Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extraterrestre. Je suis la seule de mes frères et sœurs qu'elle considère ainsi. D'un côté, je peux comprendre puisque j'ai un hobby secret qui est loin d'être normale. Mais de l'autre, je suis quasi sur que personne d'autre que moi n'est au courant. Il faut croire que l'instinct maternel n'est pas qu'une légende. Enfin bref. Je sais que j'ai attisé votre attention, et j'ose espérer que vous voulez en savoir plus sur ce fameux passe-temps. J'y viens. Pour tout vous dire, je passe la grande majorité de mon temps libre à... Voyager ! C'est simple : si je ne suis pas à l'école ou chez moi, je suis partout ailleurs. Déçu n'est-ce pas ? « Pas si extraordinaire » penserez-vous. Et si je vous disais qu'il suffit que je pense à un endroit très fort pour y être dans la seconde qui suit ? Je ne saurais vous expliquer comment ni pourquoi. Ou peut-être que si, j'ai ma petite idée. Vous connaissez l'expression « avoir la tête dans les nuages » ? Je suis persuadée qu'elle a été crée pour moi. J'ai toujours été cette petite fille rêveuse du fond de la classe, occupé par les pensées qui traversent son esprit. Mon regard se perdait à chaque instant dans les détails des objets qui m'entouraient. C'était d'ailleurs la cause de beaucoup de réprimandes de la part de mes professeurs ou de mes camarades de classes. Ils me trouvaient tous bizarre et ils s'inquiétaient même pour moi. Bien que j'étais la première concernée par tant d'engouement, j'étais pour autant la seule qui n'en comprenait pas la raison. J'ai finis par me convaincre que c'était eux qui ne comprenait rien. Et l'univers s'est avéré d'accord avec moi. Laissez moi vous racontez mon tout premier voyage. Ce jour là, j'étais convoqué chez le directeur, avec ma mère et mon grand frère. Maintenant que vous connaissez mon histoire, ce n'est même plus la peine de vous préciser la raison. Ce n'étais ni la première, ni la dernière fois. Je me souviens que dans leurs six regards, il y avait de la déception. « Qu'est-ce nous allons bien faire d'elle » j'ai pu y lire. Je connaissais trop bien cette situation, et pourtant ces regards m'ont rendu anxieuse car ils étaient suivis d'un long silence. Il était si long et si pesant. Je me rappelle avoir lutté de toute mes forces pour ne pas succomber au poids du silence sur mon dos, qui me paraissait aussi lourd qu'un immeuble. C'est là que le directeur prit une grande inspiration avant de briser l'ambiance sinistre qui comblait l'espace depuis de longues minutes. Il dit alors à ma mère : « Je crains que Yaëlle ne puisse pas aller en Angleterre avec ces camarades », puis il se tourne vers moi et ajouta : « J'espère que ça te servira de leçon et qu'à l'avenir tu sera plus concentrée ». C'était le coup de grâce. Je ne me souviens plus très bien de la suite. Ils m'ont sûrement encore réprimandé. Et je suis rentré chez moi. J'ai entendu mon frère informer le reste de ma famille depuis ma chambre. Et je me rappelle avoir pleurer à chaude larmes jusqu'à en assécher mon corps, tout en regardant par la fenêtre. De l'autre côté des nuages qui semblaient comme une muraille dans le large ciel bleu, il y avait ce que mes yeux n'avaient encore jamais vu. Cette simple pensée suffisait pour laisser place à mon imagination. D'ailleurs, j'étais dans cette état lorsque notre professeur nous a annoncé ce fameux voyage en Angleterre. C'était la première fois que ma rêverie s'était interrompue brusquement pour me remettre les pieds sur Terre. Ces doux mots sont venus chatouiller mon oreille et n'ont fait qu'un tour dans mon cerveau, sans jamais ressortir. Cette bonne nouvelle a résonné tel un écho sans fin, comme dans un rêve. C'était le cas de le dire : l'école s'apprêtait à réaliser mon rêve de voyager. Cette même école dans laquelle j'étais rejetée, cette école même qui me mettais à l'écart, c'est elle qui me permettra de me hisser en haut des nuages et d'enfin pouvoir voir au-delà ; « Quel rêve cauchemardesque ! » c'était ce que je m'étais dit. Je pleurais de plus en plus fort au fur et à mesure que je me rendais compte qu'au final, ce que j'attendais le plus au monde, était de nouveau inaccessible. Je fermai les yeux, et j'imaginai mon petit corps au pied d'un immense mur qui se dressait devant moi. Ce mur m'attirais tant. Je me résignais petit à petit à lui tourner le dos. Quand mon pied pris l'élan qu'il fallait pour faire un demi-tour, j'aperçus au loin, ce qui semblait être une poignée de porte. J'avais hésité un moment, tout en plissant les yeux vers cette chose, avant de décider de m'en rapprocher. Je me suis vite rendue compte que je me dirigeai bel et bien vers une porte. Dans un élan de curiosité et d'euphorie, je saisis la poignée sans réfléchir et j'ouvris la porte. L'univers, voilà ce que j'ai vu. L'univers tout entier me tendait les bras, comme pour me rassurer et me conforter, moi qui pensait avoir été abandonné de tous. Comme pour me remercier aussi de lui avoir porter tant d'intérêt et d'avoir cru en ce dont il était capable. Personne jusqu'à lors n'a pu voir la porte, car l'abandon avait déjà pris possession de leur cœur et aveuglé leur yeux. Je ne suis pas la seule à rêver dans sur cette planète, mais nombreux sont ceux qui ne s'y accroche pas au dépit du regard des autres, ou bien il se convainquent qu'il est irréalisable. En ce qui me concerne, quelques fractions de secondes auraient suffit pour ne pas faire de moi l'exception. Il faut croire que c'était ma destinée. Ce jour là, l'univers seul avait conscience de l'immensité de mon chagrin, et il l'a aussitôt réduit à néant. Tout comme le mur qui entravait ma route. J'ai pu faire mon premier pas vers l'inconnu, et j'ai pensé avec un peu de rancune je l'admet, au mots du directeur. J'ouvris mes yeux. Devant moi, il y avait une grande tour pointue et à son sommet, on pouvait y voir une énorme horloge. Un énorme pont s'étalait devant elle, et juste derrière j'ai pu apercevoir une gigantesque roue qui tournait au rythme du vent. Le panorama m'était familier car je l'avais déjà vu sur une carte postale : Londres ! Rêve ou réalité ? Peut m'importait. Je vivais mon rêve à cet instant, c'était mon unique pensée. Je prêtais attention à absolument tout ce qui m'entourais avec la plus grande des concentrations. « Concentre toi ! » m'ont-ils toujours dit. Les gens ici ne me portaient aucun jugement. « Tu es bizarre ! » m'ont-ils toujours dit. C'est donc eux qui ne comprenaient rien. La solution pour moi d'être « normale » à leur yeux, était simplement de vivre mon rêve. C'est ainsi que je continue de voyager au quatre coins par la pensée, en ouvrant la porte. Je continue à passer outre toutes remarques à mon égard. Et je continue à vivre mon rêve qui s'est réalisé pour toujours et à tout jamais.