Une existence recluse

Moi je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extraterrestre. Tout petit déjà alors que les jeunes enfants du quartier s'amusaient sur le terrain de jeu situé à un jet de pierre de la maison, moi je restais là, cloîtré sur place, et ne mettais jamais le nez dehors. Cette attitude singulière qui me caractérisait ne s'est guère améliorée avec le temps, pire encore, elle n'a fait que s'exacerber. « Bon sang qu'est ce qui ne va pas chez moi ? », «  Pourquoi suis-je aussi atypique ? ». Telles sont les questions poignantes que je ne cessais de me poser à cet instant précis où je venais juste de recevoir ma lettre de licenciement de la part de mon patron. Le motif était très clair, il s'agissait d'un manque criard de coopération avec mes collaborateurs. Ainsi, j'étais constamment recroquevillé sur moi et ne communiquais jamais avec mes collègues de service, et cela avait occasionné une baisse significative du rendement de la cellule d'études de projets à laquelle j'appartenais. Et suite aux plaintes incessantes des autres employés, le directeur général s'est vu obligé de me remercier sans recours possible. J'ai donc pris mes affaires et je suis rentré dans mon appartement situé au quartier Bilmot, rue de crête. Paradoxalement, il subsistait chez moi une sorte de soulagement suite à ce renvoi, car ainsi je n'allais plus être obligé de sortir de chez moi chaque matin.
Le freezer rempli à ras bord, la porte verrouillée à double tour, je passais mes journées à regarder la télévision et à me sustenter sans jamais sortir. En outre, je commandais de la nourriture pour restaurer mes réserves via un site internet. Ainsi, pendant les quelques mois où j'avais travaillé à ‘'Arène Construction ‘', j'avais économisé un peu d'argent. Je me disais que cela me permettrait de survivre six mois environ et qu'après j'emprunterais du liquide à Jérémie mon frère aîné. Je voulais à tout prix éviter la foule, car je ressentais comme une étreinte qui m'étouffait à chaque fois que je posais les yeux sur des inconnus ou que je me retrouvais en leur présence. D'ailleurs je ne sais pas par quel miracle j'avais pu être si souvent dehors sans toutefois piquer une crise d'angoisse comme celles que j'avais l'habitude de subir il y a de cela quelques années encore. Heureusement, cette gêne était modérée quand il s'agissait de mes parents ou de mes frères et sœurs. J'ai longtemps essayé de lutter contre cette nature, mais rien n'y fit. Ce jour là, comme je me retrouvais seul dans mon habitation, je comptais bien m'y calfeutrer.
Après cette journée, le temps continuait de s'écouler, et malgré les appels répétés de mes frères et sœurs et même de mes parents, je continuais à leur sortir la même ritournelle, disant que tout allait bien, et que le boulot allait bon train. Je ne voulais pas en effet qu'ils s'inquiétassent de ma situation comme par le passé, car ce serait inconcevable pour eux qu'un jeune ingénieur de vingt-cinq ans reste confiné chez lui, car étant terrifié à l'idée d'affronter le monde. Ma mère avait donc on ne peut plus raison quand elle me comparait à une créature venue d'un autre monde, car pour moi cela représentait un véritable chemin de croix de devoir vivre en société, et cette appréhension allait grandissant avec le temps qui s'écoulait.
Deux semaines plus tard, alors que je m'apprêtais à m'asseoir sur le divan pour regarder mon émission de télévision favorite, j'entendis comment l'on sonnait à la porte. Je fus très intrigué par ce bruit, car je n'attendais personne et les voisins n'étaient pas du genre à perturber les autres. J'ouvris donc la porte et surprise, il s'agissait de Cassandre, une ancienne collègue de travail de chez ‘'Arène Construction''. Je fus très surpris, et ce sentiment d'effroi qui m'asservissait commença à m'envahir. Elle me fit comprendre qu'elle avait essayé d'entrer en contact avec moi, demandant mon numéro de portable aux autres collègues mais en vain. Elle ajouta que ce n'était que tout récemment qu'elle avait pu obtenir mon adresse. Elle voulut s'enquérir de ma situation socioprofessionnelle et malgré mes efforts, je ne pus longtemps lui dissimuler la vérité. «  Simon qu'est ce qui ne va pas à la fin ? », me demanda-t-elle sur un ton inquisiteur. Après avoir beaucoup insisté, je me suis vu obligé de tout lui révéler. Je m'exprimai donc ainsi : « Le problème c'est que je suis un individu assez particulier dans la mesure où j'ai tout le mal du monde à m'accommoder de la présence des autres, et ce depuis ma plus tendre enfance. Je me souviens encore qu'à l'école primaire je n'allais jamais jouer dans la cours de récréation avec mes autres comparses, et même je ne leur adressais jamais la parole, ressentant comme une sorte de pression sur mon thorax toute fois que j'initiais une tentative. Ainsi, cette attitude insolite me faisait être considéré comme persona non grata au sein de l'école. Plus tard au lycée et même à l'université, ce sentiment ne fit que s'amplifier et je fus toujours traité comme un paria. Mes parents et surtout ma mère étaient totalement sidérés de voir à quel point vivre en société représentait pour moi un véritable calvaire. Ils m'ont fait parcourir la plupart des cabinets de psychologues de Montreuil, mais sans succès. Ils m'avaient même pris rendez-vous avec un spécialiste venant de l'étranger mais cela ne fut rien de plus qu'un cataplasme sur une jambe de bois. Toute meurtrie, ma mère se lamentait sans cesse sur mon sort. Ne pouvant rester indifférent face à tant de sollicitude, je décidai de me trouver un travail pour la rendre fière de moi, malgré ma phobie. Et c'est ainsi que je me suis retrouvé à ‘'Arène construction'', se trouvant heureusement ici à Paltic, loin de ma ville natale. Aujourd'hui encore, je ne veux pas leur parler de mon licenciement, je ne veux plus être oppressé psychologiquement par les autres. » . Après avoir entendu tout cela, Cassandre éclata en sanglots, car elle savait que j'avais un comportement marginal et que j'étais renfermé sur moi, mais pas jusqu'à ce point. Aussi, elle me proposa de m'aider en me faisant consulter un psychologue spécialisé en psychanalyse, le meilleur en Francilinie, disait-elle. Je fus réticent au début, mais vu tout le mal qu'elle s'était donné et l'empathie dont elle faisait montre, je finis par me plier à ses instances.
Il était 7 heures le lendemain, le 07 juin 2009 quand nous nous rendions au cabinet, au quartier Milban, à la sortie Ouest de Paltic. La séance débuta à 8 heures et dura une heure et demie. A l'issue ce cette entrevue, le docteur me garantit que ce blocage qui m'empoisonnait la vie était ôté, et que désormais il serait facile pour moi de vivre en communauté. Je souscrivis à cela, car je me sentais comme neuf, et je remerciai énormément Cassandre pour sa sollicitude. Enfin j'étais libre de vivre pleinement ma vie, de ne plus être oppressé de toute part quand je me baladais dans la rue. Je me sentais véritablement pousser des ailes, et pensais à me faire enfin des amis et même à me marier. Une fois à la maison, ayant repris goût à la vie, je décidai de sortir pour me trouver un boulot, mais à peine après avoir arpenté quelques rues, je tombai nez à nez avec une foule immense de personnes, et subitement me retrouvai submergé par une gigantesque quantité d'idées noires, la respiration saccadée, la poitrine comprimée et c'est ainsi que je décidai de me refugier chez moi et de ne plus jamais en ressortir. Si seulement je pouvais vivre seul dans un monde rien qu'à moi, alors je n'aurais plus à me soucier de l'existence des autres, je mènerais enfin une vie épanouie.