Perdu

 Une nuit sans lune... Quelle plaie, pourquoi reviennent-elles si souvent ? Vingt-neuf jours c'est beaucoup trop court. Elles devraient être plus espacées, arriver tous les cent jours, minimum ! Cela serait plus agréable en tout cas, surtout quand on est perdu en pleine forêt dans un endroit où, même à midi, les rayons du soleil ne parviennent pas à passer. Pour récapituler ma situation je dirais : que je suis perdu, en pleine forêt, tout seul, une nuit sans lune, sans avoir la moindre idée d'où se situe ma maison, sans aucun moyen de joindre qui que ce soit, à la merci de dangereux animaux sauvages... Et j'en passe. Il doit quand même y avoir un moyen de retrouver son chemin dans cette satanée forêt, je ne peux pas être condamné à errer ici jusqu'au petit matin, qui devrait arriver bientôt d'ailleurs, ou peut-être pas...
 En fait, je n'avais aucune idée de l'heure qu'il pouvait être. Nous étions au cœur de l'hiver, le soleil se couchait tôt et se levait tard, ce qui, en situation normale, ne me gênait pas le moins du monde mais qui, présentement, était très fâcheux... Tout ce que je savais à ce moment, c'était que j'étais mort de froid et de trouille et que je désespérais de retrouver un jour mon domicile.
 Je continuais ainsi ma marche entre chênes centenaires et jeunes pousses jusqu'à être si épuisé que je dus m'arrêter. Cet arrêt dans ma marche me fit le plus grand bien car il permit à mes pensées de s'arrêter également. Je faisais à nouveau le point sur ma situation, qui d'ailleurs n'avait pas changé d'un iota depuis tout à l'heure, quand je m'aperçus que je reconnaissais le paysage ! Cet arbre-ci m'était familier, j'étais sûr de l'avoir déjà vu ! En comprenant cela, je réalisais également que je pouvais voir, ce qui voulait dire que mes yeux s'étaient habitués au manque de luminosité, une très bonne nouvelle ! Ragaillardi par ces deux extraordinaires découvertes je repris ma marche en suivant les arbres que j'étais sûr de reconnaître. Me disant que, finalement, j'avais peut-être une chance de retrouver ma demeure avant que le soleil ne se lève. Au bout de quelques temps je compris que je tournais en rond... Cela faisait maintenant plusieurs heures que je déambulais sans discontinuer pour répéter toujours le même parcours. Ma marche dessinait un cercle parfait autour d'une petite clairière, faisait un looping pour éviter un bosquet épineux et finissait en ondulant entre de vieux arbres. Mon trajet avait beau avoir quelque chose de joli, comme un magnifique chemin de promenade, il en restait totalement inutile...
 À cet instant de cette étrange nuit sans lune qui m'avait poussé à sortir des chemins dont j'avais l'habitude, et pour la première fois dans ma vie, je perçus la peur gonfler en moi. Pas une petite peur comme quand on a la frousse d'un gros bruit, non, une vraie terreur qui menace de nous déchiqueter de l'intérieur. Une terreur absolue, la terreur de rester perdu à jamais, de ne pas revoir sa famille, de se faire dévorer par une bête féroce et tout simplement de mourir, ici, tout seul, perdu. Mon cerveau cavalait toujours derrière ces sombres pensées en essayant de les vaincre quand un bruissement me tira de ma torpeur dépressive. Je sursautai et me retournai vivement, cherchant à identifier l'origine de cet étrange bruit quand je sentis quelque chose de doux me frôler. Ma méfiance fut endormie par la douceur de la chose, c'est pourquoi le hurlement strident qui retentit dans la seconde qui suivit me surprit tant. Moi qui pensais que ma terreur était déjà à son paroxysme, je me rendis compte que je me trompais lourdement. Cette erreur me coûta cher d'ailleurs car mon petit cœur qui n'était pas préparé à une telle décharge d'horreur en prit un sacré coup. Dans les dix minutes qui suivirent, absolument tous mes efforts furent utilisés pour courir. Je pris mes jambes à mon cou comme je ne l'avais jamais fait auparavant et courus jusqu'à ne plus rien pouvoir ressentir d'autre que l'extrême douleur qui déchirait mes poumons.
 Si cette course effrénée avait eu le mérite de m'éloigner du bruit inconnu et terrifiant elle avait également l'inconvénient de m'avoir entraîné dans la partie la plus sombre, froide et sauvage de cette forêt... J'étais entouré de tous les côtés par des bruits plus bizarres les uns que les autres et ma paranoïa, maintenant exacerbée, me faisait sursauter toutes les deux secondes. Terrifié, j'étais encore grelottant quand je trouvai un refuge doux et chaud contre lequel m'allonger. Je dus m'endormir quelques temps car je fus réveillé par des grognements : mon abri grognait ! Au début, j'étais encore trop assoupi pour comprendre pleinement le sens de cette phrase, mais, quand je le réalisais, je fis un bond d'horreur, réveillant au passage mon « abri »... Lequel se mit à me poursuivre sans aucune pitié dans le but pleinement avoué de ne pas s'arrêter avant de m'avoir empalé sur un arbre. Pour la seconde fois dans cette nuit d'effroi, je me mis à courir aussi vite que je le pus, plus vite même que je n'aurais jamais cru pouvoir courir. Je changeais régulièrement de direction espérant ainsi semer le sanglier contre lequel j'avais tranquillement dormi quelques minutes auparavant. Je mettais mes dernières forces dans cette course funeste tout en sachant pertinemment que la partie était perdue d'avance : ce sanglier était beaucoup plus rapide et fort que moi... Je m'apprêtais à m'écrouler d'épuisement quand je reconnus l'endroit ! Ici, la clairière m'était familière ! Je la contournai et trouvai l'endroit que je cherchais : le buisson piège dans lequel j'avais l'habitude de perdre mes prédateurs. Je fonçai tête baissée dans le seul passage praticable tandis que le sanglier s'empêtrait entre les branches et les épines pour y rester coincé.
 Et c'est ainsi, qu'au petit matin, après toutes ces aventures et courses poursuites, je pus finalement rentrer dans mon terrier prendre une journée de sommeil bien méritée et retrouver ma mulote préférée !
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