Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. J'avais un pouvoir immense de surmonter les difficultés, de ne pas perdre l'espoir dans aucune situation. Si je vous racontais mon histoire, vous seriez choqués. Peut-être il faut que je la partage avec vous. Enfin. Je posais beaucoup de questions quand j'étais petite. J'avais envie de tout savoir sur le monde dans lequel nous vivons. Selon moi, il y avait toujours le blanc et le noir, pas de gris. Il y avait toujours quelque chose qui manquait dans ma tête. Je ne le comprenais pas encore, mais je savais.
Quel âge aviez-vous quand vous avez entendu le premier mensonge de votre vie ? J'avais trois ans. Quand j'ai vu que cette boule à neige était tombée de l'étagère et avait brisé le marbre et quand ma mère m'a dit que tout était bien. Ce n'était pas bien, évidemment. Quand j'ai remarqué cet hématome dans ses yeux et ses larmes, je savais parfaitement que c'était un mensonge. Après cela, tout semble irréel. Et c'était le moment où venait se poser le problème de confiance. À elle, à lui, à moi-même. À tout le monde. Au monde. Même à l'âge de trois ans, je me souviens très bien que je l'ai embrassée en disant mon premier mensonge : « Tout sera bien ». À partir de ce moment, vous êtes menteuse. C'est fini. Pas d'innocence. J'ai rencontré le monde des adultes très tôt à cause de ce premier mensonge. Et après ? C'était le pire. La violence n'a jamais terminé ainsi que mes mensonges. J'ai commencé à me parler. Je me disais que tout serait parfait.
Le deuxième choc m'est arrivé quand j'ai vu mon père avec une autre femme, à l'âge de neuf ans. Au début, d'après le plan, cela devait être des vacances reposantes, dans un hôtel chic avec mon père. Et sa copine. Ce n'était pas claire pour moi au début, j'avais pensé que c'était ma mère. Est-ce qu'elle avait changé la couleur de ses cheveux ? Est-ce qu'elle avait coupé ses cheveux ? Mais attends, elle n'est pas si grande ! C'était le moment où j'ai décidé d'être honnête pour la première fois dans ma vie. Et quand je suis rentrée, j'ai dit à ma mère que mon père était avec une femme différente qu'elle. Sa réponse ? Je n'ai pas vu mon père pendant des mois. Quand j'étais très concentrée sur mon devoir de maths et j'essayais de résoudre le problème, il m'a dit « adieu » et il est parti. J'ai appris que certains mensonges étaient nécessaires et il ne faut pas être honnête tout le temps. Le mensonge était en fait une chose très bénéfique pour la famille, pour que la famille continue d'exister.
Et le troisième choc ? Il est primordial de tripler les choses pour qu'elles soient fertiles et chanceuses, selon les règles non écrites turques. Le véritable problème est qu'il faut tripler les choses « bonnes », pas les choses « catastrophiques ». Je ne le savais pas, comme toujours. Cependant, il y avait un évènement que j'aimerais bien partager avant le troisième qui était quasiment parfait pour un enfant de neuf ans : mon père était revenu. Il était là pour moi, j'avais un père qui pouvait me féliciter, qui pouvait passer du temps avec moi, qui pouvait m'aimer. J'étais comme les autres. J'avais une famille, pas une mère qui pleurait tout le temps. J'étais contente, même si j'étais la dernière à pardonner ce qu'il avait fait.
En revanche, quelque chose était différente. Il était différent. J'avais toujours le sentiment d'être éloignée de lui. Soit parce que c'était difficile pour moi de surmonter cette image dans ma tête, soit parce qu'il m'ordonnait toujours d'aller dans ma chambre. Je ne mangeais pas avec eux, je ne pouvais pas passer du temps avec eux. Tout avait changé. J'attendais qu'il parte pour son travail pour passer du temps avec ma mère. Il avait envahi ma famille. Il était la famille lui-même. C'était quand j'ai rencontré la solitude et appris à me divertir seule que j'ai compris que je n'avais aucune place dans cette nouvelle famille. J'ai commencé à passer du temps avec moi-même. J'ai ri, j'ai pleuré. J'étais seule à partir de l'âge de dix ans.
Après tout, j'ai appris à rêver. Premièrement, je me suis décidée à devenir procureur. Je n'étais pas capable de décider de la vie de quelqu'un mais j'étais prête à trouver des erreurs afin de juger cette personne. Mon père me l'avait enseigné. Ainsi, j'ai rencontré mon meilleur ami. Il était très sympathique et très intelligent. Son père parfait était ambassade. Il était hyper cool ! J'ai décidé de devenir diplomate grâce à lui. Il avait un père parfait, qui n'était pas comparable au mien. Le mien, je ne le connaissais pas très bien. Il n'est jamais arrivé tôt chez nous afin de me dire « bonne nuit », je ne suis jamais allée au pique-nique avec lui, je ne suis jamais allée au cinéma avec lui. C'est pourquoi j'ai voulu être comme lui, ce père parfait. Deuxièmement, j'ai aussi décidé d'apprendre des langues étrangères, pour que quelqu'un d'autre puisse me comprendre et que je puisse le comprendre. Comment j'ai pu attendre que les autres me comprennent quand mon père ne le pouvait pas ?
Enfin, je suis devenue une personne ayant des idéaux, des rêves, des plans pour l'avenir. J'ai étudié pendant des heures lorsque mes amis s'amusaient. J'ai appris comment surmonter cette solitude que j'ai créée moi-même. J'ai travaillé. J'ai toujours essayé de faire de mon mieux, et d'être la meilleure. Il n'y avait pas d'autre voie qui m'était destinée et j'avais tout à fait raison de dire cela.
Voilà que le troisième choc arrive ! Le jour où je fêtais mon 18e anniversaire, un âge particulièrement important car je n'étais plus une enfant, mon père m'a abandonnée pour la deuxième et la dernière fois. En disant qu'il n'était pas heureux avec moi et ma mère, il est parti. Il était si prêt que ses bagages étaient déjà préparés. Le véritable choc était qu'il avait créé une autre famille il y a quatre ans et il était très content avec elle. Comment j'ai pu me classifier comme menteuse quand mon propre père avait créé lui-même une autre famille et vivait avec elle depuis quatre ans ? Il avait aussi des mensonges pour lesquels je ne veux jamais le pardonner. Je n'ai jamais témoigné de ma colère, ni avec lui ni avec quelqu'un d'autre. J'ai gardé toute ma douleur à l'intérieur. Et j'ai décidé de partager toute ma douleur avec mon père quand un jour je suis retournée chez moi et j'ai vu ma mère avec une jambe bandée. Elle n'a pas pu bouger et elle avait des cicatrices tout autour de son visage. J'étais dévastée. Je lui ai dit tout qui m'a détruit depuis mon enfance et j'ai rompu toute ma relation avec lui. J'étais déçue, j'étais choquée, j'étais triste. J'avais rencontré le malheur.
Il est très facile d'être témoin de la vie de quelqu'un d'autre et être triste pour cette personne. Mais vivre ces moments, c'est tout à fait différent et, croyez-moi, c'est vraiment difficile. Après plusieurs années, quand je regarde en arrière, je vois que j'ai été extrêmement forte. Face à la pauvreté, à la solitude, à la vie menacée financièrement par mon propre père, j'ai atteint mes rêves et je continue encore de travailler pour eux.
J'ai perdu tout espoir pour les garçons parce que je ne sais pas comment leur faire confiance. Mais j'ai toujours gardé à l'esprit que la solitude m'a renforcée. Au lieu d'attendre que mon père m'embrasse, j'ai embrassé ma solitude. Et je peux dire qu'on comprend ce qu'est la sagesse quand on voit le monde gris, quand il n'y a plus de blanc et de noir.
Et finalement j'ai appris le fait que je n'étais pas du tout différente. J'étais seulement, comme je l'ai dit au début, menteuse.
Quel âge aviez-vous quand vous avez entendu le premier mensonge de votre vie ? J'avais trois ans. Quand j'ai vu que cette boule à neige était tombée de l'étagère et avait brisé le marbre et quand ma mère m'a dit que tout était bien. Ce n'était pas bien, évidemment. Quand j'ai remarqué cet hématome dans ses yeux et ses larmes, je savais parfaitement que c'était un mensonge. Après cela, tout semble irréel. Et c'était le moment où venait se poser le problème de confiance. À elle, à lui, à moi-même. À tout le monde. Au monde. Même à l'âge de trois ans, je me souviens très bien que je l'ai embrassée en disant mon premier mensonge : « Tout sera bien ». À partir de ce moment, vous êtes menteuse. C'est fini. Pas d'innocence. J'ai rencontré le monde des adultes très tôt à cause de ce premier mensonge. Et après ? C'était le pire. La violence n'a jamais terminé ainsi que mes mensonges. J'ai commencé à me parler. Je me disais que tout serait parfait.
Le deuxième choc m'est arrivé quand j'ai vu mon père avec une autre femme, à l'âge de neuf ans. Au début, d'après le plan, cela devait être des vacances reposantes, dans un hôtel chic avec mon père. Et sa copine. Ce n'était pas claire pour moi au début, j'avais pensé que c'était ma mère. Est-ce qu'elle avait changé la couleur de ses cheveux ? Est-ce qu'elle avait coupé ses cheveux ? Mais attends, elle n'est pas si grande ! C'était le moment où j'ai décidé d'être honnête pour la première fois dans ma vie. Et quand je suis rentrée, j'ai dit à ma mère que mon père était avec une femme différente qu'elle. Sa réponse ? Je n'ai pas vu mon père pendant des mois. Quand j'étais très concentrée sur mon devoir de maths et j'essayais de résoudre le problème, il m'a dit « adieu » et il est parti. J'ai appris que certains mensonges étaient nécessaires et il ne faut pas être honnête tout le temps. Le mensonge était en fait une chose très bénéfique pour la famille, pour que la famille continue d'exister.
Et le troisième choc ? Il est primordial de tripler les choses pour qu'elles soient fertiles et chanceuses, selon les règles non écrites turques. Le véritable problème est qu'il faut tripler les choses « bonnes », pas les choses « catastrophiques ». Je ne le savais pas, comme toujours. Cependant, il y avait un évènement que j'aimerais bien partager avant le troisième qui était quasiment parfait pour un enfant de neuf ans : mon père était revenu. Il était là pour moi, j'avais un père qui pouvait me féliciter, qui pouvait passer du temps avec moi, qui pouvait m'aimer. J'étais comme les autres. J'avais une famille, pas une mère qui pleurait tout le temps. J'étais contente, même si j'étais la dernière à pardonner ce qu'il avait fait.
En revanche, quelque chose était différente. Il était différent. J'avais toujours le sentiment d'être éloignée de lui. Soit parce que c'était difficile pour moi de surmonter cette image dans ma tête, soit parce qu'il m'ordonnait toujours d'aller dans ma chambre. Je ne mangeais pas avec eux, je ne pouvais pas passer du temps avec eux. Tout avait changé. J'attendais qu'il parte pour son travail pour passer du temps avec ma mère. Il avait envahi ma famille. Il était la famille lui-même. C'était quand j'ai rencontré la solitude et appris à me divertir seule que j'ai compris que je n'avais aucune place dans cette nouvelle famille. J'ai commencé à passer du temps avec moi-même. J'ai ri, j'ai pleuré. J'étais seule à partir de l'âge de dix ans.
Après tout, j'ai appris à rêver. Premièrement, je me suis décidée à devenir procureur. Je n'étais pas capable de décider de la vie de quelqu'un mais j'étais prête à trouver des erreurs afin de juger cette personne. Mon père me l'avait enseigné. Ainsi, j'ai rencontré mon meilleur ami. Il était très sympathique et très intelligent. Son père parfait était ambassade. Il était hyper cool ! J'ai décidé de devenir diplomate grâce à lui. Il avait un père parfait, qui n'était pas comparable au mien. Le mien, je ne le connaissais pas très bien. Il n'est jamais arrivé tôt chez nous afin de me dire « bonne nuit », je ne suis jamais allée au pique-nique avec lui, je ne suis jamais allée au cinéma avec lui. C'est pourquoi j'ai voulu être comme lui, ce père parfait. Deuxièmement, j'ai aussi décidé d'apprendre des langues étrangères, pour que quelqu'un d'autre puisse me comprendre et que je puisse le comprendre. Comment j'ai pu attendre que les autres me comprennent quand mon père ne le pouvait pas ?
Enfin, je suis devenue une personne ayant des idéaux, des rêves, des plans pour l'avenir. J'ai étudié pendant des heures lorsque mes amis s'amusaient. J'ai appris comment surmonter cette solitude que j'ai créée moi-même. J'ai travaillé. J'ai toujours essayé de faire de mon mieux, et d'être la meilleure. Il n'y avait pas d'autre voie qui m'était destinée et j'avais tout à fait raison de dire cela.
Voilà que le troisième choc arrive ! Le jour où je fêtais mon 18e anniversaire, un âge particulièrement important car je n'étais plus une enfant, mon père m'a abandonnée pour la deuxième et la dernière fois. En disant qu'il n'était pas heureux avec moi et ma mère, il est parti. Il était si prêt que ses bagages étaient déjà préparés. Le véritable choc était qu'il avait créé une autre famille il y a quatre ans et il était très content avec elle. Comment j'ai pu me classifier comme menteuse quand mon propre père avait créé lui-même une autre famille et vivait avec elle depuis quatre ans ? Il avait aussi des mensonges pour lesquels je ne veux jamais le pardonner. Je n'ai jamais témoigné de ma colère, ni avec lui ni avec quelqu'un d'autre. J'ai gardé toute ma douleur à l'intérieur. Et j'ai décidé de partager toute ma douleur avec mon père quand un jour je suis retournée chez moi et j'ai vu ma mère avec une jambe bandée. Elle n'a pas pu bouger et elle avait des cicatrices tout autour de son visage. J'étais dévastée. Je lui ai dit tout qui m'a détruit depuis mon enfance et j'ai rompu toute ma relation avec lui. J'étais déçue, j'étais choquée, j'étais triste. J'avais rencontré le malheur.
Il est très facile d'être témoin de la vie de quelqu'un d'autre et être triste pour cette personne. Mais vivre ces moments, c'est tout à fait différent et, croyez-moi, c'est vraiment difficile. Après plusieurs années, quand je regarde en arrière, je vois que j'ai été extrêmement forte. Face à la pauvreté, à la solitude, à la vie menacée financièrement par mon propre père, j'ai atteint mes rêves et je continue encore de travailler pour eux.
J'ai perdu tout espoir pour les garçons parce que je ne sais pas comment leur faire confiance. Mais j'ai toujours gardé à l'esprit que la solitude m'a renforcée. Au lieu d'attendre que mon père m'embrasse, j'ai embrassé ma solitude. Et je peux dire qu'on comprend ce qu'est la sagesse quand on voit le monde gris, quand il n'y a plus de blanc et de noir.
Et finalement j'ai appris le fait que je n'étais pas du tout différente. J'étais seulement, comme je l'ai dit au début, menteuse.