Simon

Moi je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère c'est comme si j'étais un extra-terrestre. Dès le début notre relation était compliquée. Mon premier souvenir d'enfance en fait preuve. Je me souviens clairement de ma journée d'anniversaire de cinq ans et de ce sentiment profond de confusion et de perplexité... Nous étions dans un magasin de jouets pour choisir nos cadeaux et j'ai trouvé une poupée avec des longs cheveux blonds qui ressemblait à maman! J'étais ravi jusqu'à la lui montrer... Avec une voix austère et sûre elle a dit : « Les poupées sont pour les filles ! » « Pourquoi ? » je lui ai demandé. Évidemment, elle ne savait pas pourquoi, mais cela ne lui changeait pas d'avis. Elle ne voulait pas me l'acheter. Puis, j'ai trouvé une balle mais elle ne lui plaisait non plus... « Le rose c'est pour les filles ». Je criais : « c'est juste une couleur lumineuse maman ! » Je comprenais pas ses oppositions... Je pensais que peut-être maman aimait ma sœur jumelle plus que moi, puisqu'elle disait que chaque jouet que je choisissais était pour les filles. Ainsi, j'étais très jaloux de ma sœur Mona mais heureusement elle est devenue mon alliée face aux interdictions absurdes de maman. Quand nous sommes rentrés à la maison, Mona m'a donné sa poupée en disant que c'était son cadeau pour moi, d'ailleurs elle ne comprenait pas l'attitude de maman... Cela serait notre premier secret. Après cet évènement, une période des disputes et des désaccords entre moi et maman a commencé qui a duré pendant toute mon enfance et adolescence. Le problème était sa vision stricte et précise du monde, je peux le comprendre maintenant... À l'époque, je me sentais perdu. Je pensais que c'était de ma faute que j'étais différent , de ma faute que maman n'était jamais satisfaite de mes choix. C'était dur d'entendre tous les jours que je ne suis pas suffisamment viril. En fait, ça veut dire quoi « suffisamment viril » ? Je suis un garçon mais je peux l'être encore plus ? Selon maman, les garçons ne peuvent pas aimer le rose, le ballet et la danse généralement. Selon maman c'est bizarre que je n'aime ni le football ni le basketball et que je ne suis pas du tout sportif. C'est bizarre que je suis si calme et vraiment étonnant que ma voix n'est pas très grave. Mais le plus important selon maman c'est que les garçons ne pleurent jamais. « N'oublie pas ça. Les garçons sont durs, forts et courageux. Les hommes ne sont pas sensibles. Pourquoi tu te comportes comme une fille ? Pleure pas... Les gens vont se moquer de toi. » Quand on est garçon c'est donc honteux d' exprimer ses sentiments, c'est honteux de pleurer , c'est honteux d'avoir peur ? Pourquoi ? Qui a inventé tous ces règles absurdes ? Et pourquoi l'opinion publique les a acceptées ?
À cause de toutes ces règles et toutes ces convictions, je me sentais seul. Mona se sentait seule aussi. Les stéréotypes de genre nous tourmentaient tous les deux. « Mona, les filles doivent être polies et souriantes ! » « Mona mange pas trop, il faut être mince pour être
belle ! » Nous demandions toujours pourquoi mais maman répondait toujours la même chose : « Arrêtez avec vos question bêtes. C'est comme ça ! ». En grandissant, j'ai rencontré des gens, hommes et femmes, qui se sentaient seuls aussi. Chacun pour des raisons différentes mais nous avons tous réalisé que c'est n'est pas grave d'être différent, c'est n'est pas un défaut. On a donné une promesse au nom de notre amitié : qu'on ne changera pas notre personnalité , notre comportement , nos préférences, nos valeurs, seulement pour plaire aux autres et qu'on ferra des efforts pour changer les mentalités qui rendent les gens seuls et tristes. Nous avons décidé de suivre le conseil de Kavafis, parce qu'il avait raison : il ne faut pas laisser notre vie devenir « une vie étrangère fastidieuse ».

Et après toutes ses années, je comprends et je te pardonne maman, parce que je t'accepte comme tu es et je sais que si tu ne pouvais pas faire pareil, ce n'est pas de ta faute. Tu voulais nous protéger et toi aussi, tu te sentais seule. Toi aussi tu souffrais. Je sais ce que les voisines murmuraient, j'entendais les chuchotements... Mais je te promets que c'est n'est pas à cause de toi qu'il nous a quittés. Il n' était pas un homme honnête , c'est lui qu'il faut blâmer. Toi, tu étais très belle et tu ne devais pas perdre du poids. Tu faisais tout ce que tu pouvais, pour qu'on ne manque de rien. Ta seule erreur ? Quand les voisins te jugeaient , tu agissais comme s'ils avaient raison. Tu leur as permis de te convaincre que ton mari t'a quitté à cause de ton physique. Tu les as laissés dicter ta vie et l'éducation de tes enfants. Je sais qu'au fond toi aussi tu te demandais pourquoi. Pourquoi on accuse toujours la femme quand un mariage échoue ?
Aujourd'hui, moi, Simon, un homme différent et pas assez viril selon les critères stéréotypiques, je deviens père. Et je vais aimer mon fils tel qu'il est et tel qu'il voudra être.