Un voyage à pâtes

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J'avais quitté l'auberge à l'aube pour marcher à la fraîche, ce que je faisais depuis deux bonnes heures déjà quand j'ai aperçu la première pâte. Le sentier parfaitement carrossable donnait une impression d'artifice, et cette petite chose blafarde et molle qui s'y vautrait renforçait encore, par contraste, cette impression. Une pâte froide mais cuite, et un peu trop à ce qu'il me sembla.
Je ne sais ce qui me prit à cet instant, mais j'ai décidé de la ramasser. J'ai posé mon sac contre un arbuste et j'ai cherché dans une des poches un sachet où déposer ma trouvaille.
C'était une coquillette ordinaire, une pâte banale et solitaire dont la seule particularité réelle – en dehors d'une cuisson inadéquate – était de n'avoir encore attiré aucun prédateur. Ce dernier point semblait indiquer qu'elle ne se trouvait pas là depuis bien longtemps. Et dans cette forêt déserte, cela me sembla étrange et me décida à reprendre ma route sans tarder.
Une petite centaine de mètres plus loin, une autre pâte, même allure, même cuisson, même impunité, qui rejoignit aussitôt sa congénère dans la pochette que j'avais gardée dans la main. Cinquante autres pas, une autre pâte. Puis une autre. Et encore une autre : ça n'arrêtait plus. En une petite heure, j'en récoltais l'équivalent d'une portion.
Vers la fin de la matinée, je découvris au beau milieu du chemin un couvercle de boîte en plastique, ces boîtes destinées à la conservation des aliments, et pour lesquelles jamais on ne trouve le bon couvercle quand on le cherche.

Ça faisait un paquet d'années que j'étais sur la route, mais c'était la première fois que le problème se posait à moi dans ce sens. Jamais jusqu'alors, dans ma vie de marcheur, je n'avais eu à chercher la boîte correspondant au couvercle. J'avais tout abandonné, maison, famille, amis, pour échapper à cette quête permanente des couvercles à laquelle nous contraint la vie moderne : c'est dire si la proposition inverse que me faisait le sort me bouleversait.

J'ai senti ma tension augmenter et l'émotion qui montait. J'ai décidé de ne pas m'arrêter avant d'avoir trouvé la boîte, qui ne pouvait être, j'en fus certain après avoir mieux examiné le couvercle, que celle d'où s'échappaient les coquillettes trop cuites que je capturais depuis le matin. J'ai marché, marché jusqu'à la nuit en ramassant des pâtes. J'ai fini par trébucher sur l'obstacle attendu : une boîte en plastique.
Un reste de pâtes accroché aux parois, l'exacte correspondance avec le couvercle déjà en ma possession : ma quête aboutissait.
Ces pâtes, ce couvercle, cette boîte n'avaient pu venir seuls à ma rencontre. Quelqu'un devait les avoir perdus. Ou déposés, mais à quelle fin ?

Dans l'obscurité naissante, une lueur attira mon attention. Dans une petite clairière en contrebas, on avait allumé un feu. Je m'approchais doucement et la vis : une jeune femme qui tenait à pleines mains une casserole de coquillettes trempant dans l'eau froide.
Je décidais de révéler ma présence : debout, je levais les bras et, brandissant en signe de paix et de reconnaissance mon sachet de pâtes molles dans une main, et dans l'autre leur boîte originelle et son couvercle, je marchais résolument en direction de celle qui devait les avoir perdus.
Elle m'entendit avant de me voir et, devinant quelles critiques le voyageur s'apprêtait à proférer quant à sa manière de cuire les pâtes, me coupa d'entrée de jeu d'un « Bonsoir monsieur. Auriez-vous un peu de sel ? »

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