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Université Espoir d'Afrique - Burundi
Vers l'inconnu : entre tradition et innovation
« Est-ce à moi, une vielle femme de vous apprendre le courage ? » Il faisait presque sombre et dans la chambre, l'on entendait que les sanglots d'une jeune fille. Ces sanglots furent accompagnés de mots, provenant d'une voix douce mais ferme, celle d'Élisabeth, la grand-mère de la jeune fille. Assise prêt du lit, elle ne cessait de contempler sa petite fille allongée. De ses yeux brillants de détermination, elle ne voyait pas seulement une petite fille en pleurs, au-delà des pleurs, elle voyait une petite fille obstinée pour qui la vie n'a toujours pas été facile mais qui s'est toujours battue pour obtenir ce qu'elle voulait et qui a toujours cru en ses rêves. Cela étant, à cet instant précis, sa petite fille semblait avoir perdu espoir en toute chose.
La jeune fille s'appelait Tabita, une rêveuse intrépide dans un monde d'hommes. De son jeune âge, elle passait le plus clair de son temps libre au bricolage et caressait le rêve de devenir détentrice d'une entreprise d'œuvres d'arts. Cependant dans une société conservatrice, ou les femmes étaient reléguées aux taches domestiques et aux mariages arrangés, ses ambitions semblaient aussi lointaines et plus proches de l'impossible. Fraichement diplômée de la section scientifique, elle envisageait de poursuivre ses études universitaires dans le domaine de beaux-arts, ce qui n'était pas du tout dans les plans que son père avait prévu pour elle.
Mr. Banza, un homme respecté mais traditionaliste, la pressait de se marier juste après l'obtention de son diplôme, soutenant ainsi l'idée qu'il avait accompli son devoir parental de donner une éducation scolaire à sa fille. Pour lui, les études supérieures étaient faites pour les hommes, il était donc hors de question de dépenser de l'argent pour une fille destinée selon lui au foyer. Un diplôme d'humanité étant suffisant pour que sa fille puisse avoir un bon parti pour son mariage. Mais Tabita refusait de soumettre à ce destin tout tracé par d'autres. Elle voulait vivre pleinement, réaliser ses rêves et prendre ses propres décisions.
C'est dans cette optique qu'elle avait décidé de prendre part à un concours national des jeunes entrepreneurs et d'y soumettre alors son projet de création d'une structure de recyclage des déchets pour en faire des œuvres d'arts. Elle avait finalement mis son rêve sur papier et ce soir-là, elle venait de recevoir les résultats de la présélection et là était la cause de ses pleurs. Elle avait certes été sectionnée mais avec une note de 53% ainsi que l'avant dernière place du classement. Ses pleurs n'étaient pas ceux d'une fille en déprime, mais plutôt ceux d'une fille en déroute, elle penchait plus vers l'abandon que la poursuite de son rêve.
— Est-ce à moi une vieille femme, de vous apprendre le courage? Répéta sa grand-mère d'un ton mois doux mais plus ferme.
— Pourquoi dis-tu cela grand-mère? Répondu Tabita en essayant de calmer ses sanglots et de retrouver la maitrise de sa voix.
— Eh bien, tout simplement parce que tu dois l'entendre ma très chère petite. Dit-elle. Les filles du XXIe siècle que vous êtes ont plus à gagner que nous autres dans notre jeunesse. Simplement, vous n'avez pas toujours le courage nécessaire pour vous battre et défendre vos convictions, vos rêves à croire que la réussite de vos projets ainsi que la réalisation de vos rêves vous seront données sur de plateaux en argent massif. L'avant dernière place du classement te donne toujours la chance de présenter ton projet devant un jury en finale du concours que je sache. Il serait grand temps de voir le verre à moitie plein et de faire ce qu'il faut pour prouver à ton père que tu vaux plus que cette idée de femme au foyer qu'il se fait de toi. Je n'ai pas pu avoir cette brèche dans le système qui pouvait me permettre de montrer ma valeur ailleurs qu'au foyer, aujourd'hui tu l'as, ne la gâches pas par manque de courage et de détermination jeune fille.
Après ces quelques mots d'encouragement et de réprimande, la grand-mère se leva et quitta la chambre en laissant Tabita seule. Elle ne pleurait plus, toujours allongée, elle commençait à réfléchir sur la sagesse et la pertinence des paroles qu'elle venait d'entendre. « C'est vrai, je suis qualifiée, cela étant, je dois juste fournir beaucoup plus d'efforts pour pouvoir obtenir un meilleur résultat en finale. » se disait-elle, sa vie future, son destin tout entier en dépendaient. Simplement avec son père qui ne cessait d'insister de plus en plus pour qu'elle mette de côté ses rêves trop ambitieux selon lui, et de se concentre sur un mariage arrangé. Chaque discussion familiale devenait une bataille silencieuse entre tradition et ambition et cela n'allait guerre rendre a Tabita la tâche facile.
Les deux semaines avant la finale furent intenses. Tabita consulta des mentors, peaufina son discours, et renforça son modèle financier. Chaque jour, elle se levait avec une volonté renouvelée de prouver sa valeur. Pour elle-même, pour son rêve, mais aussi pour échapper à un avenir qu'elle ne voulait pas. Elle prit même le temps de mettre au point un prototype pouvant accompagner l'exposée de son projet. Trois jours avant la finale, son père demanda à lui parler.
— Je t'ai trouvée un prétendant pour ton mariage, dit son père. Après quelques minutes de silence comme sa fille ne répondait toujours pas, il continua : il est de bonne famille, bonne éducation et possède un travail et assez des biens pour bien prendre soin de toi le restant de tes jours...
— Mais papa... je ne veux pas me marier, pas actuellement, pas encore en bref, rétorqua Tabita avec hésitation.
— Ton vouloir n'est pas le plus important. Tu es ma fille, et j'ai promis à ta mère de toujours prendre soin de toi, tu as fait des études, il est temps de faire ceux pourquoi tu es destinée jeune fille, dit son père sur un ton un peu plus élevée. Karim viendra te voir ce vendredi, tache d'être présentable et surtout respectueuse et de ne pas me faire honte. Ton avenir en dépend.
Le jour de la finale arriva enfin. Tabita demanda à sa grand-mère de l'excuser auprès de son père et de lui expliquer le pourquoi de son absence au rendez-vous arranger. Lors de sa prestation devant le jury, son discours était un tourbillon de passion et de pragmatisme. Elle captiva le jury avec sa vision d'un espace artistique inclusif et innovant, prêt à inspirer la prochaine génération. L'apport d'un prototype ne pouvait que jouer en sa faveur. De 20 candidats présents, un seul allait avoir un financement complet de son projet et deux autres une prime a hauteur de 4 millions et 3 millions des francs congolais.
L'annonce des résultats remplis la salle d'une tension électrique et d'un silence pesant, seule la voix du président du jury été entendue. Tabita attendait, le cœur battant, l'esprit rempli de tous les sacrifices et de tous les espoirs qui l'avaient menée jusqu'ici. Elle eu la troisième place, ce n'était pas son objectif de mais dans ce monde fait au départ par et pour les hommes, elle se dit que c'était plutôt un bon début dans sa lutte contre le patriarcat. Elle avait surmonté ses doutes, et avait poussé ses limites jusqu'au bout. Il ne lui restait plus qu'à surmonter les attentes de son père à son égard.
En rentrant chez elle ce soir-là, Tabita croisa le regard fier de sa grand-mère et le visage indéchiffrable de son père. Ils avaient regardé la finale sur le grand écran du salon.
— Félicitations, lui dit son père d'un ton neutre. Pour aujourd'hui, je te pardonne ta désobéissance mais ne crois surtout pas avoir gagner, j'ai invité Karim à nous rendre visite le dimanche.
Le chemin vers la réalisation de son rêve était encore long, mais Tabita savait maintenant qu'elle avait le courage nécessaire pour le parcourir. Elle venait de gagnait une bataille, mais la guerre entre la tradition et l'innovation ne faisait que commencer et pour la toute première fois de sa vie, elle se sentait prête et de taille à aller vers l'inconnu et à se battre pour être maitresse de son destin.