Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. Depuis que j'étais petite, toujours la même histoire ; « Rose, ne regarde pas les plantes de si près, tu vas t'abimer les yeux. », « Rose, c'est quoi ces vêtements ? Tu jouais encore dans la boue?». Ne pouvait-elle pas comprendre cette femme qui m'avait porté en elle pendant neuf mois que j'aimais jouer dans le jardin de la grand-mère ? Non, elle ne le pouvait pas.
- Mais maintenant qu'on en parle, ce n'était pas elle qui m'avait porté.-
Elle n'avait peut-être jamais pensé à la beauté de la petite coccinelle qui marchait avec ses tendres pattes sur le rosier- elle n'avait jamais voulu la regarder.
- As-tu jamais pensé à ça, maman ?
Elle n'avait évidemment jamais pensé que le parfum du jasmin que papa m'avait offert et un plongeon dans la boue créé par la bourrasque printanière me faisaient oublier tous les tourments de l'enfance.
- As-tu pensé à ça, maman ? Je ne crois pas. -
Oh, mais ce n'était pas seulement le plongeon ! Il y avait aussi l'odeur de la pluie qui avait à ce moment-là arrosé mon autre mère, La Terre, l'avait réveillée et préparée pour que l'été arrive triomphant et glorieux. Non, elle ne pouvait pas le comprendre.
-Non, tu ne pouvais pas le comprendre, maman. –
Seules les antennes me manquaient et une peau verte, pour être finalement une vraie extra-terrestre...
Voyons, je raconte tout cela mais il y a autre chose encore ! Ma mère biologique est morte en me donnant naissance· « un vrai tourment cet enfant dès le début ! », n'est-ce pas, maman ? Ma mère biologique s'appelait Rose, d'où mon prénom; mais quelle originalité! Ils ont eu vraiment du mal à trouver comment ils m'appelleraient !
Avec le temps, je sentais bien que ma légèrement dodue marâtre aux cheveux toujours ébouriffés avait une vision du monde complétement différente de la mienne. Le soir, je m'allongeais sur la fausse pelouse de la terrasse de l'immeuble de Kypseli et je regardais les étoiles. Qu'est-ce que ça me faisait du bien !... Je garde encore cette habitude, maintenant assise évidemment, bien entendu confinée. Malgré l'odeur de plastique et de gaz d'échappement, malgré les voitures qui roulaient dans les rues d'Athènes à l'époque, dont les conducteurs klaxonnaient et criaient comme s'ils se trouvaient sur une piste de rallye, je savourais regarder les étoiles. Toi, maman, tu aimais bien ce genre de choses. Les cris, je veux dire. Les cris et la critique étaient ton point fort. D' ailleurs, le dictionnaire Larousse nous avait demandé la permission d'écrire ton nom comme synonyme aux mots « braillard » ou « pipelette ».
Même aujourd'hui, à mes 85 ans, le souvenir de ta critique austère, de ton regard et de ta nervosité me hantent. J'avais peur de toi sans doute. Peut-être ai-je encore peur de toi. Mais cela ne m'a pas empêché -ni ne m'empêche- de rester extra-terrestre. Je te l'avais d'ailleurs promis que je ne deviendrais jamais humaine. Quand ? Tu t'en souviens ? Lorsque tu m'avais dit que j'étais insignifiante car mes opinions n'étaient jamais correctes. Oui, aujourd'hui encore, je continue à être membre d'une compagnie de théâtre, à danser, à chanter, à rentrer toute joyeuse chez moi tard dans la nuit, à fumer et à rire.
Tu ne vas peut-être pas le croire, mais je regarde encore, comme à l'époque, oui, bienheureuse, les coccinelles qui marchent sur les rosiers que mon mari a plantés. Oui, le communiste. Parfois même, nos deux fils viennent nous voir et nous tiennent compagnie durant les belles soirées étoilées. Oui, tes petits-enfants noirs, tes magnifiques petits-enfants que tu n'as jamais aimés. Peut-être le problème n'était pas tellement ma vision du monde -ou même pas du tout- . Peut-être le problème était la couleur de ma peau, c'est-à-dire la couleur de la première femme de papa· peut-être t'avais cru que ma peau était, au lieu de noire, surement verte, cela confirmerait ainsi ta théorie que j'étais une extra-terrestre. Je n'étais pas blanche comme tu l'étais et cela te dérangeait d'une façon inconcevable, tu ne l'aimais pas du tout.
Tu sais, maman ? Peut-être c'était toi l'extra-terrestre. Tu ne riais jamais réellement, tu ne partageais jamais ma joie. Mais je te comprenais. Quand tu t'es mariée avec papa, t'avais déjà vécu un divorce difficile avec ton premier mari, des avortements et des fausses couches. Je ne te disais que rien, parce que, dans ma colère, je te parlerais mal. Mais toi tu me critiquais, tu me considérais radicale, tu me considérais enfant gâtée. Merci maman pour l'adjectif «utopiste», c'est tout à fait moi. Et je suis fière d'un tel exploit...
Les étoiles sont si belles ! Peut-être toi aussi tu en fais partie maintenant, maman. Peut-être. Si tu se trouves près de papa, dis-lui s'il te plait que j'ai tenu ma promesse : j'arrose le jasmin tous les jours. Tu vois, malgré le fait que je suis une extra-terrestre, je peux penser, respirer, bailler, avoir soif et courir- ok, j'exagère. Peut-être je ne peux plus marcher, mais j'ai tenu la promesse que je t'avais faite : je n'ai jamais cessé d'être une extra-terrestre.
- Mais maintenant qu'on en parle, ce n'était pas elle qui m'avait porté.-
Elle n'avait peut-être jamais pensé à la beauté de la petite coccinelle qui marchait avec ses tendres pattes sur le rosier- elle n'avait jamais voulu la regarder.
- As-tu jamais pensé à ça, maman ?
Elle n'avait évidemment jamais pensé que le parfum du jasmin que papa m'avait offert et un plongeon dans la boue créé par la bourrasque printanière me faisaient oublier tous les tourments de l'enfance.
- As-tu pensé à ça, maman ? Je ne crois pas. -
Oh, mais ce n'était pas seulement le plongeon ! Il y avait aussi l'odeur de la pluie qui avait à ce moment-là arrosé mon autre mère, La Terre, l'avait réveillée et préparée pour que l'été arrive triomphant et glorieux. Non, elle ne pouvait pas le comprendre.
-Non, tu ne pouvais pas le comprendre, maman. –
Seules les antennes me manquaient et une peau verte, pour être finalement une vraie extra-terrestre...
Voyons, je raconte tout cela mais il y a autre chose encore ! Ma mère biologique est morte en me donnant naissance· « un vrai tourment cet enfant dès le début ! », n'est-ce pas, maman ? Ma mère biologique s'appelait Rose, d'où mon prénom; mais quelle originalité! Ils ont eu vraiment du mal à trouver comment ils m'appelleraient !
Avec le temps, je sentais bien que ma légèrement dodue marâtre aux cheveux toujours ébouriffés avait une vision du monde complétement différente de la mienne. Le soir, je m'allongeais sur la fausse pelouse de la terrasse de l'immeuble de Kypseli et je regardais les étoiles. Qu'est-ce que ça me faisait du bien !... Je garde encore cette habitude, maintenant assise évidemment, bien entendu confinée. Malgré l'odeur de plastique et de gaz d'échappement, malgré les voitures qui roulaient dans les rues d'Athènes à l'époque, dont les conducteurs klaxonnaient et criaient comme s'ils se trouvaient sur une piste de rallye, je savourais regarder les étoiles. Toi, maman, tu aimais bien ce genre de choses. Les cris, je veux dire. Les cris et la critique étaient ton point fort. D' ailleurs, le dictionnaire Larousse nous avait demandé la permission d'écrire ton nom comme synonyme aux mots « braillard » ou « pipelette ».
Même aujourd'hui, à mes 85 ans, le souvenir de ta critique austère, de ton regard et de ta nervosité me hantent. J'avais peur de toi sans doute. Peut-être ai-je encore peur de toi. Mais cela ne m'a pas empêché -ni ne m'empêche- de rester extra-terrestre. Je te l'avais d'ailleurs promis que je ne deviendrais jamais humaine. Quand ? Tu t'en souviens ? Lorsque tu m'avais dit que j'étais insignifiante car mes opinions n'étaient jamais correctes. Oui, aujourd'hui encore, je continue à être membre d'une compagnie de théâtre, à danser, à chanter, à rentrer toute joyeuse chez moi tard dans la nuit, à fumer et à rire.
Tu ne vas peut-être pas le croire, mais je regarde encore, comme à l'époque, oui, bienheureuse, les coccinelles qui marchent sur les rosiers que mon mari a plantés. Oui, le communiste. Parfois même, nos deux fils viennent nous voir et nous tiennent compagnie durant les belles soirées étoilées. Oui, tes petits-enfants noirs, tes magnifiques petits-enfants que tu n'as jamais aimés. Peut-être le problème n'était pas tellement ma vision du monde -ou même pas du tout- . Peut-être le problème était la couleur de ma peau, c'est-à-dire la couleur de la première femme de papa· peut-être t'avais cru que ma peau était, au lieu de noire, surement verte, cela confirmerait ainsi ta théorie que j'étais une extra-terrestre. Je n'étais pas blanche comme tu l'étais et cela te dérangeait d'une façon inconcevable, tu ne l'aimais pas du tout.
Tu sais, maman ? Peut-être c'était toi l'extra-terrestre. Tu ne riais jamais réellement, tu ne partageais jamais ma joie. Mais je te comprenais. Quand tu t'es mariée avec papa, t'avais déjà vécu un divorce difficile avec ton premier mari, des avortements et des fausses couches. Je ne te disais que rien, parce que, dans ma colère, je te parlerais mal. Mais toi tu me critiquais, tu me considérais radicale, tu me considérais enfant gâtée. Merci maman pour l'adjectif «utopiste», c'est tout à fait moi. Et je suis fière d'un tel exploit...
Les étoiles sont si belles ! Peut-être toi aussi tu en fais partie maintenant, maman. Peut-être. Si tu se trouves près de papa, dis-lui s'il te plait que j'ai tenu ma promesse : j'arrose le jasmin tous les jours. Tu vois, malgré le fait que je suis une extra-terrestre, je peux penser, respirer, bailler, avoir soif et courir- ok, j'exagère. Peut-être je ne peux plus marcher, mais j'ai tenu la promesse que je t'avais faite : je n'ai jamais cessé d'être une extra-terrestre.