Rayons de Lune

Rayons de Lune
 
A l'orée d'une forêt s'avança une petite silhouette avec de longs cheveux. Une fillette de dix ans, qui découvrait pour la première fois son univers, la nature sauvage. C'était Cassie, dont les grands yeux gris s'écarquillèrent à la lumière de la lune lorsqu'elle émergea du bois, dans une clairière ancienne. Elle était émerveillée... Cela faisait quelques temps que son père, Jonas, lui parlait de la forêt, ce lieux apaisant rempli de mystères. Il pouvait lui parler de tout et n'importe quoi, mais ce qu'elle préférait entendre, c'était ses histoires sur la nature.
Celui-ci sortit à son tour du bois et s'approcha de sa fille.
—Tu vois, Cassie, murmura-t-il avec fierté, voici ton monde caché, tu pourras en faire ce que tu veux. Qu'en penses-tu ?
—C'est incroyable ! souffla la petite fille, qui n'avait pas l'habitude de si grands espaces. J'ai l'impression de pouvoir aller où je veux...
—Ne t'emballe pas trop voyons, rit Jonas, et je ne veux pas que tu t'en ailles trop loin. Tu dois toujours pouvoir voir l'église du village, d'accord ? Tu l'aperçois, d'ici, n'est-ce pas ?
—Oui, Papa...
—Bien, alors ne la perds jamais de vue.
C'était donc sa première nuit dans la forêt, et accompagnée de son père, elle s'y aventura pendant plusieurs heures. Être en plein air ce soir-là la rendit heureuse, et elle comptait bien y retourner.
Pourtant, alors qu'elle s'apprêtait à ressortir après le petit-déjeuner le lendemain, sa mère l'en empêcha en lui rappelant que c'était la rentrée des classes. La fillette n'était jamais vraiment allée à l'école, étudiant d'elle-même à la maison depuis plusieurs années. Elle avait arrêté de s'y rendre à cause du harcèlement qu'elle y subissait en raison d'une maladie qui décolorait ses beaux cheveux noirs à mesure qu'elle grandissait. Tout le monde se moquait d'elle en lui disant qu'elle ressemblait à une vieille dame en fin de vie.
La malheureuse y retourna malgré elle, pensant que cette journée allait être le début de l'enfer. Le seul point positif était de retrouver Liam, un garçon plus âgé avec qui elle jouait petite. Mais la consolation fut de courte durée: il s'était lié d'amitié avec les harceleurs de Cassie pour essayer de devenir populaire et lui brisa le cœur lorsqu'il l'insulta pour la première fois. Il semblait ne pas la reconnaître, et la douleur en fut d'autant plus forte pour elle car quelques années plus tôt c'était son meilleur, son seul ami.
Cassie était donc seule. Elle grandit de cette manière en retournant le plus possible dans la forêt, noyant son chagrin dans le silence de la nuit. Elle s'y rendait en cachette et n'avait pas son père pour la protéger. Mais cela lui était égal, les arbres ne se moquaient pas d'elle, au moins...
Un soir, alors qu'elle allait avoir seize ans et que Liam avait quitté son lycée, la vie lui parut bien injuste. Elle partit dans la forêt avec pour objectif de s'y perdre. La jeune fille souhaitait y rester et ne plus retourner là où on la forçait à aller en enfer. Elle perdit l'église de vue, comme le lui avait défendu son père six ans auparavant, et au bout de quelques heures à courir elle s'écroula dans la mousse humide, sans force. Puis une voix de cristal la fit sursauter:
—Tu ne devrais pas te laisser abattre par de si faibles créatures.
Cassie se redressa et découvrit une grande femme à la robe aussi pâle que sa peau. Ses yeux bleus lui donnaient l'air d'un fantôme et la lune illuminait ses cheveux blancs. Des cheveux blancs... Pourtant elle semblait si jeune !
—Qui êtes-vous ? chuchota l'adolescente.
La femme-fantôme sourit puis s'assit devant sont interlocutrice. Un loup blanc fit son apparition et aida à relever cette dernière.
—Mon nom est Simone. Et voici ma louve Nadya. Arrête donc de pleurer et suis-moi à travers ces bois.
La jeune fille s'exécuta, et après quelques minutes à courir derrière Simone qui semblait flotter au-dessus des brindilles, elle se retrouva face à une rivière. Elle paraissait irréelle, tant l'eau était pure.
—Regarde dans ce cours d'eau, suggéra la femme-fantôme.
Cassie observa son reflet. Elle y vit une jeune fille de seize ans, tout ce qu'il y a de plus normal. Nadya s'assit à côté d'elle puis sourit, du moins à sa manière de loup, ses babines s'étirant de chaque côté de son beau visage canin. Son reflet n'apparut pas.
—Qu'y vois-tu ? demanda Simone d'une voix forte.
—J'y vois... Moi.
Simone rit, puis affirma que cela suffisait.
—Y vois-tu les autres ? Ceux qui te harcèlent ?
—Non... Puisqu'ils ne sont pas avec moi.
—Les laisserais-tu être avec toi ?
—Jamais ! Ils m'ont tant fait de mal...
—Cette rivière est ta vie. Ta vie à toi, et à personne d'autre. Je vois que cette eau est pure, ne la laisse pas dépérir à cause de ce qu'on te dit. Personnellement, je te trouve très belle. Tu sais à quoi me font penser tes cheveux ?
—Non, murmura Cassie, effrayée par la réponse à venir.
—A des rayons de lune.
Des rayons de lune... N'était-ce pas magnifique ? Ces paroles ravivèrent l'envie de combattre de la jeune fille, et elle se réveilla au milieu de la forêt déterminée à être heureuse comme tout enfant de son âge. Bien sûr, elle avait rêvé, mais Simone et Nadya l'avaient tant rassurée qu'elle croirait en leur soutien, à présent. Elle ne s'était même pas perdue, la magie de la nuit en pleine nature sembla l'aider à rentrer chez elle.
Ce fut ainsi que chaque nuit, quand elle s'endormait, Cassie se rendait en rêve dans la forêt près de la rivière pour rencontrer Simone et sa louve.
Un soir, alors qu'elle rentrait chez elle, Liam l'arrêta avec un air peiné, lui disant qu'il regrettait chaque mot contre elle depuis qu'il avait quitté le lycée.
—Je te pardonne, lui dit l'adolescente, mais je veux surtout que tu arrêtes de suivre ceux qui te trouvent différent. Ça montre ta faiblesse et... je pense que tu es parfait comme tu es.
Liam acquiesça, et leur amitié redevint réelle, celle d'adolescents rejetés, l'un s'étant défendu, l'autre s'étant laissé corrompre par le malheur. Mais ce qui comptait était que cet enfer avait cessé.
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