Un témoin si particulier

Il fait nuit. Je peux enfin sortir. Sans un bruit, je descends les escaliers et arrive dans l'entrée. En passant, j'évite de me regarder dans le miroir. Je sais déjà ce que je vais découvrir : une peau trop pale couverte de taches de rousseur. Je suis un enfant de la lune. Ce nom est trop beau pour décrire cette maladie. Je ne peux pas sortir le jour car les rayons du soleil peuvent me provoquer un cancer. Alors, je dors la journée et je vis la nuit.
J'ouvre la porte. Un vent tiède me caresse le visage. Je me mets à marcher. Soudain, un mauvais pressentiment me saisit. Je perçois quelque chose d'étrange. Il n'y a pas un bruit. Comme si toute la ville retenait son souffle dans l'attente d'une catastrophe. Je lève les yeux vers le gratte-ciel le plus proche. Une fenêtre allumée attire mon attention. Deux silhouettes se découpent. L'une des ombres semble tenir un couteau. Mon sang se glace quand je la vois planter l'arme dans la poitrine de son camarade qui s'écroule sur le sol. Horrifié, je déguerpis en vitesse. Lorsque je me retourne, je crois voir l'assassin qui me regarde. Je rentre chez moi, essoufflé et je tente de m'endormir. Quand le jour se lève, je suis toujours éveillé. Je n'ai pas réussi à fermer l'œil. Je décide de me lever. J'enfile mes gants et ma combinaison afin de me protéger du soleil. Ma mère est étonnée mais heureuse de me voir. Je m'apprête à tout lui raconter lorsqu'on sonne à la porte. Elle va ouvrir et j'entends : « Une livraison ? Il y a erreur, je..» Je n'entends pas la suite. Je me précipite à la fenêtre et distingue un homme dont la silhouette me rappelle étrangement celle de la nuit dernière. Lorsqu'il me voit, à peine dissimuler derrière les rideaux, ses yeux expriment une telle haine que je cours me réfugier dans ma chambre. Je me glisse sous ma couette et, rassuré par la douce chaleur qu'elle me procure, m'endors. Lorsque je me réveille, je sais qu'il fait nuit car il règne un grand silence. Encore secoué par mon escapade de la nuit dernière, je décide de ne pas sortir. Je descends dans le salon, allume la télévision et tombe sur les informations. Le présentateur habituel s'affiche à l'écran. Il nous adresse son sourire étincelant avant de commencer à parler d'un cadavre retrouvé dans notre ville. Soudain, je sens un souffle sur ma nuque. Je me retourne mais ne vois rien. Mon sang se glace. J'ai l'impression que je ne suis plus seul dans le salon. Une main se pose sur mon épaule. Je me dégage rapidement et me précipite vers la porte. En chemin, je trébuche. Maudit tapis! Muet de terreur, je sens quelqu'un m'attraper et me souffler à l'oreille : « Pas un mot ou je te tue, enfant de la Lune. » Mes poumons sont comme comprimés dans ma cage thoracique. Je me débats de toutes mes forces. Mon agresseur finit par me relâcher et me laisse tomber sur l'épais tapis. Ce dernier étouffe le bruit de ma chute. L'homme me relève, ouvre la porte et me pousse dehors. Pendant qu'il me maintient, il écrase mes lèvres avec sa main. Impossible de crier! J'essaye de le mordre : en vain ! Il me jette sans ménagement à l'arrière d'une camionnette
blanche. Juste avant, je louche sur la plaque d'immatriculation. Elle est recouverte! Deux autres personnes sont dans la voiture. Le véhicule démarre. L'angoisse me noue la gorge. Après d'interminables minutes, la voiture s'arrête. Il fait jour. Dès que la portière s'ouvre, je bondis et m'enfuis en courant. Les trois types à mes trousses, je décide de me diriger vers la forêt. Dans cet environnement, il me sera plus facile de les semer. Je ne pense plus qu'à courir. Je suis pieds nus mais je vais plus vite que jamais. Je me retourne brièvement et je me rends compte qu'un des hommes est armé. Je trébuche et m'écrase par terre. J'entends alors une détonation. La balle me frôle. Si je n'étais pas tombé, je serai mort. Je me relève, bien décidé à semer mes agresseurs. Les oiseaux chantent. La bonne odeur des sapins me caresse les narines. Je regarde alors ma peau nue. Horrifié, je me rends compte que je me tiens au soleil sans aucune protection ! Mes bras ont déjà rougis. Je continue à courir, cherchant désespérément une cachette sombre et sûre. Soudain, j'aperçois une grotte. Je rentre à l'intérieur et cours vers le fond. Me sentant en sécurité, je m'arrête pour réfléchir. Que me veulent ces gens ? Ont-ils un rapport avec le meurtre de la nuit dernière? Je réalise que je suis un témoin. Un témoin gênant qu'il faut supprimer. Si je meurs, j'emporterai ce secret dans ma tombe. Soudain, une odeur étrange me monte dans les narines. Une odeur de brulé. Je décide de retourner vers la sortie. La forêt est en feu ! Mon regard se pose sur le sol de la grotte : il est recouvert de petites brindilles et de feuilles mortes. Les flammes n'en feront qu'une bouchée ! Je repars en courant vers les profondeurs de la caverne. Je suis dans le noir complet. Je sursaute. Je viens de mettre les pieds dans une flaque d'eau enfin, plus qu'une simple flaque car j'ai à présent de l'eau jusqu'à la taille. Un lac! Un lac aux eaux noires et sans reflets. Je ne sais pas nager. Le froid me saisit. Seule ma tête dépasse de l'eau. J'aperçois alors une lumière rouge. Elle illumine toute la grotte. Des flammes ! Au contact de l'eau, elles produisent un nuage de vapeur. Tout se réchauffe autour de moi. Mon corps me picote. La peur me saisit ! J'hurle de terreur. Finalement, l'eau l'emporte et le feu finit par s'éteindre. Transi, je sors du lac. Tous mes muscles sont douloureux. J'arrive à peine à tenir debout. Je m'évanouis. Lorsque je me réveille, je suis à l'hôpital. On m'apprend que les pompiers, alertés par l'incendie, m'ont retrouvé, allongé dans la grotte. Une partie de la forêt a brulé. Les criminels y ont mis le feu dans l'objectif de m'éliminer. Ils ont finalement été arrêtés. Je vais participer à leur procès en tant que témoin et victime. Cette histoire m'a pas mal secoué. Mais je suis un enfant de la lune. Alors, je me dois, chaque soir, de continuer à saluer la nuit.
 
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