Singularité plurielle

''Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extraterrestre. Ce caractère m'a paradoxalement toujours plu. Cela a commencé dès ma naissance quand mon premier cri a tué un grabataire qui respirait sous oxygène près de la maternité où je venais de voir le jour. Je hurlais sous l'effet de la chaleur de ce monde là qui me brûlait sans cesse. Les grosses seins de maman n'avaient quasiment pas de lait et moi j'avais faim, je venais avec ma faim de l'autre côté du monde.
Le grabataire qui venait de crever était, m'a-t-on dit plus tard, le plus grand abateur des arbres du village. Il en produisait du charbon pour les forgerons du village; ceux qui fabriquaient des armes pour tuer des antilopes et les mettre dans des marmites.
Ce jour là, tout le monde qui s'y trouvait me regardait méchamment. Des murmures de ''qui va encore raser les arbres de nos champs'' occupaient l'espace. J'étais issue d'une grossesse gémellaire mais celle avec qui j'étais siamoise était une sorte de maladie dont personne n'avait vue et sue nulle part ailleurs. C'était la maladie des événements miraculeux et elle avait pour symptômes mes MANIÈRES et mes DOUTES. Après cette naissance, j'étais l'enfant qui selon certains méritait la mort mais je me suis calmée quand maman me ramèna à la maison.
Le septième jour après ma naissance, pour me donner un nom on fit appel aux voisins qui commençaient déjà à être sceptiques en ce qui me concerne. Dès son arrivée, le vieillard qui était chargé de me coiffer, d'enlever mes cheveux soyeux et noirs se heurta à un bois étalé sur la cour, tomba et rendit l'âme sur place. Lui, c'était, me dit-on, l'expert en feu de brousse, le plus grand chasseur de notre contrée. Et là tout le monde a vraiment commencé à avoir peur de moi. Maman me portait seulement malgré elle. Elle, de qui je venais même, avait toujours peur de se retrouver seule avec moi .
Ma plus grande spécialité était ma forte répugnance face au climat caniculaire et à l'atmosphère insalubre qui accablaient notre village pratiquement tous les temps. Maman , pour ne pas entendre mes cris, était obligé de me laver mille et une fois en une journée. Je grandissais néanmoins.
À chaque fois qu'une personne s'opposait à ma volonté, elle tombait malade ou était victime d'un accident.
À sept ans, aller à l'école me traversa l'esprit et un jour je dis à papa que je voudrais moi aussi y aller. Celui-ci accepta sans réfléchir de peur de crépir sa belle chambre au cimetière de mon village. Dans cette région, j'étais l'une des rares fillettes à aller à l'école.
À l'école, j'occupais toujours le premier rang de ma classe et cela n'étonnait personne puisqu'il s'agissait selon eux de la ''Diablotine''. Après six Courtes années j'étais appelée à changer d'établissement, à aller au lycée.
Au lycée, j'adorais mon professeur de géographie; ce monsieur qui ne cessait de nous raconter ses premiers voyages en Europe. On l'appelait monsieur Paris, ses collègues l'appelaient Onésime Reclus. Moi j'aimais les cours de toponymie; on y étudiait Monaco, Québec, Erevan, Yaoundé, Douala, Maroua, Abidjan, Bamako et bien d'autres villes.
Là, je présidais deux clubs à la fois : le club des ''amis de l'environnement'' et le club ''santé''. Je venais de loin. J'organisais tous les samedimes des séances de nettoyage de la ville et je faisais planter des arbres partout dans le village. Tout mes camarade connaissaient mon histoire et se méfiaient de moi en s'exécutant le plus rapidement et loyalement possible. Mon proviseur m'appelait ''Maire du lycée'' et maman m'appelait à la maison ''mère de l'environnement''.
J'étais fier de ces titres et je defendais toujours les jeunes filles comme moi qui étaient victimes de mariages forcés et de harcèlement. ''Tout le monde a peur de moi'' , cette phrase défilait toujours dans ma petite tête.
Pour mener à bien ma mission, j'organisais des rencontres entre nous les filles du village et cela se passait tous les mercredi soir. Je développais déjà plusieurs thèmes sur la beauté et la solidarité entre nous les lunes montantes.
Les vieux du village boudaient cela mais ne pouvaient me dire mot. Personne n'avait le courage de mourir , même pas le chef du village. Toutes ces personnes âgées dissimulaient leur mal chacun dans sa gandoura. Et moi j'avais en tête ''tout le monde a peur de moi''
Réellement, je vivais un libertinage et cela me gênait quelques fois. Je menais une vie d'extraterrestre comme me l'avait fait remarquer maman.
Un jour, une nouvelle tomba, j'étais boursière et je devais partir pour passer un semestre à Bruxelles et j'en étais fière. Tout le village poussait un ouf de soulagement parce-que pour les vieux je représentait une pente entre la vie et la mort, pour les jeunes hommes une barrière pour leurs projets de dominer les jeunes filles et pour les viellardes j'étais une sorte d'épine dans la chaussure. Je me suis envolée pour Bruxelles et j'y ai vécu de belles expériences.
À mon retour, une mauvaise atmosphère m'a chaleureusement accueillie : une grandes partie des arbres du village étaient coupés, la majorité de mes camarades étaient vendues aux maris vicieux, ma chambre ressemblait à une porcherie.
Dès mon arrivée, tout le monde avait peur et mama se cacha pour pleurer, elle s'imaginait le nombre de nouveaux habitants du cimetière.
Mais malheureusement, l'autre miracle ne pouvait plus se réaliser. C'était des faits de hasards je me dis. On m'énervait d'une part et les gens mourraient d'autres part. C'est après le cours de philosophie que je l'avait compris. Je l'avait expérimenté par moi même. J'ai essayé de m'énerver moi même et je n'étais pas morte.
J'avais repris avec les cours du lycée et je tenais déjà des grandes réunions sur des grands thèmes. Je luttais directement contre des fléaux comme l'excision, l'analphabètisme des jeunes filles et les mariages précoces et forcés.
Connaissant, que ma magie était tombée, tout le monde me menaçait déjà, ignorant que je suis allée à Bruxelles apprendre les droits de l'Homme. Je brandissais déjà à ce moment la sorcellerie de la loi. Et plusieurs d'entre eux répondaient de leur acte et ma notoriété s'imposait de nouveau.
Un jour Maman m'appela dans sa chambre, et m'interrogea en ces mots:
-Ma fille, ma Chère Gui, appartiens-tu honnêtement à l'espèce humaine ?
-Oui maman, bien-sûr... Tu viens de m'appeler ''ma fille'', et toi tu en fais partie et un humain ne peut donner naissance qu'à un humain.
-Et pourquoi détestes-tu les Hommes? Tu as tué les uns jadis et aujourd'hui tu mets les autres en Dangaï, en prison.
- Non, maman, je ne les déteste pas ! Je n'ai tué personne et je mets des gens en prison pour leurs mauvais actes. Et c'est pour protéger les vrais Hommes. Maman... Crois moi, ces gens sont morts d'eux même.
-hum!
Maman prit sa route pour le dehors et me lança ''Qui ne cesse d'enfanter, ne cesse d'inventer les esprits''.
Des années passaient, mon caractère s'éternisait. J'ai eu du boulot et maintenant je suis directrice d'une ONG des droits de l'Homme. Tous les gouvernements veulent me corrompre en me disant de fermer les yeux sur certains détails. J'ai coutume de refuser et ceux-ci ont toujours le même discours: ''Tout les directeurs d'ONG qui viennent ici acceptent des deals''. À cela, ma réponse ne change jamais ''moi je suis différente''.