En la ville d’Allençon, du vivant du duc Charles, dernier duc, y avoit un procureur nommé Sainct-Aignan qui avoit espousé une gentil femme du païs plus belle que vertueuse, laquelle, pour sa beaulté et ligiereté, fut fort poursuivye de l’evesque de Sées, qui, pour parvenir à ses fins, entretint si bien le mary, que non seullement il ne s’apparceut du vice de sa femme et de l’evesque, mais, qui plus est, luy feyt oblier l’affection qu’il avoit tousjours eue au service de ses maistre et maistresse, en sorte que, d’un loial serviteur, devint si contraire à eulx, qu’il sercha à la fin des invocateurs pour faire mourir la duchesse. Or, vesquit longuement cest evesque avec ceste malheureuse femme, laquelle luy obeissoit plus par avarice que par amour, et aussy que son mary la sollicitoit de l’entretenir. Mais si est-ce qu’il y avoit ung jeune homme en la ville d’Alençon, filz du lieutenant general, lequel elle aimoit si fort qu’elle en estoit demye enragée, et souvent s’aidoit de l’evesque pour faire donner commission à son mary à fin de povoir veoir à son aise le filz du lieutenant nommé du Mesnil. Ceste façon de vivre dura longtemps qu’elle avoit pour son proffict l’evesque et pour son plaisir le dict du Mesnil, auquel elle juroit que toute la bonne chere qu’elle foisoit à l’evesque n’estoit que pour continuer la leur plus librement, et que, quelque chose qu’il y eut, l’evesque n’en avoit eu que la parolle et qu’il povoit estre asseuré que jamais homme que luy n’en auroit autre chose.
Ung jour que son mary s’en estoit allé devers l’evesque, elle luy demanda congé d’aller aux champs, disant que l’air de la ville luy estoit contraire, et, quand elle fut en sa mestairye, escripvit incontinant à du Mesnil qu’il ne faillist de la venir trouver environ dix heures du soir ; ce que feyt le pauvre jeune homme. Mais à l’entrée de la porte trouva la chamberiere qui avoit accoustumé de le fere entrer, laquelle luy dist : « Mon amy, allez ailleurs, car vostre place est prinse.» Et luy, pensant que le mary fut venu, luy demanda comme le tout alloit. La pauvre femme, aiant pitié de luy, le voiant tant beau, jeune et honneste homme, aymer si fort et estre si peu aymé, luy declaira la folye de sa maistresse, pensant que, quant il l’entendroit, cella le chastieroit d’aymer tant. Et luy compta comme l’evesque de Sées ne faisoit que d’y arriver et estoit couché avecq elle, chose à quoy elle ne se attendoit pas, car il n’y devoit venir jusques au lendemain. Mais, aiant retenu chez luy son mary, s’estoit desrobé de nuict pour la venir veoir secretement. Qui fut bien desesperé, ce fut du Mesnil, qui encores ne le povoit du tout croyre, et se cachea en une maison auprès et veilla jusques à trois heures après minuict, tant qu’il veit saillir l’evesque de là dedans, non si bien desguisé qu’il ne le congneust plus qu’il ne le vouloit. Et en ce desespoir se retourna à Alençon, où bien tost sa meschante amye alla, qui, le cuydant abbuser, comme elle avoit accoustumé, vint parler à luy. Mais il luy dict qu’elle estoit trop saincte, aiant touché aux choses sacrées, pour parler à ung pecheur comme luy, duquel la repentance estoit si grande qu’il esperoit bien tost que le peché luy seroit pardonné. Quant elle entendit que son cas estoit descouvert et que excuse, jurement et promesse de plus n’y retourner n’y servoit de rien, en feit la plaincte à son evesque. Et, après avoir bien consulté la matiere, vint ceste femme dire à son mary qu’elle ne povoit plus demorer dans la ville d’Allençon, pour ce que le filz du lieutenant, qu’il avoit tant estimé de ses amys, la pourchassoit incessamment de son honneur, et le pria de se tenir à Argentan pour oster toute suspection. Le mary, qui se laissoit gouverner par elle, s’y accorda.
Mais ilz ne furent pas longuement au dict Argentan, que ceste malheureuse manda audict du Mesnil qu’il estoit le plus meschant homme du monde et qu’elle avoit bien sceu que publicquement il avoit dict mal d’elle et de l’evesque de Sées, dont elle mectroit peyne de le faire repentir. Ce jeune homme, qui n’en avoit jamais parlé que à elle mesme et qui craingnoit d’estre mis en la malle grace de l’evesque, s’en alla à Argentan avecq deux de ses serviteurs et trouva sa damoiselle à vespres aux Jacobins. Il s’en vint agenoiller auprès d’elle et luy dict : « Madame, je viens icy pour vous jurer devant Dieu que je ne parlay jamais de vostre honneur à personne du monde que à vous mesme ; vous m’avez faict ung si meschant tour, que je ne vous ay pas dict la moictyé des injures que vous meritez. Et s’il y a homme ou femme qui veuille dire que jamais j’en aye parlé, je suis icy venu pour l’en dementir devant vous.» Elle, voiant que beaucoup de peuple estoit en l’eglise et qu’il estoit accompaigné de deux bons serviteurs, se contraingnit de parler le plus gratieusement qu’elle peut, luy disant qu’elle ne faisoit nulle doubte qu’il ne dist verité et qu’elle l’estimoit trop homme de bien pour dire mal de personne du monde, et encores moins d’elle, qui luy portoit tant d’amityé ; mais que son mary en avoit entendu des propos, par quoy elle le prioit qu’il voulust dire devant luy qu’il n’en avoit poinct parlé et qu’il n’en croyast riens. Ce que luy accorda voluntiers ; et, pensant l’accompaigner à son logis, la print par dessoubz le bras ; mais elle luy dist qu’il ne seroit pas bon qu’il vint avecq elle, et que son mary penseroit qu’elle luy feit porter ces parolles ; et, en prenant ung de ses serviteurs par la manche de sa robbe, lui dist : « Laissez-moy cestuy cy, et, incontinant qu’il sera temps, je vous envoiray querir par luy ; mais, en actendant, allez vous reposer en vostre logis.« Luy, qui ne se doubtoit poinct de la conspiration, s’y en alla.
Elle donna à soupper au serviteur qu’elle avoit retenu, qui luy demandoit souvent quand il seroit temps d’aller querir son maistre : elle luy respondoit toujours qu’il viendroit assez tost. Et, quant il fut nuict, envoia ung de ses serviteurs secretement querir du Mesnil, qui, ne se doubtant du mal que on luy preparoit, s’en alla hardiment à la maison du dict Sainct-Aignan, auquel lieu la damoiselle entretenoit son serviteur, de sorte qu’il n’en avoit que ung avecq luy. Et, quand il fut à l’entrée de la maison, le serviteur qui le menoit luy dist que la damoiselle vouloit bien parler à luy avant son mary, et qu’elle l’attendoit en une chambre où il n’y avoit que ung de ses serviteurs avecq elle, et qu’il feroit bien de renvoier l’autre par la porte de devant. Ce qu’il feit ; et, en montant ung petit degré obscur, le procureur Sainct-Aignan, qui avait mis des gens en ambusche dans une garde robbe, commencea à oÿr le bruict, et, en demandant qu’est ce, luy dist que c’estoit ung homme qui vouloit secretement entrer en sa maison. A l’heure, ung nommé Thomas Guerin, qui faisoit mestier d’estre meurtrier, lequel pour faire ceste execution estoit loué du procureur, vint donner tant de coups d’espée à ce pauvre jeune homme, que, quelque deffence qu’il peust faire, ne se peut garder qu’il ne tombast mort entre leurs mains. Le serviteur qui parloit à la damoiselle luy dist : « J’oy mon maistre qui parle en ce degré : je m’en voys à luy.» La damoiselle le retint et luy dist : « Ne vous soulciez : il viendra assez tost.» Et, peu après, oiant que son maistre disoit : « Je meurs et recommande à Dieu mon esprit ! « le voulut aller secourir ; mais elle le retint, luy disant : « Ne vous soulsiez : mon mary le chastie de ses jeunesses. Allons veoir que c’est.« Et, en s’appuyant dessus le bout du degré, demanda à son mary : « Et puys ? est il faict ?» lequel luy dist : « Venez le veoir. A ceste heure ; vous ay je vengée de cestuy là qui vous a tant faict de honte.« Et, en disant-cella, donna d’un poignard qu’il avoit dix ou douze coups dedans le ventre de celluy que vivant il n’eust osé assaillir.
Après que l’homicide fut faict, et que les deux serviteurs du trespassé s’en furent fouys pour en dire les nouvelles au pauvre pere, pensant le dict Sainct-Aignan que la chose ne povoit estre tenue secrette ; regarda que les serviteurs du mort ne debvoient poinct estre creuz en tesmoignage et que nul en sa maison n’avoit veu le faict, sinon les meurdriers, une vielle chamberiere et une jeune fille de quinze ans, voulut secrettement prendre la vielle ; mais elle trouva façon d’eschapper hors de ses mains et s’en alla en franchise aux Jacobins, qui fut le plus seur tesmoing que l’on eut de ce meurdre. La jeune chamberiere demora quelques jours en sa maison ; mais il trouva façon de la faire suborner par un des meurdriers et la mena à Paris au lieu publicq, affin qu’elle ne fust plus creue en tesmoignage. Et, pour celler son meurdre, feit brusler le corps du pauvre tre-passé. Les os qui ne furent consommez par le feu, les feit mectre dans du mortier là où il faisoit bastir en sa maison et envoia à la court en dilligence demander sa grace, donnant à entendre qu’il avoit plusieurs fois deffendu sa maison à ung personnaige dont il avoit suspition, qui pourchassoit le deshonneur de sa femme, lequel, nonobstant sa deffense, estoit venu de nuict en lieu suspect pour parler à elle ; parquoy, le trouvant à l’entrée de sa chambre, plus remply de collere que de raison, l’auroit tué. Mais il ne peut si tost faire despescher sa lettre à la chancellerie que le duc et la duchesse ne fussent par le pauvre pere advertiz du cas, lesquelz pour empescher ceste grace envoierent au chancelier. Ce malheureux, voiant qu’il ne la povoit obtenir, s’enfuyt en Angleterre, et sa femme avecq lui et plusieurs de ses parens. Mais, avant partir, dist au meurdrier qui à sa requeste avoit faict le coup qu’il avoit veu lectres expresses du Roy pour le prendre et faire mourir ; mais à cause des services qu’il luy avoit faictz il luy vouloit saulver la vie, et luy donna dix escuz pour s’en aller hors du royaume. Ce qu’il feit, et, oncques puis ne fut trouvé. Ce meurdre icy fut si bien parveriffié par les serviteurs du trespassé que par la chamberiere qui c’estoit retirée aux Jacobins, et par les oz qui furent trouvez dedans le mortier, que le procès fut faict et parfaict en l’absence de Sainct-Aignan et de sa femme. Ils furent jugés par contumace et condemnez tous deux à la mort, leurs biens confisquez au prince, et quinze cens escuz au pere pour les fraiz du procès. Ledict Sainct-Aignan, estant en Angleterre, voiant que, par la justice, il estoit mort en France, feit tant par son service envers plusieurs grands seigneurs et par la faveur des parents de sa femme, que le roy d’Angleterre feit requeste au Roy de luy vouloir donner sa grace et le remectre en ses biens et honneurs. Mais le Roy, ayant entendu le villain et enorme cas, envoya le procès au roy d’Angleterre, le priant de regarder si c’estoit cas qui meritast grace, luy disant que le duc d’Allençon avoit seul ce previlleige en son roiaulme de donner grace en sa duché.
Mais, pour toutes ses excuses, n’appaisa poinct le roy d’Angleterre, lequel le prochassa si très instamment, que, à la fin, le procureur l’eust à sa requeste, et retourna en sa maison, où, pour parachever sa meschanceté, s’accoincta d’un invocateur nommé Gallery, esperant que par son art il seroit exempt de paier les quinze cens escuz au pere du trepassé. Et, pour à ceste fin, s’en allerent à Paris, desguisez sa femme et luy. Et, voiant sa dicte femme qu’il estoit si longuement enfermé en une chambre avecq ledict Gallery et qu’il ne luy disoit poinct la raison pour quoy, ung matin elle l’espia et veid que le dict Gallery luy monstroit cinq ymaiges de boys, dont les trois avoient les mains pendantes et les deux levées contremont. Et, parlant au procureur : « Il nous fault faire de telles ymaiges de cire que ceulx cy, et celles qui auront les bras pendans, ce seront ceulx que nous ferons mourir, et ceulx qui les ont eslevées seront ceulx de qui vous vouldrez avoir la bonne grace et amour. Et le procureur disoit : « Ceste cy sera pour le Roy, de qui je veulx estre aymé, et ceste cy pour mon seigneur le chancellier d’Allençon Brinon.» Gallery luy dist : « Il faut mectre ces ymaiges soubs l’autel où ilz orront leur messe, avecq des parolles que je vous feray dire à l’heure.» Et, en parlant de ceulx qui avoyent les bras baissez, dist le procureur que l’une estoit maistre Gilles du Mesnil, pere du trepassé ; car il sçavoit bien que tant qu’il vivroit il ne cesseroit de le poursuivre. Et une des femmes qui avoit ses mains pendantes estoit ma dame la duchesse d’Allençon, seur du Roy, parce qu’elle aymoit tant ce viel serviteur, et avoit en tant d’autres choses congneu sa meschanceté, que, si elle ne mouroit, il ne pouvoit vivre. La seconde femme aiant les bras pendans estoit sa femme, laquelle estoit cause de tout son mal, et se tenoit seur que jamays ne s’amenderoit de sa meschante vye. Quant sa femme, qui voyoit tout par le pertuis de la porte, entendit qu’il la mectoit au rang des trespassez, se pensa qu’elle le y envoiroit le premier. Et, faingnant d’aller empruncter de l’argent à ung sien oncle nommé Neaufle, maistre des requestes du duc d’Alençon ; luy va compter ce qu’elle avoit veu et oy de son mary. Le dict Neaufle, comme bon viellard serviteur, s’en alla au chancellier d’Alençon et lui racompta toute l’histoire. Et, pour ce que le duc et la duchesse d’Allençon n’estoient pour le jour à la court, le dict chancellier alla compter ce cas estrange à ma dame la Regente, mere du Roy et de la dicte duchesse, qui soubdainement envoya querir le prevost de Paris, nommé La Barre, lequel feit si bonne dilligence qu’il print le procureur et Gallery son invocateur, lesquelz sans genne ne contraincte, confesserent librement le debte. Et fut leur procès faict et rapporté au Roy. Quelques uns, voulans saulver leurs vies, luy dirent qu’ilz ne serchoient que sa bonne grace par leurs enchantemens ; mais le Roy, ayant la vie de sa seur aussy chere que la sienne, commanda que l’on donnast la sentence telle que s’ilz eussent attempté à sa personne propre. Toutesfois, sa sœur, la duchesse d’Alençon, le supplia que la vie fut saulvée au dict procureur et commuer sa mort en quelque peyne cruelle ; ce que luy fut octroyé, et furent envoiez luy et Gallery à Marseilles, aux galleres de Sainct Blanchart, où ilz finèrent leurs jours en grande captivité et eurent loisir de recongnoistre la gravité de leurs pechez. Et la mauvaise femme, en l’absence de son mary, continua son péché plus que jamais et mourut misérablement.
« Je vous suplie, mes dames, regardez quel mal il vient d’une meschante femme et combien de maulx se feirent pour le peché de ceste cy. Vous trouverez que depuis que Eve feit pecher Adam toutes les femmes ont prins possession de tormenter, tuer et damner les hommes. Quant est de moy, j’en ay tant experimenté la cruaulté, que je ne pense jamais mourir ni estre danné que par le desespoir en quoy une m’a mys, Et suis encore si fol, qu’il faut que je confesse que cest Enfer là m’est plus plaisant venant de sa main que le paradis donné de celle d’une autre.» Parlamente, faingnant de n’entendre poinct que ce fut pour elle qu’il tenoit tel propos, luy dist : « Puisque l’enfer est aussy plaisant que vous dictes, vous ne debvez craindre le diable qui vous y a mis.» Mais il luy respondit en collere : « Si mon diable devenoit aussy noir qu’il m’a esté mauvays, il feroit autant de paour à la compaignie que je prends de plaisir à la regarder ; mais le feu de l’amour me faict oblier celluy de cest enfer. Et, pour n’en parler plus avant, je donne ma voix à madame Oisille pour dire la seconde nouvelle, et suis seur que si elle vouloyt dire des femmes ce qu’elle en sçait, elle favoriseroit mon opinion.» A l’heure, toute la compaignye se tourna vers elle, la priant vouloir commencer ; ce qu’elle accepta et, en riant, commencea à dire : « Il me semble, mes dames, que celluy qui m’a donné sa voix, a tant dict de mal des femmes par une histoire veritable d’une malheureuse, que je doibtz rememorer tous mes vielz ans pour en trouver une dont la vertu puisse desmentir sa mauvaise opinion ; et, pour ce qu’il m’en est venu une au devant digne de n’estre mise en obly, je la vous vois compter.»