Une nuit sans étoile

C'est la nuit qu'il est beau de croire en la lumière   -   Edmond Rostand
 
            J'ouvre les yeux. Il fait noir autour de moi. Je ne vois rien et l'obscurité m'oppresse. Ma respiration s'accélère, je commence à paniquer. Je tâtonne autour de moi pour trouver l'interrupteur mais je suis trop affolée pour le trouver. Des sanglots m'échappent alors. Je me lève, trouve un mur, le suis, espérant rencontrer l'interrupteur mais sans succès. Je tremble de frustration et de peur, je hurle mais personne ne vient. J'ai beau écarquiller les yeux, je ne vois rien. J'ai l'impression que je resterai coincée toute ma vie dans cette pièce, sans jamais trouver ni la porte ni l'interrupteur. Puis quelqu'un entre, la lumière du couloir pénètre dans la pièce et ma respiration se calme. C'est ma mère qui m'a entendue crier, elle éclaire ma chambre.
« Tout va bien ? Je t'ai entendue crier... me demande-t-elle.
-C'est... c'est ma lampe de poche qui s'était éteinte et ça m'a réveillée. Je réponds, encore sous le choc.
-Ça va mieux maintenant ? Allez, rendors-toi. » Dit-elle en refermant la porte.
Je m'assois sur mon lit, je respire profondément pour tenter de me calmer puis m'allonge et ferme les yeux. Mais cette minute d'horreur me revient en tête et je rouvre les yeux précipitamment. Je ne me rendormirai pas avant longtemps...
 
            Il est 13h et nous sommes vendredi, je repense encore à la nuit dernière. Après m'être réveillée dans le noir, je n'ai plus beaucoup dormi car chaque fois que je fermais les yeux, ma peur reprenait le dessus.
« Tu ne manges pas ? Me demande Lucas, mon meilleur ami, en désignant mon assiette encore pleine.
-Mmm... non... je n'ai pas vraiment faim.
Lucas hausse les épaules.
-Et tu fais quoi ce week-end ? interroge-t-il.
-Je pars faire du camping en montagne, lui réponds-je.
-Cool ! Tu n'as pas l'air contente, tu n'aimes pas le camping ?
-En fait je n'en ai jamais fait, ça va être la première fois. Mais le problème c'est que mes parents veulent que l'on dorme à la belle étoile, et lorsque l'on dort à la belle étoile il fait noir.
-Ah oui, c'est vrai ! J'avais oublié que tu étais nyctophobe. »
Je me lève et vais débarrasser mon assiette. Lucas me suit. Quelques minutes plus tard, la sonnerie retentit et nous allons en cours.
            « Nyctophobie ». Ce mot résonne dans ma tête. C'est vrai, je suis Nyctophobe, j'ai peur de l'obscurité et de la nuit. Le noir m'étouffe, m'oppresse. Lorsque je suis dans une pièce sombre, j'ai l'impression de ne plus pouvoir m'en échapper, de ne plus jamais trouver la sortie. 
Il est 17h. Allongée dans mon lit, je fixe le plafond de ma chambre depuis cinq bonnes minutes. Je finis par me lever car j'entends mon père qui rentre du travail. 
« Bonjour Alix, me dit-il en me voyant. Tu as préparé tes affaires pour le camping de ce week-end ?
-Je suis vraiment obligée de venir ? je demande.
-Je suis sûr que cela va te plaire, et en plus j'emmènerai mon télescope pour regarder les étoiles. »
Je soupire, mon père rêve de faire du camping en famille depuis tellement longtemps qu'il n'est pas près de renoncer.
Le lendemain, mes parents me réveillent à 7h et nous partons en voiture. Arrivés au pied de la montagne, nous commençons à marcher. Vers midi, alors que nous nous sommes arrêtés pour manger, je tente une nouvelle fois de convaincre mes parents de redescendre avant la nuit tombée pour dormir chez nous. Mais ils refusent.
« Tu sais Alix, me dit ma mère. Tout va bien se passer. Et puis la nuit, il y a des étoiles pour t'éclairer. »
Je ne dis rien mais je sais pertinemment que c'est faux. Les étoiles ne brillent pas assez pour éclairer quoi que ce soit dans le noir. Cette nuit, j'en suis sûre, sera une très mauvaise nuit à passer et je ne vais pas dormir. Je finis précipitamment mon sandwich et me lève. En attendant que mes parents finissent eux aussi de manger, je regarde la valise où se trouve le télescope que mon père a apporté. Il m'a dit que l'on s'en servira ce soir pour observer les étoiles et la lune s'il n'y a pas de nuages. Ce sera la première fois que je regarde les astres avec un télescope. 
Le soleil est bas lorsque nous arrivons en haut. Nous montons la tente et ma mère allume une petite gazinière qu'elle a emmenée pour faire chauffer le repas. Je m'approche et je la vois verser un sachet de pâte dans de l'eau bouillante. Plus loin, mon père monte son télescope. Au moment où je me dirige vers lui, il me demande de déplier les sacs de couchages en dehors de la tente, car nous allons admirer le coucher de soleil qui aura lieu dans quelques dizaines de minutes. Je m'exécute donc mais mon stress monte d'un cran : mon père a raison, le soleil va bientôt disparaitre derrière l'horizon. Ce qui veut dire qu'il fera nuit et que ce sera le noir complet.
Mes parents m'appellent : « Alix, viens avec nous ! Le coucher de soleil a commencé !
-Oui, j'arrive ! je dis sur un ton à la fois tendu et excité. »
Je m'assois alors sur le sol et observe pendant quelques minutes le soleil rougeoyant disparaitre derrière les montagnes. Je suis étonnée de ne ressentir aucune peur de voir les dernières lueurs du jour laisser place à l'obscurité. Je trouve plutôt cela beau. C'est comme deux mondes totalement différents qui se succèdent. Lorsqu'il ne voit plus aucune trace du soleil sanglant, mon père se lève pour régler son télescope. Moi je reste assise là en regardant le ciel se faire de plus en plus sombre. Au bout d'un moment, mon père me fait signe et je regarde par la petite lunette de l'appareil. Je vois un fin croissant de lune et plusieurs étoiles autour. Le tout brille d'une faible lumière argentée. Lorsque je relève les yeux du télescope, la nuit se dresse devant moi. Elle et son obscurité infinie. Mais pour la première fois, je n'ai pas peur. Car je sais qu'il y a les étoiles, qui brillent autant qu'elles peuvent. 
Je serai peut-être toujours nyctophobe, mais j'apprendrai à vivre avec ma peur, je ne la laisserai plus jamais me contrôler. 
Car je sais qu'il n'existe pas de nuit sans étoiles.
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