ROSE

Moi, je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. Le jour où elle m'a abandonné, plutôt où elle m'a jeté à la rue, je n'avais que huit ans. J'oublie peu à peu le visage de ma mère. 
Son visage était trop superficiel. Trop, pour cacher un dégout qui ne cesse presque jamais d'émerger. Elle sourit à peine, ses yeux rougissent facilement, son ardeur change et faisait toujours plusieurs choses à la fois. Sauf que, dans « ses plusieurs choses à la fois », jamais « m'aimer et se sentir apaisée ».
Elle ne m'a rien appris. Elle a toujours tout fait pour moi. Mal. J'ai tout appris chez « Madanm », chez Mariam. Et moi, je m'appelle Sentàn ; comme une sœur jumelle que Tisentaniz aurait eu. J'ai toujours entendu les gens m'appeler Rose comme si je pouvais  avoir de l'imagination, une quelconque sur la beauté et ses couleurs. Si je vous dirais que Rose, je l'aimais par le biais des gens qui en parlent (C'est comme ça que j'ai appris que j'ai un cœur. Par amour.) Mais, Tisentaniz n'a jamais été Rose. Comment pouvais-je l'être moi ? 
Maurice sixto l'inventeur du genre littéraire haïtien « lodyans » me fait penser que je ressemble tellement à « Tisentaniz », parcourir plusieurs kilomètres par jour pour raccompagner une enfant plus grande qu'elle parce que c'était la fille de « Madanm », parce qu'elle est une domestique, parce que c'est elle la « sans maman » j'ai appris à faire la lessive pendant toute une journée avec les cris stridents de l'autre et mon endurance personnelle, que l'école était bonne pourtant interdite à moi. Je suis  sans maman et j'ai 13 ans. Je ne suis peut-être pas orpheline, ma mère vie ailleurs semble-t-il, alors abandonnée à son unique sort, sort de madanm, qu'elle me pressure encore et encore ! 
Dans un quartier à Pétion-ville, c'est là que j'habite. Disons que Mariam et sa famille habitent, tandis que moi je reste tout simplement. C'est pourquoi les gens comme moi on les appelle des « restavèk ». (Reste avec) il y'en a plein dont leurs humanités restent bafouées, dignités vendues et toujours à revendre, esclaves des temps modernes révolutionnaires-révolutionnés, des gens oubliés d'eux-mêmes.


Le jour où ma mère m'a sacrifié dans l'espoir non-évident de me donner une vie meilleure ; même contre elle-même, C'est en ce jour-là la fatalité a pointé brutalement dans mes rêves d'enfant en manque cruel de sommeil. Je préfèrerais rester dans cette pauvreté extrême qu'on a vécue depuis toujours, au lieu de vivre dans une grande maison juste à m'occuper des personnes plus grandes que moi. Je n'ai pas de rêve, ni d'ambition qui ne s'alternent que de brutaux réveils.  Je crois seulement avoir une envie ininterrompue d'une vie normale comme tous les enfants de mon âge. Ambition spéciale ? Aucune. Pourtant, C'est une condition existentielle et vitale à la fois.
Parfois, j'ai juste envie de ne plus exister. Je me demande souvent pourquoi les autres enfants vivent, vont à l'école, jouent, ont des habits magnifiques tandis que moi, je ne sais ni lire, ni écrire, que je doive tout simplement me contenter de mes tâches domestiques. Il ne se passe pas un jour sans que je me fasse tabasser par des personnes qui sont censées me protéger.
Le froid était impressionnant au pays tropical D'Haïti, la lumière était pesante et prolifique quand je m'étais réveillée angoissée à rechercher une mère perdue à jamais. Elle a dû oublier son mouchoir d'Erzulie blanc lumineux, contrariée par le départ précipité offert par cet instant de délivrance ultime. Partir en douce, partir en vitesse, ce fut donc la même chose.
A ce stade, elle devait se sentir soulagée. Du père, inculte indépendamment de mon choix, j'ai perdu l'estime par avance et engagé la destinée non sans imposition. Je me suis endormie dans la pièce habituelle, la voisine aura encore dit sa prière. Dieu sans haine même avec ta colère, j'espère ne pas voir en ton indifférence du mépris voire de l'abandon, Dieu d'amour, toi que j'ai failli haïr une fois, fait de cette prière non pas une offense ; mais une prière d'une chrétienne modèle. On dirait que « sœur Annette » priait toujours pour moi.
Tel un flash à quelques centimètres, je me suis réveillée les yeux et le visage plein de soleil. Un bref instant plongé dans le spectacle d'un passant à l'autre, chaque ombre devenait menaçante, le silence soudain faisait peur...et je ne pouvais pas pendant un moment me retirer de ce spectacle à l'allure disparaissant et disparate.
Je suis sur la place saint Pierre à Pétion-ville, enfin quelqu'un m'a regardé. J'étais autrement pitoyable. Qu'est-ce-que tu fais là, tu es seule à ce que je vois ? Parce que ma maman est partie, et c'est surprenant et même suspect. Je crois qu'elle ne reviendra jamais du coup. Il m'a vite ramené chez « Madanm », sa voisine. Je ne savais pas ce qui allait se passer.
Sincèrement, Retrouver un toit pour dormir, une famille sur laquelle compter en particulier, une petite qui ait à peu près mon âge ne me préoccupait guère à ce moment-là. Mon ultime voire seule inquiétude c'était de retrouver ma mère, mon ange gardien dont le cœur serait d'une pitié aveugle. 
J'avoue, qu'il n'y avait pas vraiment une forte complicité entre nous, par contre nous étions un réel binôme ; elle passait la majeure partie de son temps à faire le nécessaire pour que nous survivions, parce qu'on ne vivait pas, on existait tout simplement. Malgré nous, je lui en voulais de m'avoir abandonné car notre amour et notre courage pouvaient tout surmonter, et qu'ensemble nous pourrions créer une vie meilleure. Celle-ci dernière était la seule chose qu'elle voulait m'offrir. Même son visage de malade et de femme furieuse ne m'en aura jamais dissuadé.
Dans la camionnette bleue qui m'emmenait à Péguy-ville, l'indiscrétion était même impitoyable. Des yeux même en vrac, fouinaient dans mon âme, à chercher ma peine et ma tristesse sans aucune volonté de consolation comme condition. Abominable camionnette bleue, le monsieur à ma droite, à un moment, je croyais qu'il allait se déshydrater tellement qu'il transpirait, tandis que la dame en face était une chrétienne intolérante et tellement irritante. Le Christ veut que tout le monde ressemble à cette fillette, sans d'abord se renseigner sur mon être si misérable. A quel point au juste, le Christ s'en fout ? 
Ma mère ! Furieuse de n'avoir toujours dans le quotidien que le temps à peine de s‘en sortir, furieuse de son cœur à partager entre mépris et espérance, furieuse femme Haïtienne ! comme toutes les autres à avoir du mal à s‘en défendre contre le machisme de certain blocage originel, à combiner péché et amour pour prendre soin de son enfant dont Dieu et tous les saints d'ici, de Ouanaminthe à Jérémie, lui en aura fait la servante par excellence. Le Monsieur s'est arrêté à ruelle devant de chez « Madanm ».  C'est à cet instant qu'une lueur d'espoir est venue illuminer comme pour la première fois ma vie douloureuse. Dans ma tête j'avais tout gagné une famille jusqu'au moindre confort, je pensais que cette retrouvaille allait alléger ma souffrance. Malheureusement, c'était le jour où mon enfer allait empirer, on me traitait comme une esclave, oui, une esclave moderne, mes chaînes étaient tout simplement invisibles. Je voulais mourir, mais je gardais en tête que mon héroïne allait réapparaitre à tout moment avec elle, la fin de toute cette atrocité. Un jour, au marché, je soupçonnais des gens indiscrets comme ces regards dans la camionnette, parlaient de ma situation. C'est comme si une lumière venait d'apparaitre dans cette vie ténébreuse. 
Jusqu'à maintenant, je suis toujours dans l'attente d'une fin heureuse. J'ai des ambitions, des objectifs ainsi qu'un rêve à me réinventer. En fait, par curiosité inconsidérée du point de vue des autres, récemment j'ai suivi une émission entière, le travailleur social m'aura communiqué sa passion brute.