Yaadikone

« Moi je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre.».
Jadis, le royaume de Ndoumbélane était au summum de la dépravation. Et quand les ténèbres, une sécheresse puis la peste s'abattaient sur le royaume, c'était pire que Tamerlan. Une véritable malédiction ! Il ne pleuvait plus, toutes les activités agricoles étaient à l'arrêt et la famine se propageait. Le peuple de Ndoumblane craignait un lendemain sombre.
Le grand voyant du royaume au temple sacré qui après des jours de concertations avec ses cauris et djinns annonçait la prophétie : "L'enfant qui mettra fin cette malédiction et fera disparaître les ténèbres n'est pas encore né. Cet enfant béni brisera toutes les malédictions. Il naîtra dans l'eau, aura sa magie et le pouvoir de la résurrection. Il est le seul capable d'arrêter la malédiction".
Le peuple de Ndoubélane croyait aux cauris et à l'interprétation du voyant. Dans la cour royale, une malédiction familiale, la reine Nassira ! à Chaque fois qu'elle mettait au monde un enfant, ce dernier mourrait. Quand elle avait eu son sixième nourrisson. Le bébé décéda mais elle avait prit un morceau de tissu qui avait servi à l'accouchement pour l'attacher au niveau du poignet droit de l'enfant avant son enterrement. Cette pratique, selon la tradition permettait de stopper la malédiction.
Taxée de maudite, elle se faisait répudier par Sangomar quand elle était enceinte de son septième enfant. Elle décidait alors de s'exiler à saraba en passant par la mer. Lors de son voyage, le bateau était plein à craquer. Le temps était devenu orageux. Le vent soufflait et la pluie tombait de plus belle. L'angle de gîte s'accentuait et tous les passagers se réfugiaient du même côté pour éviter les gouttes de pluie. Alors que le bateau était lourdement chargé par les eaux de pluie. Une vague venait projeter la coque du bateau contre un rocher. L'embarcation endommagée et coincée au milieu de la mer commençait à prendre de l'eau. Sous le choc ! Nassira entrait en travail en pleine mer et donnait naissance à son septième enfant, un garçon prématuré de sept mois dont le bras droit n'avait pas de poignet. On lui donnait le nom de Yaadikone qui signifiait le « Revenant » en wolof.
Cet enfant ! C'est moi !
Quelques heures après, nous avions été récupérés par des bidasses qui faisaient la ronde. Cette zone de la mer à l'époque était devenue un important marché d'esclaves. Ils nous avaient contraint de les suivre dans un royaume : Les Tiédos ! Le Roi tiédo tomba sous le charme de ma mère et l'épousait. Il était très puissant si puissant qu'il se permettait d'avoir plus de 10 femmes. Ces dernières lui servaient d'esclaves. Quelques années plus tard, à mes sept ans, la nuit, il m'était impossible de dormir. A chaque fois je faisais le même rêve. Un jour, j'ai alors dit à ma mère : «  Oh maman ! J'ai vu en rêve entrain d'entrer dans un cimetière avec de l'eau que j'ai ensuite versé sur des cercueils et tous les corps habillés en blanc se réveillaient et se mettaient debout. Maman ! Les morts ne sont pas morts ! Ils dorment. »
_ Que me racontes-tu mon fils ? Demanda-t-elle.
_ Le rêve qui hante mes nuits ! Lui disais-je.
Ma mère hochait la tête et marquait un long silence mais elle ne me paraissait pas étonnée. Ma mère savait interpréter les rêves.
_ Yaadikone ! Je vais te confier une chose ! On habitait à Ndoumbélane la terre de tes ancêtres. Comme tu le sais déjà ton père m'a répudié quand tu étais dans mon ventre. Tu n'es pas un enfant ordinaire ! Tu as survécu à l'eau et vaincu la malédiction des morts nés de ma progéniture. Briser des malédictions ! Telle est ta destiné.
_ Ah bon ! Pourquoi moi ?
_ Parce que moi ta mère, j'ai une âme sainte. Je n'ai jamais péché. Et seul un enfant d'une âme sainte peut mettre fin à cette malédiction. Tu as prononcé le nom de Dieu à ta naissance, tu t'es sevré toi-même quand tu avais 7 mois. Tu es l'enfant béni mon fils !
Quelques jours plus tard, des sanglots déchiraient la quiétude du royaume. Esclaves, combattants...tout le monde se précipitait pour voir ce qui s'était passé. Un drame ! Un des princes du royaume était mort.
Le roi était au bord du précipice. Son visage paraissait envahi d'une émotion forte. Il était tout près de son fils. Le cœur et l'âme remplis de terreur. Il suppliait Dieu de ramener son fils. Soudain, ne pouvant plus supporter la douleur du roi. Et guidé par une force intérieure, je prenais un verre d'eau et je m'approchais doucement du corps sans vie du prince. Un brusque silence s'installait. Allongé dans le noir, le défunt avait les yeux fermés. Je me mettais genou à terre et lui versais 7 fois de l'eau et lui dis : « âme ! Réveilles toi ! »
Le prince se réveilla. Ces yeux s'ouvrirent comme s'il attendait ma délivrance. Le roi était délivré de son tourment. Tout le royaume y compris le roi lui-même était à la fois étonné et soulagé. Le roi demandait à ma mère qui suis-je ? Avec timidité et modestie, ma mère répondait : « Mon fils ! S'appelle Yaadikone et aucune âme ne le refuse !».
Il se retournait vers moi:
_ Yaadikone ! J'aimerais te récompenser pour ton geste. Pour ton initiation, tu partiras accompagné par ta mère à Ndoumbélane dans le temple sacré comme ça tu pourras perfectionner ta magie.
_ Ce n'est pas de la magie mon roi ! Mais j'accepte volontiers votre offre !
Quelques jours plus tard, on quittait le royaume des thiédos transportant avec nous nos maigres possessions. On passait une journée sur la mer où battait le seul rythme des vagues avant de débarquer sur la berge. De loin, on voyait le temple sacré qui nous servait de boussole. L'endroit était devenu un désert. Il y'avait plus rien ! On déambulait dans l'obscurité. On continuait donc à avancer jusqu'à ce que nos sandales s'usent complètement. Crevé, affamé, on poursuivait notre chemin. Au soir tombant à Ndoumbélane, on arrivait enfin au temple sacré. Devant la porte, j'avais une étrange sensation comme si mon âme était connectée au temple depuis longtemps. Une fois le seuil franchi, le temple tremblait. Soudain, après sept longues années, les ténèbres disparaissaient au profit de la lumière. En face de la porte, un vieux au regard stupéfait se tenait devant nous. C'était le grand voyant. Il s'approchait de moi et me regardait au fond des yeux puis me tapota l'épaule avec un demi-sourire :
_ Ça faisait longtemps que je t'attendais pour sauver Ndoumbélane ! Disais le voyant
Ayant vu la lumière après tant d'années, ayant reconnu le miracle, une marée humaine accourait vers le temple.
_ Vas-y mon fils. Ils attendent leur délivrance ! Disais ma mère
Une fois dehors, tous les regards convergeaient vers moi. Je me mettais au milieu de tous ces hommes pour qu'il puisse constater de leurs propres yeux puis versais sept fois de l'eau sur le sable avant de prononcer une litanie:
« Terre, fends-toi ! Que la magie de l'eau s'opère ! Et que l'eau pure rejaillisse».
C'est ainsi que la terre se morcela en deux tout à coup l'eau commençait à jaillir. L'eau était pure et claire. La foule écarquillait les yeux et demeurait bouche bée. Ils venaient tout juste de voir, de leurs propres yeux, l'un des plus extraordinaires miracles de leur vie. Ma mère connaissait ma force extraordinaire, mais jamais elle m'aurait cru capable de secouer la terre à ce point. Le reste ne tenait qu'à une goutte d'eau. Je prenais l'eau de la source et j'appelais tour à tour les infirmes, les muets, les borgnes pour les guérir. La foule se levait comme un seul homme pour m'acclamer. Puis, une pluie mystérieuse accompagnée de tonnerre et de foudre s'abattait au royaume de Ndoumbélane. Les vents du changement commençaient à souffler et une grande scène de changement de temps se passe. Le royaume de Ndoumbélane retrouvait ainsi ses couleurs, le goût du travail et de la fête.