Cette œuvre est
à retrouver dans nos collections
Histoires Jeunesse :
- 11-14 Ans (Cycle 4)
- 8-11 Ans (Cycle 3)
- Animal - Jeunesse
- Aventure & Suspense - Jeunesse
- Aventure & Suspense - Cycle 3
- Aventure & Suspense - Cycle 4
- Contes & Fables - Jeunesse
- Contes & Fables - Cycle 3
- Contes & Fables - Cycle 4
- Imaginaire - Cycle 3
- Imaginaire - Cycle 4
- Imaginaire Jeunesse
- Les Monstres - Cycle 3
Ce jour-là, comme tous les jeudis, Ninon était partie vendre ses œufs au marché, profitant sur le chemin de l'odeur printanière des fleurs. La terre battue absorbait le bruit de ses pas jusqu'à ce qu'un craquement brise ce silence enchanteur. Non pas que ce craquement fut très bruyant, mais quelque chose auprès d'elle s'était brisé. Son regard parcourut le sol à la recherche d'une petite branche mais il s'arrêta sur son petit panier rempli d'œufs, accroché à son bras. L'un des œufs basculait doucement d'avant en arrière.
Ninon s'assit dans l'herbe fraîche et tint l'œuf au creux de ses mains. Soudain, un minuscule morceau de coquille se détacha, suivi d'un deuxième. Quelque chose de pointu se frayait un chemin vers elle. Quand le trou fut assez grand, une étrange petite tête surgit et six yeux orange s'écarquillèrent sur le monde qui l'entourait. L'animal n'avait rien d'un poussin. Sa peau était couverte d'écailles qui changeaient sans cesse de couleur. Son petit bec bleuté serra doucement le doigt de Ninon quand elle l'approcha.
Elle l'aida à se dégager du reste de la coquille et posa sur sa paume cette curieuse bestiole à trois pattes, dotée de deux petites ailes et d'un long cou ondulé. Elle avait aussi une queue verte couverte de duvet. Ninon n'avait jamais rien vu de pareil mais, sorti du village, elle n'avait pas vu grand-chose. Elle en conclut qu'un quelconque animal, venu de la forêt toute proche, avait pondu dans son poulailler.
Elle glissa son nouvel ami dans son chignon, et reprit sa route vers le marché : elle devait bien vendre ses œufs. Elle hâta le pas en pensant à tous les clients qui avaient déjà dû faire leurs achats chez cette peste de Babette !
Dès son arrivée, elle appela les passants :
— Ils sont beaux mes œufs, ils sont tout frais !
Ninon était très aimée dans le village, surtout depuis la mort de ses parents. La pauvre petite avait dû reprendre la ferme alors qu'elle avait à peine quinze ans. Aussi, son panier fut entièrement vidé.
À son tour, Ninon fit le tour des commerçants, achetant une botte de carottes, deux poireaux, quelques pommes de terre, du fromage, du beurre, puis monta au moulin pour un peu de farine. Elle s'offrit aussi de grosses pommes rouges bien brillantes et s'installa sous le saule pleureur devant l'église. Son nouvel ami devait lui aussi avoir besoin de prendre des forces. Elle porta la main à ses cheveux mais n'y trouva rien : le bébé avait dû se perdre dans la foule.
Laissant ses courses sous l'arbre, elle courut vers le marché. La place s'était vidée, et aucun attroupement ne signalait la découverte de Grudu : ce nom s'imposa à elle, et ce n'est plus que sous cette appellation qu'elle pensa à lui. Le calme régnait, sauf à l'étal du boucher, où l'on entendait râler. M. Ravaux se montrait en général jovial. La jeune fille alla donc voir ce qui attisait ainsi sa colère.
— Si même ici on ne peut plus se fier à personne, où va le monde ? s'époumonait M. Ravaux. On n'est plus en sécurité nulle part !
— Que se passe-t-il ? demanda Ninon à la vieille couturière qui était aussi venue voir ce qu'il se passait.
— Apparemment, on lui a volé un rôti et un chapelet de saucisses, mais je crois qu'il est surtout vexé de ne pas avoir vu le voleur ! lui répondit la couturière.
Un doute s'empara de Ninon...
Elle remonta la ruelle qui passait derrière la boucherie et tourna vers la boutique du maréchal-ferrant. Soudain, elle entendit une sorte de mâchouillage, et pria pour tomber sur un chien errant. Au lieu de ça, elle trouva Grudu perché sur l'enseigne du maréchal-ferrant ! Mais ce n'était plus le bébé qu'elle avait cajolé ce matin : il mesurait au moins soixante centimètres. C'est ainsi suspendu qu'il dévorait ses saucisses en les déchirant avec son bec. En voyant Ninon, il émit un son qui ressemblait à un ronronnement. Il descendit de son perchoir pour se blottir dans les bras de la fermière catastrophée. Déjà que les voleurs n'étaient pas appréciés, comment réagiraient-ils face à une bestiole si étrange ? « Un » entendit-elle dans sa tête. En un instant, elle sut avec certitude que Grudu était un mâle, avec la même certitude qu'elle avait su son nom. Grudu lui parlait par la pensée ! Ninon se baissa et ordonna à l'animal de rester sagement là pendant qu'elle retournait chercher ses courses.
De retour là où elle avait laissé Grudu, elle ne le trouva nulle part. Elle commençait à paniquer quand elle le vit soudain apparaître plus loin, devant le mur de l'église : sa peau avait changé de couleur et lui avait permis de se cacher comme un caméléon.
Ninon le ramena chez elle et, avec un peu de foin et de tissu, lui aménagea une petite couche confortable dans le grenier. Grudu mesurait maintenant pas loin d'un mètre ! Malgré tout, Ninon n'avait pas peur. Elle sentait la tendresse qui émanait de Grudu quand elle le regardait et savait que, tant que celui-ci serait bien nourri, elle ne risquerait rien. Au pire, elle le laisserait sortir à la nuit tombée pour satisfaire son appétit dans la forêt.
***
De son côté, la couturière, elle aussi, était rentrée chez elle. Elle avait trouvé cette journée fort distrayante, surtout l'épisode de la boucherie ! Gourmande, elle avait prévu des repas particulièrement succulents : blanquette, purée de céleri, omelette aux champignons, flans... Elle avait acheté huit œufs à Ninon pour ces recettes.
Ses yeux étaient devenus trop vieux pour la couture. En revanche, son ouïe s'était affinée à mesure que sa vue baissait, et elle pouvait entendre une épingle tomber à l'autre bout de la pièce. Elle fut donc très étonnée lorsqu'elle perçut de faibles craquements provenant de son sac de courses...
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Illustration : Mathilde Ernst