Pensées funestes

Je regardai la ville qui s'étendait devant moi.
 Des dizaines de buildings m'entouraient, tous les uns plus grands que les autres. L'obscurité de la nuit disparaissait presque à cause de toute la lumière que produisait New-York. Au centre de la ville, on aurait pratiquement pu croire que l'on était en pleine journée. Mais depuis le toit sur lequel je me dressais, on voyait que la nuit battait son plein. J'étais penchée au bord du vide et devant moi une ruelle se dessinait. Personne n'y était passé depuis que j'étais ici, j'en déduis donc que ce ne devait pas être une rue très fréquentable.
 Je sortis de mes pensées et me tournai pour regarder derrière moi. Le toit était vide. Il n'y avait qu'une chaise, sur laquelle je me tenais pour admirer les étoiles il y a quelques minutes. Je m'imaginais dans une autre vie, venir ici avec mon amoureux pour que l'on regarde les étoiles, ensemble. Une autre vie où je ne serai pas seule et où je ne serai pas venue sur ce toit dans l'idée de sauter. Je me retournai et baissai mon regard vers le vide devant moi. Je me dis qu'à tout moment je pouvais sauter, mettre fin à cette vie qui m'attend, où qui ne m'attend pas justement. Je me demandai si, pendant la chute, des personnes regrettaient ; si, en voyant le sol s'approcher à une vitesse fulgurante, elles ne se disaient pas « je n'aurais jamais dû sauter, c'était une mauvaise idée ».
En attendant je suis là, penchée au bord du vide, à réfléchir à la mort.
 Je levai les yeux pour admirer les étoiles qui, pour une fois, n'étaient pas dissimulées derrière les nuages. Je me dis que quelqu'un d'autre était peut-être aussi sur un toit, à observer les étoiles en pensant à la mort. Peut-être n'avait-elle aussi jamais fumé de sa vie et avait également décidé de le faire pour la toute première fois ce soir, mais seulement si elle se décidait à faire le grand saut. Peut-être qu'elle se laisserait tomber dans le vide pour d'autres raisons que moi, ou alors juste parce qu'elle n'en peut plus. Peut-être qu'elle ne sautera pas, et que son paquet de cigarettes restera fermé jusqu'à sa prochaine envie de mourir. Peut-être que quelqu'un arrivera sur le toit et la forcera à descendre.
Peut-être que personne ne viendra jamais et qu'elle mourra sans que personne ne se soucie de son cas.
 Peut-être, peut-être, mais les peut-être ne me sauveront pas de là où je suis. Parce que personne d'autre n'est sur un toit, à 3 heures du matin, sur le point de sauter dans le vide.
 Je me souvins des six derniers mois, où je n'ai fait que rester chez-moi à rien faire, parce que je n'y arrivais plus, que toutes mes journées étaient monotones et que rien ne se passait dans ma vie. Je me souvins de toutes ces nuits où je ne réussissais pas à dormir, faute à mon esprit trop vagabond.
 

Des idées noires me vinrent en tête. Les mêmes que celles que j'ai chaque soir.
Elles m'embrouillent la tête, m'étouffent presque. Voilà pourquoi je n'aime pas la nuit. C'est toujours quand l'obscurité s'épaissit que mes pensées les plus funestes reviennent. C'est toujours quand la noirceur des ténèbres arrive que toutes les idées noires que je repousse à longueur de journée reviennent me hanter. 
 Je pris le paquet de cigarettes et l'ouvris. J'en choisis une, celle qui me convint le plus, même si elles se ressemblaient toutes ; pris mon briquet et j'allumai la cigarette. Je la portai à mes lèvres et aspirai la fumée. Je crois que je n'ai jamais rien ressenti d'aussi horrible. J'eus l'impression que mes poumons avaient cessé de jouer leur rôle. Prise de vertige, je descendis du rebord du toit et je me mise à tousser très fort puis je jetai la cigarette par terre.
Je l'écrasai sous ma chaussure et inspirai lourdement, comme si cela faisait des années que je n'avais plus respiré. Je toussai une dernière fois et revins à mes esprits. Je levai la tête pour admirer les étoiles mais mes pensées revinrent à la charge, alors je décidai de les faire taire. Prise d'un élan de courage, je m'avançai vers le rebord, posai un de mes pieds dessus et pris appui sur celui-lui pour m'expulser le plus loin possible de la façade.
 

 Je me sentis aller vers l'avant et en même temps chuter.
 

 Ce n'était pas vraiment désagréable, j'avais le sentiment de voler. Je vis les étages défiler les uns après les autres mais à aucun moment je ne baissai mon regard vers le sol. Je contemplai les étoiles jusqu'au bout et à aucun moment je ne regrettai mon geste.
 
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