Une inquiétante nuit

21h12.
Le brouillard est épais en cette nuit du 13 novembre 2021. Il pleut, l'orage gronde. Des bruits bizarres résonnent, comme des cris ou des grincements de branches, les volets de ma chambre claquent : la peur envahit mon esprit, mais je tente de me concentrer sur le roman que mes parents m'ont offert. Ils ont cru bon de m'offrir La forêt abandonnée ; l'histoire d'une forêt autrefois verdoyante et lumineuse qui, un jour, se retrouve plongée dans l'obscurité à cause d'un épais brouillard. Jusque-là rien d'inquiétant me direz-vous ! Sauf que cette abondante brume ne l'a plus jamais quittée et que les habitants semblent avoir disparu dans les ténèbres... Et, voyez-vous, cette fiction me fait étrangement penser à cette nuit, ce qui n'est pas pour me rassurer. D'autant que nous vivons dans un charmant petit chalet à l'orée des bois.
 
Oh je ne me suis pas présenté ! Je m'appelle Alexis, je suis un petit garçon de dix ans et demi aux cheveux bruns et yeux bleus malicieux. Je vis en Haute-Savoie avec ma sœur et mes parents. Je suis plutôt courageux d'ordinaire, mais je redoute une chose, une seule : la nuit. Pour faire simple, j'ai peur du noir. Mais, revenons-en à cette nuit.
 
Il est 21h15. Je continue ma lecture à la lueur de ma lampe de chevet ; mes parents et ma sœur dorment déjà profondément. L'atmosphère est pesante. Tous ces bruits, dont je n'arrive pas à savoir s'ils sont extérieurs ou intérieurs, captent mon attention. La pluie résonne sur le toit, le tonnerre fait vibrer les carreaux de ma fenêtre, le fracas des branches contre mes volets me fait sursauter. Je tire un peu plus la couverture vers mon visage et tente de me calmer en prenant une grande inspiration. Après tout, ce n'est qu'un orage et je suis en sécurité dans la maison. La forêt abandonnée n'est qu'une fiction. Que pourrait-il bien m'arriver ?
 
C'est ainsi relativement rassuré que j'entame le dernier chapitre de mon roman vers 21h35. Celui où je vais enfin savoir ce qui est arrivé aux habitants de la forêt ! Ont-ils réellement disparu ? Se sont-ils enfuis ? Et pourquoi auraient-ils abandonné leurs maisons ? Le brouillard va-t-il enfin se lever pour laisser de nouveau le jour inonder la forêt ?
Le vacillement de l'ampoule de ma lampe de chevet me tire de mon questionnement... Je n'ai même pas le temps de laisser l'angoisse monter en moi que la lumière s'éteint. Le silence s'installe. Du moins dans mon esprit, car à l'extérieur la tempête fait toujours rage. Ce que je redoutais le plus vient de se produire : je suis plongé dans l'obscurité la plus profonde. Seuls les éclairs qui déchirent le ciel illuminent brièvement la pièce. J'ai l'impression de voir des ombres se déplacer, le sentiment que quelque chose ou quelqu'un m'observe, tapi dans le noir. Le grincement du bois qui travaille me fait frissonner : on dirait que quelqu'un se déplace sur le parquet du couloir. Je suis comme paralysé.
Est-ce que l'épais brouillard va aussi nous engloutir, comme les habitants de La forêt abandonnée ?
J'essaie de profiter de la faible lueur des éclairs pour examiner la pièce, les yeux plissés pour essayer de mieux distinguer les recoins. Ma chambre semble déserte et pourtant ce sentiment d'être épié ne me quitte pas. Mon esprit doit me jouer des tours.
Un cri sourd me fait sursauter ! À la fenêtre se dresse une ombre qui me fait penser à un hibou. Que fait cet animal ici, en pleine tempête automnale ?
 
J'appelle mon père, ma mère, en vain. Ils dorment et ne m'entendent pas. Et puis, de toutes façons, pas plus tard qu'hier, ils m'ont dit « Alexis tu es grand maintenant, tu dois apprendre à affronter tes peurs. Tu n'as rien à craindre du noir, c'est simplement la lumière qui dort elle aussi ». Alors que feraient-ils à part me dire de fermer les yeux jusqu'au matin... et peut-être me gronder car ma lumière était toujours allumée à presque 22h ! Je ne sais pas quelle heure il peut être à présent, mais mieux vaut ne rien leur dire.
 
L'ombre du rapace nocturne est toujours à ma fenêtre. J'ai la sensation que la nuit va être longue. Les minutes s'écoulent lentement et me paraissent interminables. Il me faut faire face à ma peur, mes parents ont raison. Je remonte la couette vers mon visage et ferme les yeux : penser à quelque chose de magique, à quelque chose de positif, voilà ce que je dois faire.
Je repense alors de cette histoire féérique que me racontait ma mère lorsque j'étais petit, celle des étoiles qui dansaient derrière les nuages pour faire revenir le soleil après la pluie. Caché sous mes draps, je me concentre sur la douce lumière des étoiles et une agréable chaleur m'enveloppe. Me voilà transporté dans l'imaginaire.
 
Lorsque je rouvre les yeux, l'aube est là. Les premières lueurs du jour commencent à inonder la pièce. Les ombres ne sont plus là, les grincements, le fracas de la pluie et le hibou non plus.
La peur du noir a laissé place à un apaisement. Le sentiment que même au plus profond de la nuit, la lumière peut briller dans l'obscurité.
 
J'ai survécu à cette nuit. Je me rends compte que j'ai grandi, le noir n'est plus mon ennemi.
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