La journée d'une amante

L'aurore brille, et je m'éveille,
Je m'éveille songeant à lui,
Et je me répète aujourd'hui
Tous les discours qu'il tint la veille ;
Je me rappelle ce regard
Que, malgré cent beautés déployant tout leur art,
De fixer j'eus seule la gloire ;
Ce serrement de main que j'ai besoin de croire,
Ce souris que l'amour dut peut-être au hasard,
Tout est présent à ma mémoire.
Je me lève, et, charmant par d'heureux souvenirs
Du départ au retour le pénible passage,
Je m'entoure dans mon veuvage
Du souvenir heureux de nos plus doux plaisirs ;
Je chante bien souvent d'une voix attendrie
Les airs qu'auprès de moi chanta sa voix chérie ;
Je relis les écrits que sa main m'a tracés,
Et les vers par sa flamme à ma flamme adressés ;
Je reste bien longtemps immobile à la place
Ou ses pas se sont arrêtés ;
Mes yeux complaisamment se fixent sur la glace
Où j'ai vu ses traits répétés ;
Ce luth dont les cordes mobiles
Célèbrent sous ses doigts habiles
Les travaux de Newton par ses chants agrandis,
Bientôt va soupirer sous mes doigts moins hardis :
Cette fleur par lui fut cueillie ;
Il faut que sur mon sein je place cette fleur :
De ce nouveau ruban il vanta la couleur ;
Il faut par ce ruban que je sois embellie :
Tout m'occupe de lui, tout le rend à mon cœur.
Mais l'heure des amours s'avance ;
Ô transports ! ô vive espérance ! On frappe : c'est lui... Promptement
Relevons notre chevelure,
Qui tombe trop négligemment ;
Arrangeons ce nœud ; la parure
Ne messied point au sentiment,
Et l'art n'est plus que la nature
Lorsque l'on s'embellit pour plaire à son amant.
Il vient, ô de l'amour doux et terrible empire !
Je veux marcher vers lui ; mes genoux ont tremblé :
Je veux parler ; ma voix expire.
Il vient.... Déjà son cœur, troublé,
Bat contre mon cœur, qui soupire ;
Entre mes bras il a volé.
Toi dont la flatteuse présence
M'est chaque jour une faveur,
Cher amant, donne-moi tout ce que ton absence
Dérobe, hélas ! à mon ardeur ;
Rends-moi tous ces regards où respire ton âme ;
Rends-moi ces entretiens qui me peignent ta flamme,
Tous ces riens qui font le bonheur ;
Donne à ton amante fidèle
Mille baisers suivis de mille encor plus doux :
Pardonne si mon cœur te les demande tous ;
Ce sont eux qui me rendent belle.
Reçois aussi les miens, que ton désir appelle ;
D'un invincible amour tous deux unissons-nous.
Ah ! toi seul fis connaître à mon âme charmée
Le bonheur d'aimer pour-jamais,
Le bonheur plus doux d'être aimée !
Reçois le prix de tes bienfaits.
Mais, grands dieux ! quel devoir barbare
À mes tendresses le ravit !
L'airain vient de sonner l'heure qui nous unit,
Et déjà sonne, hélas ! l'heure qui nous sépare,
Qu'ils sont courts et délicieux
Ces moments d'abandon, de transports et d'ivresse,
Où, confondant leurs cœurs toujours plus amoureux,
L'heureux amant, son heureuse maîtresse,
Sans leurs doubles plaisirs oublieraient qu'ils sont deux !
Déjà je ne vois plus ce que mon cœur adore ;
Je ne le vois plus, et je crois
Longtemps le voir, longtemps entendre encor sa voix ;
Il est déjà bien loin, et je lui parle encore :
Trompeuse illusion ! je sens trop qu'il a fui.
Que faire ? Inquiète, troublée,
Perdant jusqu'au plaisir de l'attendre aujourd'hui,
De sa triste absence accablée,
Je cherche à tromper mon ennui ;
J'écris : dans cette lettre, à ma douleur utile,
L'élégance des mots et la pompe du style
Brillent moins que les sentiments ;
J'aime est tout l'esprit des amants.
Diane, plus brillante, achève sa carrière ;
Le sommeil ſait tomber la plume de ma main ;
Je me couche, et me dis, en fermant la paupière,
Je ne le verrai que demain !