Survivre...

« Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. »
J'ignorais que ce jour là marquerait un tournant radical dans ma vie.
Les autres me regardaient comme celle que je n'étais pas.
Je n'étais qu'une enfant. Et comme tous les autres bambins je rêvais. — Arrête un peu. Tu ne seras jamais comme tu le souhaites, tu n'en es pas capable, disait-elle.
J'ai rencontré cette femme, elle m'a tant appris. J'ai vu en elle ce que je ne voyais pas à travers les autres, une âme bienveillante ; « Je suis là, je serai toujours là. » disait-elle souvent. Un mercredi, j'ai découvert qu'elle me cachait certaines choses. D'où venait-elle ? Et moi qui suis-je ? Je n'en savais rien, j'ai cherché en vain. Chaque jour paressait tel un calvaire à ses côtés, et moi, je n'étais plus moi-même. La vie menée n'était pas celle rêvée autrefois. Plus le temps passait et plus je me détachais de cette femme. À mes 20 ans, j'ai compris que je vivais dans un monde autre que celui des gens normaux, des êtres humains.
« Tu me rabaisses, tu m'humilies. Tu n'as aucun respect envers moi, tu m'insultes, me fais passer pour une personne mauvaise, pour celle que je ne suis absolument pas. Tu uses de manipulation afin d'obtenir satisfaction. Tu te fais passer pour une femme exceptionnelle qui prend soin de moi et qui ne veut que mon bonheur. Personne n'a aucune idée de qui nous sommes ici. Tu m'en veux tout le temps, tu me reproches des choses irréprochables, me fais passer pour une menteuse, tu m'inventes même une vie, sans savoir que ma vie c'est toi. Lorsque je souffre c'est toi la victime. Quand tu n'obtiens pas ce que tu veux, c'est subitement de ma faute ; « C'est de ta faute si j'en suis là, tu n'es pas une personne normale. ». Tu contrôles mes faits et gestes. Quand les choses ne vont pas dans ton sens tu t'emportes et rejettes la faute sur celle que je suis. Tu as recours au chantage lorsque je ne suis pas en accord avec toi ou que je refuse de faire de ce que tu demandes. Tu ne m'acceptes pas, et tu n'y arriveras jamais ». Ces paroles en boucle dans ma tête, ces choses que je n'osais pas lui avouer, de peur qu'elle m'abandonne ici, dans ce monde inconnu, où l'autre me regarde différemment. Les jours passaient et mon malheur demeurait. Fille incomprise, rongée par la tristesse et le doute, nul ne pouvait comprendre ce que je ressentais car personne ici n'était comme moi.
Je me suis abandonnée à cette vie, une vie sans bonheur. Partir était une erreur, je ne savais pas où je me trouvais, je ne savais pas qui j'étais réellement et plus les jours et les mois, passaient, plus j'oubliais la souffrance qui m'envahissait. Je m'étais donnée entièrement à cette femme, à ce monde, je m'oubliais petit à petit. La nuit était pour moi une source de réconfort, car je prenais le temps de respirer tandis que le monde s'endormait. Je pouvais être qui je veux, et non l'esclave de cette femme, j'apprenais à écouter la voix du vent, à admirer le ciel de cette planète. Je persistais des heures à essayer de comprendre comment j'avais pu en arriver là, à un tel désespoir. « Qu'est-ce que je fais dans ce monde ? Qui sont ces gens qui me regardent ? », me répétais-je à chaque instant. Je n'en revenais pas, j'avais réussi à m'aventurer dans un univers autre que le mien, et malheureusement je ne savais pas comment.
Un matin, je me suis retrouvée à parler la langue de ce monde, je n'ai pas cherché à comprendre, ça n'en valait pas la peine. J'ai commencé à marcher comme eux, à manger comme eux, à adopter leurs habitudes, leur mode de vie, et à ce moment-là je me suis réellement dit que je n'étais plus moi-même, je n'étais plus une humaine. Je dépendais de ce monde, mais surtout, je dépendais de cette femme, sans elle je n'étais rien. Malgré tout ce qu'elle me faisait subir j'avais besoin d'elle pour m'en sortir, pour vivre dans ce monde étrange. Elle connaissait tout de moi, mes faiblesses. Le mot « aimer » n'existait pas pour elle, elle ne sait pas ce que ça veut dire. Je souffrais, je pleurais de plus en plus mais je restais. Je restais parce que je n'étais pas courageuse, parce que j'avais peur des représailles. Je n'osais pas lui dire ce que je ressentais, je n'y arrivais pas. La peur s'emparait de moi, tout le temps.
[...]
— Réveillez-vous, disait une voix.
Mais comment est-ce possible, que s'est-il passé. Où sont tous ces gens bizarres, et cette femme. J'étais là, couchée sur ce canapé, dans cette salle, devant cet homme qui me regardait. Je ne comprenais pas, j'avais perdu tout contrôle de la situation.
— Votre séance d'hypnose est terminée. Racontez-moi ce qui s'est passé. Pourquoi cet homme que vous dissimulez sous l'aspect d'une femme vous fait subir autant ? Pourquoi vous vous faites du mal ? Je vous écoute.
Je ne savais que dire, les mots ne sortaient pas. J'étais dans un cauchemar sans fin, et tout cela prenait une ampleur extrême dans ma vie.
La femme que je décrivais comme étant ma mère, cette femme qui m'humilie, qui me maltraite, qui prétend m'aimer, n'est pas ma mère, mais l'homme à qui je me suis donnée. C'est cet homme qui m'arrache de mon corps et qui me tient en captivité, sans aucune issue de secours. C'est cet homme à qui je n'arrive pas à dévoiler ma peine, ma souffrance.
— Je ne peux pas voir la réalité en face tout simplement parce que je ne l'accepte pas. Je suis consciente du mal que je me fais à moi-même mais je ne peux pas me défaire de tout cela. Les autres me regardent et voient une personne épanouie. La dépendance s'installe une fois que la confiance en soi n'est pas présente. Je souris et je pleure en silence. Dissimuler les choses pour ne pas faire face à la réalité est beaucoup plus évidente. Le bonheur ne m'ouvre pas encore les bras. Attendre est ma seule option.

[...] Je lui ai donné ma vie, alors je survis.