Précis de la vie de Sapho

Sapho, femme célèbre par ses talents pour la poésie naquit à Mitylène, capitale de l'île de Lesbos, environ six cents ans avant l'ère vulgaire. Les détails de son existence ne sont point parvenus jusqu'à nous d'une manière assez sûre pour pouvoir être offerts ici comme faits historiques. On ne peut que chercher à fixer les idées, en rappelant ce qu'en ont dit quelques écrivains plus ou moins dignes de foi. Ce qui paraît certain, c'est le mariage qu'elle contracta, presque au sortir de l'enfance, avec un des plus riches habitants de l'île d'Andros, dont elle devint veuve peu après : ce fut sans doute alors que son imagination ardente lui fit faire le premier pas dans une carrière où il est difficile de s'arrêter. Elle sentait vivement, elle exprima de même, et devint par là l'objet de l'admiration de plusieurs poètes de son temps, et celui de la critique de beaucoup d'autres ; car l'orgueil des hommes est aussi vieux que le monde, et ce n'est pas sans un véritable chagrin qu'ils se voient exposés au danger de trouver des rivales dans un sexe où ils ne cherchent que des admiratrices.

Cependant la renommée de Sapho avait parcouru la Grèce ; les femmes qui se sentaient des dispositions pour la poésie s'empressèrent de se rendre auprès d'elle pour recevoir ses leçons. Érinne, Eunice, Thélésile, et quelques autres qui ont acquis de la célébrité, étaient de ce nombre de jeunes filles de Lesbos suivirent leur exemple, et il résulta de là une espèce d'académie, source dans laquelle les ennemis de Sapho puisèrent les moyens de se consoler de ses succès : ne pouvant dénigrer ses talents, ils dénigrèrent ses mœurs, et ce ne fut qu à cette condition qu'ils la laissèrent jouir d'une réputation à laquelle ils avaient fait une tache ineffaçable.

Mais l'amour devait encore ajouter à ses malheurs et à sa célébrité. Phaon, jeune homme d'une beauté extraordinaire, parut à Mitylène, et inspira à Sapho la passion la plus vive. Il paraît qu'il n'en sentit pas tout le prix, et que cet amour malheureux porta un extrême désordre dans le cœur de Sapho. Elle se livra sans réserve au triste plaisir de chanter ses peines, et laissa, par là, à la postérité, des ouvrages qui attestent à la fois la force de sa passion et celle de son génie. Mais Phaon, peu sensible à tant d'amour, ayant quitté Lesbos, et enlevé, dit-on, une de ses élèves, son désespoir ne connut plus de bornes ; elle suivit son infidèle jusqu'en Sicile, et là, rebutée encore par lui, elle se résolut à tenter la funeste épreuve du saut de Leucade, que quelques exemples semblables avaient déjà rendu fameux. Personne n'ignore qu'elle en fut la victime, comme cela devait être, et que ses ennemis eurent enfin à triompher et de sa faiblesse et de son courage.

Sapho, à ce qu'il paraît, n'était pas régulièrement belle, mais le feu et la grâce qui animaient ses écrits étaient sans doute répandus sur sa physionomie. Ses concitoyens, pour lui témoigner leur admiration, firent graver son image sur leurs monnaies. Les Grecs la surnommèrent la dixième Muse, et donnèrent son nom à une sorte de vers qu'elle avait inventés. C'est sur ce rythme qu'elle a composé la plupart de ses ouvrages ; peu sont parvenus jusqu'à nous mais l'hommage que lui rend Ovide, l'Hymne à Vénus, citée par Denys d'Halicarnasse, et l'Ode que Boileau a traduite d'après Longin, suffisent pour donner une idée de ses grands talents. C'est dans ce sujet simple, mais beau et attendrissant, moitié romanesque et moitié historique, que j'ai puisé cette espèce de tragédie qu'un compositeur célèbre a enrichie de tous les charmes de la musique. Je serai satisfaite, si ce premier essai de mes talents dramatiques, fruit d'une année de travail est lu avec autant d intérêt qu'il a été entendu.