir une apparition divine.
 Rouges soient les enfers qui m'appellent, cela ne se peut, une sorcière !
Le chat dont l'instinct n'avait pas oublié les anciens mots se pencha dans une révérence solennelle.
 Ici et nulle part ailleurs, répondit Sarmomille. Je le crains et j'en suis défaite. Dis-moi, greffier, que s'est-il passé ces derniers siècles ? Je sors de ma sieste et voilà que le monde s'est perdu en chemin. 
 En effet, sorcière. À ma grande honte, je dois malheureusement admettre que ma race n'a plus servi tes semblables depuis des lunes et pour cause, vous avez disparu quand la grande Sarmomille s'est elle-même évanouie. Et ainsi l'homme a profité de votre absence pour accomplir les pires ignominies.
 Outrages ! hurla la sorcière. Que tous ces pleutres soient cent fois maudits. Raconte. Raconte-moi tout.
Un cours d'histoire fut donc donné. Le nouvellement nommé Hubert fit un récit exhaustif à Sarmomille, car, et nous ne le dirons jamais assez ; les chats sont source de sagesse et gardiens de la mémoire ancestrale de notre monde. Ce n'est pas pour rien qu'ils furent les préférés des maîtresses des arts occultes, n'en déplaise aux freux. La colère de la vieille femme gravit les années de la frise chronologique de l'Histoire pour atteindre son paroxysme au début du vingt et unième siècle.
En fin de récit, elle n'était plus que rage, désespoir et lamentations.
 T'en rends-tu compte Hubert ? Ainsi plus rien n'étonne les hommes. Ils ont même réussi à rapiner la couronne du Malin. Ils gouvernent le monde et ses lois fondamentales et ont chassé de leur vie mystère, magie et exaltation.
Elle sortit alors de sa poche les trois crapauds. 
 Les hommes ne méritent nullement de vivre, mais tout est de ma faute. Si je ne m'étais pas endormie, nous autres sorcières aurions continué à semer l'effroi dans leur cœur dès qu'ils se seraient écartés du droit chemin. Ils n'auraient pas osé affronter les mystères de la nature sous peine de nous défier. Il est hélas trop tard. Je m'en vais les laisser, pauvres condamnés, et ces trois-là termineront leur vie sans doute plus heureux dans une mare qu'à ainsi trimer. Allons, Hubert, partons.
Soudain, le sol sous les pieds de Sarmomille s'ouvrit béant et la sorcière commença à choir.
Elle tomba, tomba, tomba encore jusqu'à sentir la terre froide et les racines du chêne sur le sol de sa cabane...
Un cauchemar. Mais quel cauchemar ! Prémonitoire peut-être ? Cela ne serait pas la première fois. Et le clin d'œil complice de son chat ne la rassura pas. Un tel futur, jamais n'allait devoir être et foi de Sarmomille, elle allait s'en assurer.

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