Nuit de vérité

Sélène ouvrit les yeux, tirée de ses songes par un glapissement quasi imperceptible. Dehors, la lune nimbait les prairies alentour d'une douce lumière blanchâtre. Elle sortit de la maison le plus silencieusement possible. La légère brise qui se levait la fit frissonner. Elle prit le temps de s'habituer à la luminosité ambiante et fit un tour sur elle-même. D'où provenait donc ce jappement de détresse ?

Après un instant, la jeune fille aperçut une forme au pelage roux, non loin de l'orée de la forêt. Les yeux du petit être étaient emplis de terreur. Émue par cette détresse, Sélène s'approcha précautionneusement. Lorsqu'elle put le distinguer plus nettement, elle détourna le regard, horrifiée. Un fil barbelé enserrait la patte arrière du renard. Son pelage était maculé de sang. Plus la bête se démenait pour échapper à cette torture, plus elle souffrait. 

Sélène prit le temps de respirer calmement et rassembla ses idées. Après plusieurs secondes de réflexion, elle fit un pas, puis un autre ; elle ne se trouvait maintenant qu'à quelques mètres de l'animal. Elle pouvait sentir son souffle saccadé lui caresser violemment le visage. Ses yeux d'ambre la fixaient intensément, attentifs à ses moindres mouvements. Sa fourrure désormais rêche se soulevait au rythme de sa respiration convulsive. Il semblait souffrir beaucoup.

« Doucement, ne bouge plus, laisse-moi faire » lui murmura-t-elle, s'efforçant de ne pas laisser sa voix trembler et de paraître rassurante. « S'il te plaît ! »

Peut-être était-ce le fruit de son imagination mais il lui semblait que le renard l'avait comprise car, instantanément, il cessa de s'agiter et sa respiration devint plus régulière. Néanmoins, il perdait beaucoup de sang et la jeune fille devait se hâter de l'aider. Elle s'agenouilla près de lui, le plus doucement possible, faisant attention à ne pas le toucher, de peur qu'il ne recommence à bouger. Elle agrippa le fil barbelé des deux côtés de sa patte meurtrie et fit converger ses mains de façon à desserrer l'emprise du câble. Le renard tira de toutes ses forces pour ôter sa patte. En vain ! Après s'être inutilement fatigué, il essaya une autre approche : il la fit lentement glisser. Cette tentative fut couronnée de succès. Il avait réussi à se libérer de son martyre.

La jeune fille vit le renard se lever et partir au trot, à travers les champs. Il boitait atrocement et laissait derrière lui une traînée de sang. Arrivé en bordure du bois, il se retourna pour la regarder. Le jappement qu'il poussa témoignait de toute sa gratitude à celle qui l'avait sauvé d'une mort à petit feu. Sélène resta là debout, pantelante, à regarder l'emplacement où se trouvait, il y a quelques secondes, quelques minutes peut-être, un renard au pelage roux dont elle venait de sauver la vie. Et pourtant... 

Pourtant, elle ne se sentait pas digne de reconnaissance. C'étaient des êtres de son espèce, de sa race, qui avaient placé ces instruments de torture, mis là pour parquer des animaux, des êtres vivants. Ces mêmes fils de fer avaient infligé des blessures dont le renard garderait des séquelles à vie.

Alors non, pensa-t-elle, c'est moi qui te suis redevable. Tu m'as ouvert les yeux et je vais tâcher de ne plus les fermer, plus jamais, quoi qu'il arrive, devant toutes les atrocités auxquelles je vais devoir faire face, ne pas les ignorer. Cette nuit-là, elle se fit cette promesse solennelle.
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