Un fermier cultivé

Moi, je suis différent, je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre. Je suis sûr que de là où elle me regarde elle est fière de moi. Cela faisait neuf ans que je n'avais pas revus mon père, bien que j'aurais évidement aimé le revoir dans d'autre circonstance son simple regard en disait beaucoup sur la nature de notre relation. Depuis mon départ, pour lui je suis mort, c'est pourquoi je n'ai jamais eu de réponses à mes lettres que je lui envoyais car ces dernières finissaient dans la cheminée m'a confié ma sœur. J'aurais aimé avoir une relation plus saine avec ma famille mais notre vision de la vie était hélas trop éloignée l'une de l'autre.
Ma famille cultive la terre depuis déjà quatre générations. Mon père, Edmond a repris la ferme de son père avec sa femme Elisabeth alors que je n'étais pas encore né. Un an plus tard naissaient les jumeaux George et Lennie, mes deux grands frères. Cinq ans après vient finalement mon tour puis celui de ma petite sœur Rose un an plus tard. Notre mère était très aimante, elle était toujours souriante et s'assurait qu'on ne manque de rien, elle faisait tout pour le bonheur de ses enfants. Mon père lui était différent, il était droit et ferme et ne montrait jamais ses sentiments devant nous, tout ce qu'il voulait c'était des bras et des jambes en bonne santé pour l'aider.
Tous les dimanches un professeur se rendait à la ferme pour y donner des cours, il se nommait Joshua Barnes, je ne savais pas par quelle miracle ma mère avait réussi à convaincre mon père de nous dispenser d'un jour de travail mais cela nous permettait de nous aérer l'esprit. Pour mes frères c'était une véritable corvée, dès qu'ils le pouvaient ils disparaissaient pour revenir seulement à la fin des leçons. Contrairement à eux j'attendais ce jour avec impatience, déjà enfant je posais sans cesse des questions sur tout et rien, je souhaitais tout comprendre, très vite je fus passionné par la physique et la biologie, je trouvais ces sciences magiques et j'arrivais enfin à trouver des réponses à mes nombreuses questions. Très vite mon professeur fut impressionné par ma capacité à apprendre, en effet a à peine neuf ans je suivais déjà des cours d'un niveau fin collège, pour ma sœur c'était plus compliqué, on ressentait les nombreuses lacunes qui s'étaient installées, l'école était pourtant à une trentaine de minutes de marche mais mon père refusait catégoriquement qu'on s'y rende, pour lui il n'y avait que le travail qui comptait. Il fut cependant obligé d'admettre l'utilité de ces cours lors des marchés où je m'occupais de la caisse, il fut d'ailleurs très surpris (sans pour autant le montrer) de la rapidité avec laquelle je calculais le prix et la monnaie à rendre. J'étais beaucoup plus proche de ma sœur que de mes deux frères, bien quelle avait des lacunes elle avait tout comme moi le désir d'apprendre, je me suis alors mis à lui fournir des cours du soir une fois ma journée de travail terminé. Mes deux frères étaient déjà très robustes pour leurs âges, je paraissais chétif comparé à leurs carrures de bœuf. Etant beaucoup plus fort physiquement que moi mon père ne cachait pas ses préférences, ainsi tandis que mes frères aidaient mon père mon rôle pouvais se résumer à effectuer les tâches ingrates, j'étais toujours exténué une fois la journée de travail terminé cependant je ne ressentais aucune fatigue lors des cours du soir que je donnais à ma sœur, en réalité j'attendais ce moment avec impatience, transmettre mon savoir était un réel plaisir, j'observais avec la plus grande fierté le moindre progrès de ma sœur qui avait au fil du temps bientôt rattrapé son retard scolaire. Le plaisir que je ressentais pendant que je jouais l'instituteur n'étais pas anodin, c'était encore d'un autre niveau que lors des leçons de monsieur Barnes, c'était comme devenu une addiction, ainsi je découvris le métier qui deviendra ma profession, celui de professeur.
Les années passèrent à une vitesse folle, elles étaient cependant assez monotones, rythmées par le travail à la ferme le jour et les leçons de ma sœur la nuit, sans oublier le dimanche que je chérissais particulièrement du fait de la venue de monsieur Barnes, avec le temps ma sœur avait largement rattrapée son retard, elle était même en avance sur son âge, quand à moi j'avais acquis des connaissances très poussées dans divers domaines comme les mathématiques, la biologie, la physique ou encore l'astronomie, cependant je continuais constamment à vouloir découvrir de nouvelles chose, c'est comme si ma soif d'apprendre ne pouvais s'estomper. Les journées de travail devenaient elles de plus en plus irritantes, pendant que mon père enseignait la conduite du tracteur à mes frères j'étais bloqué dans la grange pour le nettoyage quotidien des enclos.
Un jour d'été je décida qu'il en était assez, je ne voulais plus jouer l'esclave alors quand mon père emmena mes frères au plus profond du champ j'ai alors décidé de m'enfuir dans la maison familiale pour en profiter pour aider ma sœur à la rédaction d'un travail d'écriture que lui avait remis monsieur Barnes. Les heures passèrent quand tout d'un coup j'entendis un bruit sourd venant de la grange, quelque seconde plus tard mon père fit irruption dans la maison, il était fou de rage, me prit violemment par le bras et me projeta contre le mur, il déversait toute sa haine contre moi en m'insultant de bon a rien et d'enfant gâché. Mon père me pris alors par le cou et me plaqua contre le mur, il s'apprêtait à me frapper au visage quand un cri survenu de l'entrée, ma mère s'était empressée de rentrer en entendant l'agitation venant de la maison, mon père s'était stoppé net et me relâcha aussitôt avant de repartir en claquant violemment la porte derrière lui. Ma mère se pressa de me porter assistance. J'avais des difficultés pour respirer et mon bras gauche s'était cassé lors de ma projection contre le mur. A ce moment n'importe quel humain aurait éprouvé de la haine envers l'homme qui venait de l'agresser, mais ce n'était pas mon cas, je savais depuis déjà fort longtemps que mon père me détestait et il n'attendait qu'un prétexte pour exprimer toute sa haine contre moi, cependant à ce moment je compris une chose, je n'avais plus ma place ici.
Le dimanche suivant monsieur Barnes fut choqué en voyant mon état, je lui fis alors part de mon souhait de partir de la maison et de devenir professeur. Au fil du temps Joshua était comme devenu mon confident, nous avions développé bien plus qu'une relation élève professeur, je le considérais comme mon père que j'ai toujours voulu avoir. Monsieur Barnes me fit alors une proposition inespérée, celle de m'emmener avec lui à Cambridge ou il exerçait en tant que professeur, les larmes montèrent immédiatement et j'accepta sa proposition à ma plus grande joie. Venant d'avoir dix-huit ans mon père ne pouvait s'y opposer. Ainsi le soir même je partis de la ferme avec monsieur Barnes, en me retournant je pouvais voir la fierté de ma mère qui fut très heureuse que je puisse poursuivre mes rêves.
Une fois à Cambridge je pus intégrer l'université avec l'aide de monsieur Barnes. Les années passèrent, et je devins à mon tour professeur à l'université. Neuf ans passèrent depuis mon départ ; j'appris avec tristesse le décès de ma mère par ma sœur, ces dernières venaient souvent me rendre visite dans mon appartement. Ainsi après neuf ans je retrouvais ma famille pour l'enterrement de ma mère, nos larmes se confondaient avec la pluie qui ruisselait sur nos visages, je m'approchai finalement du cercueil, une rose de couleur rouge pourpre à la main. En me tenant face à la fosse je me remémorais une dernière fois tous ce qu'elle a fait pour moi, comment elle s'est battue pour m'aider à réaliser mon rêve et comment elle m'a soutenue malgré les dires de mon père qui me voyais déjà dans les champs avec George et Lennie, finalement je dépose ma rose sur son cercueil en laissant derrière moi un dernier mot : « merci pour tout maman ».