Pour guérir un rhume

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Il est bon, peut-être, d'écrire pour l'amusement du public ; mais il est infiniment plus relevé et plus noble d'écrire pour son instruction, son profit, son bénéfice actuel et palpable. C'est l'unique objet de cet article. S'il a quelque efficacité pour rappeler à la santé un seul de mes semblables, pour rallumer une fois de plus la flamme de l'espoir et de la joie en ses yeux, pour rendre à son cœur désolé les vifs et généreux battements des beaux jours, je serai amplement récompensé de mon travail ; mon âme pourra connaître alors les saintes délices qu'éprouve un vrai chrétien quand il a fait avec courage une action bonne et désintéressée.
Dans l'incendie de la Maison-Blanche, je perdis mon intérieur, ma félicité, ma santé et ma malle. La perte des deux premiers objets n'était pas de grande conséquence. On se refait aisément un intérieur, lorsque dans l'intérieur perdu il n'y avait ni mère, ni sœur, ni parente à un degré quelconque, pour vous rappeler, en rangeant vos bottes et votre linge sale, que quelqu'un au monde pensait à vous. Quant à la perte de ma félicité, ça m'était fort égal, par cette raison que, n'étant pas poète, la mélancolie ne pouvait longtemps cohabiter avec moi. Mais perdre une bonne santé et une excellente malle, c'était infiniment plus sérieux.
Le jour même de l'incendie, ma santé succomba sous l'influence d'un rhume cruel, que j'attrapai en faisant des efforts surhumains pour recouvrer ma présence d'esprit.
Du reste, ça ne me servit absolument à rien ; le plan que je combinai alors pour éteindre le feu, était trop compliqué ; je ne pus le terminer avant la fin de la semaine suivante.
La première fois qu'il m'arriva d'éternuer, un ami me conseilla de prendre un bain de pieds bouillant et de me mettre au lit. Ce qui fût fait. Peu après, un autre ami me conseilla de me lever et de prendre une douche froide. Ce qui fut fait également. Bientôt, un troisième ami m'assura qu'il fallait toujours, suivant le dicton, «nourrir un rhume et affamer une fièvre». Rhume et fièvre, j'avais les deux. Aussi pensai-je faire pour le mieux en m'emplissant d'abord l'estomac pour nourrir le rhume, et en allant subséquemment affamer la fièvre à l'écart.
En pareil cas, rarement je fais les choses à moitié. Je résolus donc d'être vorace. Je me mis à table chez un étranger qui venait d'ouvrir un restaurant à prix fixe le matin même. Il attendit près de moi, dans un respectueux silence, que j'eusse fini de nourrir mon rhume, et alors me demanda si l'on était très sujet aux rhumes en Virginie. Je répondis affirmativement. Il sortit, ôta son enseigne et ferma boutique.
Je me rendis à mes affaires. Chemin faisant, je rencontrai un quatrième ami intime ; il me dit qu'il n'y avait rien au monde pour guérir un rhume comme un verre d'eau salée bien chaude. J'avais peur de n'avoir plus la moindre place vacante dans mon estomac. A tout hasard, j'essayai d'avaler. Le résultat fut merveilleux. Je crus que j'allais rendre mon âme immortelle.
Je n'écris ce détail que pour le profit de ceux qui sont affligés d'un malaise pareil au mien ; qu'ils se gardent de l'eau salée chaude. Ce peut être un bon traitement, mais c'est un traitement de chien. Si j'attrapais un autre rhume de cerveau, et qu'il me fallût absolument, pour m'en débarrasser, choisir entre un tremblement de terre et un verre d'eau salée chaude, ma foi ! je crois que je préférerais avaler tout le tremblement.
Quand l'orage suscité dans mes entrailles se fût calmé, aucun autre bon Samaritain ne se présenta pour me donner aucun autre bon conseil; j'allai, empruntant partout des mouchoirs de poche et les mettant en bouillie, tout à fait comme au début de mon rhume. Survint une vieille dame, qui arrivait justement de par delà les plaines. Elle habitait, paraît-il, un pays où généralement les médecins brillaient par leur absence. Elle s'était donc trouvée dans la nécessité d'acquérir une habileté considérable pour la guérison des petites indispositions courantes. Je compris qu'elle devait avoir beaucoup d'expérience, car elle semblait avoir cent cinquante ans.
Elle me fit une décoction de tabac, de bismuth, de valériane et autres drogues amalgamées, et me prescrivit d'en prendre un petit verre tous les quarts d'heure. Le premier quart d'heure fut suffisant. A peine le breuvage absorbé, je me sentis entraîné hors de tous mes gonds, dans les bas-fonds les plus horribles de la nature humaine.
Sous sa maligne influence, mon cerveau conçut des miracles de perversité, que mes mains furent heureusement trop faibles pour réaliser. J'avais épuisé toutes mes forces à expérimenter les divers remèdes qui devaient infailliblement guérir mon rhume ; sans cela j'aurais été, je crois, jusqu'à déterrer, oui, jusqu'à déterrer les morts dans les cimetières.
Comme beaucoup de gens, j'ai parfois des pensées peu avouables, suivies d'actions peu louables. Mais jamais je ne m'étais reconnu une telle dépravation, une dépravation aussi monstrueusement surnaturelle. J'en fus fier.
Au bout de dix jours, j'étais en état d'essayer d'un autre traitement.
Je pris encore quelques remèdes infaillibles, et, finalement, je fis retomber mon rhume de cerveau sur la poitrine.
Je ne cessai de tousser. Ma voix descendit au-dessous de zéro. Chacun des mots que je prononçais roulait comme un tonnerre, à deux octaves plus bas que mon diapason ordinaire. Je ne pouvais régulièrement m'assurer quelques heures de sommeil, la nuit, qu'en toussant jusqu'à complète extinction de mes forces. Et encore, si j'avais le malheur de rêver et de parler en rêve, le son fêlé de ma voix discordante me réveillait en sursaut.
Mon état s'aggravait chaque jour. On me recommanda le gin pur. J'en pris. Puis le gin à la mélasse. J'en pris également. Puis le gin aux oignons. J'ajoutai les oignons, et je pris les trois breuvages mêlés.
Je ne constatai aucun résultat appréciable. Ah ! pardon, mon haleine commença à battre la cloche et à bourdonner terriblement.
Je découvris qu'il fallait voyager pour me rétablir. Je partis pour le lac Bigler, avec mon camarade, le reporter Wilson. Je suis heureux de me souvenir que nous voyagions dans le plus haut style. Mon ami avait pour bagages deux excellents foulards de soie et une photographie de sa grand'mère. Tout le jour, nous chassions, nous pêchions, nous canotions, nous dansions ; et je soignais mon rhume toute la nuit. Par ce procédé, je réussis à obtenir un certain répit, un certain soulagement. Mais le mal continuait tout de même à empirer. C'est singulier, c'est incompréhensible.
Un bain-au-drap me fut recommandé. Je n'avais encore reculé devant aucun remède ; il me sembla honteux, ridicule et stupide, de commencer le recul devant celui-ci. Donc, je résolus de prendre un bain-au-drap, quoique je n'eusse pas la moindre idée de ce que cela pouvait bien être.
Le bain me fut administré à minuit. Il faisait froid. J'avais la poitrine et le dos nus. On enroula autour de moi un drap trempé dans l'eau glacée. Maudit drap ! il semblait qu'à y en eût cinq cents mètres.
On l'enroula, on l'enroula jusqu'au bout, jusqu'à ce que je fusse devenu parfaitement semblable à un énorme paquet de torchons.
Vrai ! c'est un cruel expédient.
Quand le linge glacé touche votre peau tiède, ça vous fait bondir violemment ; ça vous fait ouvrir la bouche comme un four, comme s'il vous fallait avaler un obélisque, comme si l'on allait perdre la respiration, à l'instar des agonisants. Ça me gela la moelle des os ; ça m'arrêta les battements du coeur. Je crus mon heure venue.
Ne prenez jamais un bain-au-drap, jamais ! Après la rencontre d'une connaissance féminine qui, pour des raisons connues d'elle seule, ne vous voit pas quand elle vous regarde et ne vous reconnaît pas quand elle vous voit, il n'y a pas de chose plus désagréable au monde.
Mais continuons. Le bain-au-drap ne m'ayant fait aucun bien (au contraire !), une dame de mes amies me recommanda l'application d'un emplâtre de graine de moutarde sur la poitrine. Je pense que, pour le coup, j'aurais été radicalement guéri sans le jeune Wilson. Quand je fus pour me mettre au lit, je posai l'emplâtre, un superbe emplâtre de dix-huit pouces carrés, sur la table de nuit, à ma portée. Mais le jeune Wilson se réveilla avec une fringale diabolique et dévora l'emplâtre, tout l'emplâtre. Jamais je n'ai vu personne avoir un pareil appétit. Je suis sûr que cet animal-là m'aurait dévoré moi-même, si j'avais été bien portant.
Après un séjour d'une semaine au lac Bigler, je me rendis à Steamboat-Springs, et, outre les bains de vapeur, je pris un tas de médecines les plus horrifiques qu'on ait jamais concoctionnées. On m'aurait bien guéri à la fin, on en était sûr ; mais j'étais obligé de revenir en Virginie.
Je revins, et, malgré une série très panachée de nouveaux traitements, j'aggravai encore mon malaise par toutes sortes d'imprudences.
Enfin, je résolus de visiter San-Francisco. Le premier jour que j'y passai, une dame me dit de boire, toutes les vingt-quatre heures, un quart de whisky, et un citoyen de New-York me recommanda la même absorption. Chacun me conseillant de boire un quart, ça me faisait donc un demi-gallon à avaler. J'avalai. Je vis encore. Miracle !
C'est dans les meilleures intentions du monde, je le répète, que je soumets ici, aux personnes plus ou moins atteintes du même mal, la liste bizarre des traitements que j'ai suivis. Elles peuvent en tâter, si ça leur fait plaisir. Au cas où elles n'en guériraient pas, le pis qui puisse leur arriver, c'est d'en mourir.

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