Samuel

Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. Ma mère, cette femme forte, qui inspire tout le voisinage, n'arrive même pas à cerner sa propre fille. Elle est très belle ; une chevelure ondulante qui lui tombe sur les hanches, des yeux d'un vert saphir très clair, de longs doigts qui semblent inviter au péché, une bouche pulpeuse qui joue avec les bulles de fumée de sa cigarette. À quarante ans, elle rivalise avec les adolescentes de quinze ans tellement ses seins sont ronds et fermes. Ma mère, cette Burundaise qui a épousé Paris sans aucun problème alors que moi, Léna sa fille, je n'arrive même pas à me faire une place dans les métros ! Son nouveau mari, Gilbert, est le nouvel ambassadeur du Burundi à Paris. Je me rappelle l'annonce de cette nouvelle effroyable, assise sur la véranda, à Kinindo. Ma mère semblait aux anges alors que moi, tout mon monde s'écroulait.
Moi, Léna, fille de Brigitte. Mon papa, je ne l'ai jamais connu. Certains soirs, je demandais à ma mère de me parler de lui et sa réponse était : " Vous feriez une belle paire d'extra-terrestres !", quand elle était sobre et : "Il m'a fait beaucoup de mal tu sais Léna..." quand elle était ivre. Donc, papa, où que tu sois, saches que l'on ferait une belle paire d'extra-humains et que maman souffre encore de ton départ !" Moi, Léna, 18ans, un visage couvert de boutons d'acné, une paire de lunettes tout droit sortie de la saga d'Harry Potter, un seul compagnon au monde ; Noisette mon hamster, une robe fleurie toujours un peu froissée vers le bas, des converses noirs et un pendentif qui me sert de bijou. Comparée à ma mère, je suis une peau de banana. Dès qu'elle ouvre la bouche, j'ai l'impression que ses mots sont des monstres qui me poursuivent pour me happer et me faire disparaitre de la surface terrestre.
Selon ma mère, je suis un extra-terrestre. La semaine dernière, je l'ai même surprise en train de raconter à son ami Véro, qu'elle pensait m'avoir ratée. "Elle me fait honte et pitié à la fois ! Je me demande ce que j'ai pu faire au bon Dieu !" Ce que ma mère ne sait pas, c'est que je l'ai entendue. Ce que ma mère ne sait pas aussi, c'est que, au mois de Décembre, en 2007, j'ai donné naissance à un petit garçon...



Mercredi, 3 Mars 2007
Il fait une chaleur époustouflante à Bujumbra. La ville entière a l'air d'une fournaise. J'entends même la voisine proférer un juron honteux ! Mais tout ça me fait juste pouffer de rire. Je me prends ma douche tout en fredonnant une chanson. Je suis excitée de rencontrer Nathan mon petit ami. J'ai reçu un texto de sa part, une heure plus tôt, me notifiant que sa mère venait de quitter la maison est que la voie était libre. Nathan et moi sortons ensemble depuis bientôt 4 mois. Nous sommes deux adolescents, aux hormones volcaniques, qui ne prennent plaisir à tester l'inconnu. Dans notre petit monde, le Sida n'existe pas. Les MST n'y sont pas non plus, encore moins les grossesses non désirées ! La ville est rose bonbon pour nous. J'aime tellement Nathan. C'est l'homme de ma vie j'en suis sure, à 100 plus 1% ! Il m'aide à découvrir mon corps, les recoins de plaisir mais surtout il m'aide en reproduisant mes fantasmes les plus secrets ! Parfois, on se chamaille et il menace de me quitter. Mais, son désir charnel le ramène toujours là où je me trouve. Du haut de mes 17ans, j'appelle ça l'Amour...Je mets ma plus forte eau de Cologne et me voici partie, la tête pleine de scènes érotiques de ce qui suivra.
« -Chérie...
-Oui...
-Je crois que je viens de faire une terrible erreur...
-De quoi tu parles ? C'était absolument merveilleux...
-Ma chérie...Je viens de laisser couler ma semence en toi.
-....
-Dis quelque chose au moins...Nous sommes foutus !
-Mais non... Je suis sur la pilule tu n'as pas à t'inquiéter.
-Merci ! Merci mille fois ma chérie ! Ouf... Je viens d'avoir la plus grosse peur de ma vie ! »
Moi, Léna, 17 ans, je ne sais même pas à quoi ressemble une pilule. J'ai juste fourni la réponse qu'il faut pour pouvoir réfléchir. Mais comment réfléchir, sachant déjà que j'étais en pleine période ovulatoire et que mon petit ami n'a que 18ans. Quoi qu'il en soi, il ne doit pas savoir que j'ai menti. Et puis, fervente chrétienne que je suis, je vais prier et rien ne va se passer. Et si je tombe enceinte je vais provoquer une fausse couche. Et hop, aux oubliettes l'affaire ! Profitons de notre jeunesse !
Samedi, 29 Décembre 2009
J'en suis à 9 mois de grossesse. Je le sais. Je le sens. Mon petit bébé me donne parfois des coups de pieds. Cela fait 9 mois que je n'ai pas de menstruations. Aujourd'hui, je me suis même levée avec une sorte de liquide bizarre jaunâtre dans ma petite culotte. Personne ne sait que je suis enceinte. Mon ventre ne grossit pas et je porte des vêtements amples. Pas même Nathan qui m'a largué un mois après l'incident. Je me sens tellement seule que parfois, je glisse ma main dans ma culotte et je m'évade dans mon petit monde avec Nathan. J'ai tant de questions dans ma tête : que deviendra cet enfant à la naissance ? La honte à Bujumbura de toute ma famille ? Ma mère m'a eu jeune elle aussi, serait-ce une malédiction ? La nuit, je pleure à chaudes larmes et j'implore les anges, les archanges, les séraphins et les saints de me venir au secours et de faire disparaitre d'un coup de baguette magique, le fruit de mon péché. Mais, les miaulements des chats semblent se moquer de moi et je dors épuisé par tant de mauvaises pensées mais aussi par cette nouvelle âme qui a pris corps en moi et qui me force malgré moi, à manger pour deux. Parfois, j'avale du savon liquide pour en finir avec cette vie mais je me réveille chaque matin avec que des brulures à l'estomac...Pas de signe de changement au niveau de mon ventre.
Il est 18heures. Coupure d'électricité comme d'habitude à Bujumbura. J'en profite pour m'éclipser aux toilettes. Je n'en peux plus. Les douleurs que j'ai sont atroces et je n'arrive pas à comprendre ce qui m'arrive. Je sens quelque chose entre mes jambes et me penchant pour bien voir, je remarque une tête avec des cheveux. Mon bébé est là. Je pousse fort, pendant une bonne heure, comme je l'ai vu dans les films et mon bébé sort finalement. Je me l'extirpe entre les jambes et le dépose à côté de moi. Toute la salle de bain est remplie de mon sang. Fort heureusement, il n'y a personne à la maison. J'arrange comme je peux la salle de bain, quoique au bout de mes forces, et je vais m'affaler dans ma chambre. J'ai mal partout, surtout dans l'entrejambe. Mon bébé est au sol, à mes côtés, silencieux comme un mort. Je prie Dieu, Zeus, Baal, pour qu'ils me délivrent de ce fardeau car le bébé doit disparaitre, coute que coute... Mon petit garçon doit partir sinon c'est le début de la fin de mon bonheur...