Quart livre, Chapitre LVII

En ce jour Pantagruel descendit en une île admirable entre toutes les autres, tant à cause de l’assiette que du gouverneur de là. Elle de tous côtés pour le commencement était scabreuse, pierreuse, montueuse, infertile, mal plaisante à l’œil, très difficile aux pieds, et peu moins accessible que le mont du Dauphiné, ainsi dit pour ce qu'il est en forme d'un potiron, et de toute mémoire personne n'a pu le surmonter, hors Doyac, conducteur de l'artillerie du roi Charles VIII, lequel avec engins mirifiques y monta et au-dessus trouva un vieux bélier. C'était à deviner qui l'avait là transporté. Aucuns le dirent étant jeune agnelet, par quelque aigle ou duc chassant là ravi, s'être entre les buissons sauvé. Surmontant la difficulté de l'entrée à peine bien grande, et non sans suer, nous trouvâmes le dessus de mont tant plaisant, tant fertile, tant salubre et délicieux, que je pensais être le vrai jardin et paradis terrestre, de la situation duquel tant disputent et labourent les bons théologiens. Mais Pantagruel nous affirmait là être le manoir de Aretè (c'est Vertus), par Hésiode décrit, sans toutefois plus saine opinion.