Seul dans le noir

Camille a 12 ans. Il est grand, blond et il a des yeux bleus. Il est beau mais ne sera jamais sûr de cela car il est aveugle. Et il ne sait pas ce qu'est le bleu. Il habite dans une cité HLM, à l'opposé de son collège et va dans un établissement réservé aux personnes atteintes de ce handicap. Mais il a un problème encore plus important : il se sent seul. A l'âge des bandes de copains, il n'a pas, mis à part ses parents (souvent très occupés), de personnes proches sur qui compter, avec qui jouer ou se confier. Il en est même venu à discuter avec ses peluches. Il a bien des camarades de classe, mais aucun n'est réellement son ami. Et avec tous ces problèmes, il lui est déjà venu de sombres pensées...

Il fait souvent l'objet de brimades. Récemment encore, alors qu'il rentrait de l'école, des jeunes de son quartier jusqu'alors occupés à jouer au foot devant son immeuble, l'ont interpellé, par l'intermédiaire de Florian, leur chef de bande: "Hey, tu veux qu'on t'allume la lumière ?!!". 

Camille fait de son mieux pour ignorer les remarques blessantes. Mais à chaque fois que cela se produit, il se dépêche d'atteindre la porte de son immeuble, en essayant de masquer les larmes qui roulent sur ses joues. Une fois chez lui, il se sent à nouveau en sécurité. Là, de multiples sensations, odeurs et bruits lui parviennent, c'est son univers. Il ressent l'humidité des plantes qui peuplent l'appartement, le boucan des voisins du dessus ou encore l'odeur des croquettes de son petit chat Nyx. Camille file en général dans sa chambre, une pièce exiguë, et commence à faire ses devoirs. Aujourd'hui n'échappe pas à la règle. Sa mère l'interpelle :

— Ta journée s'est bien passée ? 
— Oui, oui...
— Tu n'as pas trop bavardé ?
— Non, non...
 
De toute façon, il n'a pas beaucoup de copains dans son collège. Même au milieu d'eux, qui partagent son handicap, il se sent à part. Comme incompris. Trop sensible, peut-être?
 
— De nouvelles notes?
— Non, Maman.
— Bon, alors je te laisse faire tes devoirs.
 
Et sur ce, elle repart aussi vite qu'elle est arrivée. Camille aurait bien aimé que ses parents s'intéressent plus à lui qu'à ses résultats. Mais il s'y est habitué et se concentre sur ses exercices.

Ses devoirs de français finis (sa matière préférée), il saute sur son lit et commence à parler à Nounours, sa peluche. Il lui parle de sa journée, de ce qu'il a aimé et de ce qu'il n'a pas apprécié. Son doudou est comme un carnet secret, mais format poilu. Le soir arrive vite, alors une fois qu'il n'a plus rien à lui raconter, il demande à sa mère quand le diner sera prêt. Mais elle lui fait comprendre qu'elle est occupée. Son père rentre tard. Habitué à se débrouiller, il se fait réchauffer une soupe qu'il avale rapidement avant de se mettre en pyjama et d'aller se coucher. Ses journées sont aussi solitaires qu'épuisantes. Avant de fermer les yeux, il récite sa prière habituelle : "Faites que demain j'aie un ami" et il s'endort.
 
Le lendemain matin, il raconte ses rêves à Nounours (qui, lui, a l'air vraiment passionné). Il s'habille seul, va manger ses trois biscottes et met ses chaussures. Il maitrise cette routine. Une brève accolade de son père, et le voilà dans l'escalier. Comme trop souvent, l'odeur est forte, d'autant plus qu'il perçoit les odeurs plus fort que les valides. Pas un avantage dans ce cas. C'est pareil pour le bruit, sauf que ça, ça le gêne moins. Camille s'est construit un monde de quatre sens. Le voilà en route pour son collège. Connaissant l'itinéraire comme sa poche, il avance d'un pas assuré, à l'écoute de la ville. Il attend à un passage piéton lorsqu'une odeur de bonbon le frappe de plein fouet. C'est sûr, c'est Florian, le chef de la bande de son quartier, qui arrive à son niveau. Alors arrêtés au même passage piéton, Camille se tend mais Florian ne semble pas l'avoir remarqué, trop absorbé par sa musique et ses bonbons, pas terrible d'ailleurs au petit-dej' se dit Camille. Alors qu'ils s'apprêtent à traverser, Camille perçoit le bruit d'un moteur qui gronde et se rapproche, puis un crissement de pneus. N'écoutant que son instinct, il attrape le bras de Florian qui allait s'engager. Juste à temps ! La voiture les frôle, non sans leur crier dessus "dangers publics !". Florian est sous le choc, conscient d'avoir évité le pire, puis reprend son souffle, murmure à Camille un timide "merci" et s'éloigne en courant.

Ce jour-là, pendant les cours, Camille n'est pas très attentif : il repense sans cesse à l'événement du matin. Son geste, ses sens, ont sauvé quelqu'un. Il se sent fier. Mais pas moins seul.
 
Ce soir-là, comme tous les autres, il rentre chez lui avec pour seule compagnie le bruit de la ville, sa jungle comme il dit. Alors qu'il s'apprête à faire ses devoirs, trois petits coups se font entendre.  Ses parents sont absents. Il va ouvrir, s'imaginant que c'est le facteur ou un voisin, mais quelle est sa surprise lorsqu'il comprend que c'est Florian. Un sourire. Des remerciements. Et surtout, une invitation à venir jouer avec la bande ce week-end. Camille ressent une émotion intense, quelque chose de nouveau, une lueur dans sa nuit.
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