Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre... et pas que pour elle ! Bien-sûr, elle n'en a jamais rien laissé transparaître, mais je l'entends... au-delà du silence de ces regards insistants à mon endroit, elle se demande : pourquoi moi ? Puis, elle soupire... certainement du souvenir de cette fameuse nuit durant laquelle je fus conçue, au milieu de ses cris à elle et de ses pleurs, où ce qu'elle avait de plus précieux fut troqué contre le lourd fardeau que je suis... Ah, ma mère ! La vie n'a jamais été douce envers elle ! Pourtant, envers et contre tout, envers et contre tous, elle m'aime. Je le sais. Cette décision que j'ai prise, c'est aussi pour elle... ma façon de lui dire merci. J'espère qu'elle comprendra. Quitter ce monde où je n'ai su trouver mes marques, c'est pour moi comme une panacée...
... A présent, je suis sur le point de commettre l'irréparable... Alors, tel des vagues en furie prémonitoires d'une tempête, un flot de souvenirs déferle en moi, tandis que s'enclenche irréversiblement le compte à rebours avant le grand saut fatal... Vous vous demandez peut-être ce qui a pu m'amener jusque-là. Pour le savoir, comptez avec moi !
5 !
J'ai très tôt compris que quelque chose clochait chez moi. Petite fille déjà, je savais que j'étais différente... Un visage divinement taillé dans de l'albâtre bruni, des yeux étincelants d'or et d'onyx, une luxuriante chevelure épaisse et dorée me tombant jusqu'à la taille, telle la crinière d'une lionne, et le tout agrémenté d'un corps de déesse, chef d'œuvre de l'orfèvrerie divine, j'aurais aisément pu passer pour la plus belle de ma génération. Mais je ne me sentais point jolie du tout... Toutes mes camarades avaient ce petit truc qui me fascinait et que je désirais plus que tout, cette lumière qui venait sublimer leurs traits souvent moins affinés que les miens...
En effet, mon visage, il est de marbre. C'est à grand peine, et à prix d'efforts herculéens que je parviens tant soi peu à ouvrir la bouche pour m'alimenter, ou à bouger mes paupières. Tout autre mouvement du visage m'est étrange. Mais l'un d'eux me manque par-dessus tout : le sourire.
4 !
Peut-être trouvez-vous que c'est bien peu de choses... mais essayez, juste le temps de ce conte, de rester le visage figé. Je parie ma vie que vous n'y arriverez pas. Alors imaginez rester comme ça toute une vie... vous aurez alors une petite idée de ce qu'est ma vie...
C'était tout le temps un calvaire. La cause de mon mal étant inconnue, des théories fusaient de toutes parts : pour certains, je le faisais exprès, une façon de bouder la vie, enfant sans père que j'étais ; une seule solution, m'administrer la fessée du siècle ! Pour d'autres, j'étais possédée d'un esprit démoniaque, et maints marabouts et prêtres exorcistes à la foi douteuse étaient ainsi recommandés à maman. Mais elle n'en avait cure ! Pour elle, j'étais juste Rama, sa petite fille adorée, son extra-terrestre à elle.
A l'école, je n'avais pas d'amis. Entre ceux qui avaient peur de moi, les indifférents et ceux qui me dédaignaient, seule dans mon coin, je fermais les yeux et je m'imaginais un monde de roses... Je suis comme une fleur, une fleur maintenue sous un bocal de verre, et qui ne demande qu'à inonder le monde de ce parfum si doux qu'elle détient... Et puis vint la persécution. D'abord timidement, puis, bientôt insupportable, comme une descente aux enfers. Je n'avais pas le choix, il fallait me défendre ! Je me bagarrais pratiquement chaque jour ! Parfois, j'avais juste envie de hurler ma douleur ! De leur dire : « arrêtez ! », « je suis aussi un être humain ! ». Et au bord de l'implosion, mon désir de devenir neurologue croulant sous le poids de cette oppression, sur le point d'abandonner l'école, comme une bouffée d'air frais, Abi entra en jeu...
3 !
Je ne le remarquai pas d'abord, trop occupée que j'étais à me battre. Cependant, depuis un moment, il était là... comme s'il essayait de me défendre des autres... hallucinant ! Il était mignon, Abi. Un visage d'ange, la peau mate et satinée, du charme à vous en faire perdre la tête, et surtout cette gentillesse débordante presque irréaliste ; il avait tout pour plaire ! J'aimais bien être avec lui ; il m'écoutait, me réconfortait... À 18 ans, je n'avais jamais vu les garçons autrement que comme mes adversaires les plus redoutables ! Depuis, j'existais, mais avec lui je commençais à vivre pleinement ! Et je commençais à ressentir tout plein de trucs bizarres... était-ce ça l'amour ?
En l'espace d'un soir, tout bascula !
2 !
En début d'après-midi, par une de ces belles journées ensoleillées de saison sèche dont seul le climat tropical détient le secret, j'ai rendez-vous avec mon médecin. Il a des nouvelles très importantes, je suis perplexe ; Abi se propose pour m'accompagner. Je suis aux anges !
Au sortir de l'hôpital, je suis abasourdie ! Certes, je peux désormais mettre un mot sur mon mal : syndrome de Möbius. Mais le diagnostic étant tardif, rien à faire. Il n'y a donc plus d'espoir ! Je ne saurai donc jamais ce que c'est que de ressentir un doux sourire sur mon visage ? Cependant, il est toujours là ! Il me regarde, compatissant... mais pourquoi diable est-il encore là !? Je le roue de coups, en lui répétant « va-t'en, laisse-moi ! ». Je voudrais en finir, là ! Je voudrais me jeter sous la première voiture ! A quoi bon continuer ? Je suis si lasse... Sur le point de m'effondrer, il me tient, et je m'abandonne à lui... c'est alors qu'il me dit, ses yeux tendres plongés dans les miens : « ne t'en fais pas. Tu n'es pas seule, je serai toujours là ! Je t'aime ! »
1 !
Ces trois derniers mots ont un tel écho en moi ! C'est incroyable ! Irrésistiblement, nos lèvres se rencontrent dans un ultime élan passionnel... L'instant est magique ! Féerique ! Je ne suis qu'émotions ! Je sens le désir, comme un doux courant électrique, qui parcourt mon corps, centimètre par centimètre. Le temps semble s'être arrêté. Il n'y a que lui, ma lumière dans ce monde infernal...
Alors, pour prolonger ce moment d'extase infinie, pour lui montrer à quel point je tiens à lui, je décide de lui offrir ce que j'ai de plus cher... et quelques instants plus tard, oubliant toutes les normes, c'est la fusion, non plus de nos lèvres uniquement, mais aussi de nos corps, et surtout de nos cœurs... je ne suis plus que sensations !
Il s'est assoupi. Dans la pénombre, je ressasse les dernières heures... j'ai l'impression de rêver ! Et je voudrais que ça dure longtemps... Brusquement, une sonnerie de portable me tire de ma rêverie. Ce n'est pas le mien. Curieuse, j'y risque un coup d'œil ; il ne fallait pas ! Oh, douleur ! Je suis horrifiée ! Une stupide et vulgaire histoire de pari ! C'est donc ça ? Mon monde s'écroule, pour la millionième fois... c'en est de trop ! La vue brouillée, la mort dans l'âme, je n'ai même pas envie de réaliser ce qui se passe. Une seule idée en tête : je suis de trop dans ce monde ! En quelques instants, je suis sur le toit de cet immeuble – 18m de haut ! - prête à commettre l'irréparable... voilà, vous savez tout. Je vous en prie, ne me jugez pas. Je m'en vais. Je vole !
0 ! alea jacta est !
C'est fini. Je ne ressens plus rien. Comme si le temps s'était figé. Peut-être est-ce mieux ainsi... mais comment continué-je à vous parler ? Bizarre, non ? Je scrute les ténèbres à la recherche de la lumière salutaire... nada ! Soudainement, je suis assenée d'une douleur fulgurante à la tête, en même temps que j'ouvre brusquement les yeux, interdite. Où suis-je ? On dirait une salle d'hôpital... et je me sens différente. Lentement, le visage larmoyant de maman se dessine au-dessus du mien. Dans ses yeux je vois... un sourire ! Le mien ! Oh miracle ! Elle me caresse la joue tendrement... Alors, je veux lui rendre sa caresse, mais ma main ne me répond pas. Ni aucun de mes membres ! Comme une grosse farce, nouvelle sentence : tétraplégique...
... A présent, je suis sur le point de commettre l'irréparable... Alors, tel des vagues en furie prémonitoires d'une tempête, un flot de souvenirs déferle en moi, tandis que s'enclenche irréversiblement le compte à rebours avant le grand saut fatal... Vous vous demandez peut-être ce qui a pu m'amener jusque-là. Pour le savoir, comptez avec moi !
5 !
J'ai très tôt compris que quelque chose clochait chez moi. Petite fille déjà, je savais que j'étais différente... Un visage divinement taillé dans de l'albâtre bruni, des yeux étincelants d'or et d'onyx, une luxuriante chevelure épaisse et dorée me tombant jusqu'à la taille, telle la crinière d'une lionne, et le tout agrémenté d'un corps de déesse, chef d'œuvre de l'orfèvrerie divine, j'aurais aisément pu passer pour la plus belle de ma génération. Mais je ne me sentais point jolie du tout... Toutes mes camarades avaient ce petit truc qui me fascinait et que je désirais plus que tout, cette lumière qui venait sublimer leurs traits souvent moins affinés que les miens...
En effet, mon visage, il est de marbre. C'est à grand peine, et à prix d'efforts herculéens que je parviens tant soi peu à ouvrir la bouche pour m'alimenter, ou à bouger mes paupières. Tout autre mouvement du visage m'est étrange. Mais l'un d'eux me manque par-dessus tout : le sourire.
4 !
Peut-être trouvez-vous que c'est bien peu de choses... mais essayez, juste le temps de ce conte, de rester le visage figé. Je parie ma vie que vous n'y arriverez pas. Alors imaginez rester comme ça toute une vie... vous aurez alors une petite idée de ce qu'est ma vie...
C'était tout le temps un calvaire. La cause de mon mal étant inconnue, des théories fusaient de toutes parts : pour certains, je le faisais exprès, une façon de bouder la vie, enfant sans père que j'étais ; une seule solution, m'administrer la fessée du siècle ! Pour d'autres, j'étais possédée d'un esprit démoniaque, et maints marabouts et prêtres exorcistes à la foi douteuse étaient ainsi recommandés à maman. Mais elle n'en avait cure ! Pour elle, j'étais juste Rama, sa petite fille adorée, son extra-terrestre à elle.
A l'école, je n'avais pas d'amis. Entre ceux qui avaient peur de moi, les indifférents et ceux qui me dédaignaient, seule dans mon coin, je fermais les yeux et je m'imaginais un monde de roses... Je suis comme une fleur, une fleur maintenue sous un bocal de verre, et qui ne demande qu'à inonder le monde de ce parfum si doux qu'elle détient... Et puis vint la persécution. D'abord timidement, puis, bientôt insupportable, comme une descente aux enfers. Je n'avais pas le choix, il fallait me défendre ! Je me bagarrais pratiquement chaque jour ! Parfois, j'avais juste envie de hurler ma douleur ! De leur dire : « arrêtez ! », « je suis aussi un être humain ! ». Et au bord de l'implosion, mon désir de devenir neurologue croulant sous le poids de cette oppression, sur le point d'abandonner l'école, comme une bouffée d'air frais, Abi entra en jeu...
3 !
Je ne le remarquai pas d'abord, trop occupée que j'étais à me battre. Cependant, depuis un moment, il était là... comme s'il essayait de me défendre des autres... hallucinant ! Il était mignon, Abi. Un visage d'ange, la peau mate et satinée, du charme à vous en faire perdre la tête, et surtout cette gentillesse débordante presque irréaliste ; il avait tout pour plaire ! J'aimais bien être avec lui ; il m'écoutait, me réconfortait... À 18 ans, je n'avais jamais vu les garçons autrement que comme mes adversaires les plus redoutables ! Depuis, j'existais, mais avec lui je commençais à vivre pleinement ! Et je commençais à ressentir tout plein de trucs bizarres... était-ce ça l'amour ?
En l'espace d'un soir, tout bascula !
2 !
En début d'après-midi, par une de ces belles journées ensoleillées de saison sèche dont seul le climat tropical détient le secret, j'ai rendez-vous avec mon médecin. Il a des nouvelles très importantes, je suis perplexe ; Abi se propose pour m'accompagner. Je suis aux anges !
Au sortir de l'hôpital, je suis abasourdie ! Certes, je peux désormais mettre un mot sur mon mal : syndrome de Möbius. Mais le diagnostic étant tardif, rien à faire. Il n'y a donc plus d'espoir ! Je ne saurai donc jamais ce que c'est que de ressentir un doux sourire sur mon visage ? Cependant, il est toujours là ! Il me regarde, compatissant... mais pourquoi diable est-il encore là !? Je le roue de coups, en lui répétant « va-t'en, laisse-moi ! ». Je voudrais en finir, là ! Je voudrais me jeter sous la première voiture ! A quoi bon continuer ? Je suis si lasse... Sur le point de m'effondrer, il me tient, et je m'abandonne à lui... c'est alors qu'il me dit, ses yeux tendres plongés dans les miens : « ne t'en fais pas. Tu n'es pas seule, je serai toujours là ! Je t'aime ! »
1 !
Ces trois derniers mots ont un tel écho en moi ! C'est incroyable ! Irrésistiblement, nos lèvres se rencontrent dans un ultime élan passionnel... L'instant est magique ! Féerique ! Je ne suis qu'émotions ! Je sens le désir, comme un doux courant électrique, qui parcourt mon corps, centimètre par centimètre. Le temps semble s'être arrêté. Il n'y a que lui, ma lumière dans ce monde infernal...
Alors, pour prolonger ce moment d'extase infinie, pour lui montrer à quel point je tiens à lui, je décide de lui offrir ce que j'ai de plus cher... et quelques instants plus tard, oubliant toutes les normes, c'est la fusion, non plus de nos lèvres uniquement, mais aussi de nos corps, et surtout de nos cœurs... je ne suis plus que sensations !
Il s'est assoupi. Dans la pénombre, je ressasse les dernières heures... j'ai l'impression de rêver ! Et je voudrais que ça dure longtemps... Brusquement, une sonnerie de portable me tire de ma rêverie. Ce n'est pas le mien. Curieuse, j'y risque un coup d'œil ; il ne fallait pas ! Oh, douleur ! Je suis horrifiée ! Une stupide et vulgaire histoire de pari ! C'est donc ça ? Mon monde s'écroule, pour la millionième fois... c'en est de trop ! La vue brouillée, la mort dans l'âme, je n'ai même pas envie de réaliser ce qui se passe. Une seule idée en tête : je suis de trop dans ce monde ! En quelques instants, je suis sur le toit de cet immeuble – 18m de haut ! - prête à commettre l'irréparable... voilà, vous savez tout. Je vous en prie, ne me jugez pas. Je m'en vais. Je vole !
0 ! alea jacta est !
C'est fini. Je ne ressens plus rien. Comme si le temps s'était figé. Peut-être est-ce mieux ainsi... mais comment continué-je à vous parler ? Bizarre, non ? Je scrute les ténèbres à la recherche de la lumière salutaire... nada ! Soudainement, je suis assenée d'une douleur fulgurante à la tête, en même temps que j'ouvre brusquement les yeux, interdite. Où suis-je ? On dirait une salle d'hôpital... et je me sens différente. Lentement, le visage larmoyant de maman se dessine au-dessus du mien. Dans ses yeux je vois... un sourire ! Le mien ! Oh miracle ! Elle me caresse la joue tendrement... Alors, je veux lui rendre sa caresse, mais ma main ne me répond pas. Ni aucun de mes membres ! Comme une grosse farce, nouvelle sentence : tétraplégique...