Oumi

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Et le flon-flon fait son charivari sur la margelle, on dirait une valse à trois temps, à quatre peut-être. La grenouille, une reinette, a mangé le silence. Une vraie régalade. La vie, quoi !

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Le crissement de mes pieds sans semelles sur le sable d'ici est le signal.
Je suis bientôt arrivée.
Encore quelques pas crevassés dans ce trou calcaire et je pourrai enfin poser mes mains comme j'aime tant le faire.
Poser, reposer et déposer mes paumes débrouillardes sur la paroi qui se lit comme un roman vertical.
Ici, c'est mon abri, mon asile, mon atelier, mon terrier, mon gîte, ma bibliothèque.

Ici, c'est creux et profond.
C'est tiède ; ni froid ni chaud ni moite, juste tiède.
Ici, c'est le silence et dehors, le grabuge gronde pour un morceau de couenne sur le dos pelé de la steppe.
Petite paix dans le corridor caché d'avant l'histoire.
Blottie derrière les grosses concrétions, je peux sucer les fruits de ma cueillette et laper le vin de la bête.
Sous le baldaquin pointu des stalactites, je peux dormir. Essayer au moins.
Perchée sur les stalagmites qui ressemblent à des tabourets (ou des tambours, c'est comme on veut), je fourbis mes rêves, mais ce que je préfère, c'est l'éternité écrite sur les murs.
Je la caresse, l'éternité, et je la lis.
Je ne sais pas lire, je fais comme si.

Ma torche brûle le gras du mammouth. Le lourd chandelier de bois diffuse une lumière épisodique sur mes traces.
Presque des mots.
Je lis (j'essaie au moins) ce qui est à la portée de mes doigts ramollis par l'eau des ruissellements.
Les gouttelettes tombées de la voûte blanche pulvérisent une brume sur les figures incrustées dans la roche qui est, désormais et pour toujours, une librairie universelle.
Je lis l'animal qui guette le moment de mon retour vers le monde, juste armée de mon châle en poils de loutre et de mon bâton de pluie.
Je lis et je dis à voix haute ce qui est tracé là, sans mots parce que les mots n'existent pas encore.
Je lis les contes colorés sans rien savoir du temps qui passe ni du lendemain ni de l'hier ni du jour ni de la nuit.
Je lis et je plaque mon corps, petit et marron, dans la beauté littéraire des presque-mots.

Mes cheveux incoiffés sont des pinceaux remarquables : crin trempé dans le pigment, ma tignasse frotte la fresque.
Ma peau ocre le paysage minéral.
Mes dents devenues outils mordent l'eau dans un bout de coquillage.
Il n'y a pas la mer.
Qu'est-ce que c'est, la mer ?
Une bassine lourde pour mes herbes macérées ? Un pichet pour ma bouche ? Une grosse jatte pleine de saumure ?
Qu'est-ce que c'est, la mer ?
Un autre trou sur le plat de la terre laminée par les vents et les pattes des géants ?
Mes pieds pataugent dans une cuvette, ça pique. Je lèche. Ma langue est salée.
C'est la mer, peut-être.
Je vous parle dans le creux de mon trou caché par des branches coriaces.
Entendez-moi.

Maintenant, l'humanité s'éveille.
C'est le premier matin parlé.
Ma grotte est un salon de thé. Elle bavarde, elle cause. Pipelette.
Avec les mots, le masque des bruits archaïques est tombé. Je m'empare de la parole, dis toute la force du monde dans une prose impudique et, à moitié dévêtue, je ris.
C'est la première fois.
Je fabrique l'histoire avec ma voix et mon rire. J'hésite, balbutie, bredouille et ânonne.
Mes sons palpitent et, dans un gribouillis sonore, je souffle sur mes mains artisanes.
J'ai modelé un mot, juste un mot.
Je parle, peins, pétris, j'écris, je sifflote.
L'écriture n'est pas un brame.
L'écriture est une âme, la mienne, accrochée aux étoiles du domicile terrestre, hameçonnée dans ma cachette, âme sonnée par les traces tatouées sur la peau du rocher devenue gazette.

Et si un jour, vous passez par ici, prenez le temps de me regarder.
Vous me reconnaitrez.
Je tresse la crinière du grand cheval, là, en bas, à gauche de l'herbe rouge.
J'ai deux cent cinquante-cinq mille ans.
Autant dire une gamine.
Je m'appelle Oumi.
Approchez-vous, j'ai quelque chose à vous offrir.
Un mot, juste un mot.
Le premier mot de l'humanité.
Approchez-vous.

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