Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. Son désir d'avoir une fille a toujours été viscéral mais quand les désirs deviennent trop forts, la déception qui nous emporte saccage tout. Petite, son amour pour moi n'aurait pu être plus fort mais l'apparition des mots a causé bien des maux. Très vite, j'ai compris que je ne remplissais pas toutes les cases de la fille idéale qu'elle s'était fixée. Et alors, le mot « problème » est passé du singulier au pluriel. J'ai longtemps couru après son cœur, mais à l'arrivée, j'ai échoué. Aujourd'hui, je suis dans ses pleurs plus que dans son cœur, mais surtout je suis ailleurs. Mon cœur est touché, mon corps n'a jamais cessé de lutter et seule ma tête s'y est faite. J'ai vite saisi que le lien qui nous unit est si fort qu'il nous détruit. Je m'appuie sur elle mais son silence me détruit, elle attend de moi, mais sa peine renchérit. Notre amour autant que nos reproches n'ont jamais cessé de nous rassembler autant qu'ils nous éloignent. Toutes ces années ont été rythmées par un désaccord fidèle. Je m'écarte sans condition, elle me rattrape en perdition, je m'agrippe sans concession, elle me distancie sans réfraction.
Naïvement, j'ai longtemps pensé que parler pourrait nous sauver. Les mots m'ont toujours aidé à tout surmonter mais la perspective d'un accord était rêvée et plus je m'y suis accrochée plus tu t'en es éloignée. Chez les autres, la communication semblait sauver les meubles, chez moi elle les a fait trembler ; veuillez m'excuser. Tenter m'est familier, échouer m'est étranger. Pourtant, face à tant de désillusions, mes armes se sont envolées. Nous avons tout essayé pour faire basculer notre amour du bon côté, la perspective d'une famille soudée était sans doute trop utopique. Après tout, certaines situations sont inévitables et chez nous les déclarations d'amour sont les préfaces de reproches sanglants. Alors, le silence est devenu le seul bruit nous rapprochant du bonheur. Maintenant, je ne lui parle plus, elle m'entend mais ne m'écoute pas. Alors, puisque les paroles se sont depuis longtemps envolées, j'ai pensé que le regard nous permettrait peut-être de communiquer. Mais à quoi bon la regarder, elle me voit mais ne me regarde pas. La communication comme le silence sont synonyme de douleur, de peine immense et incommensurable et rien ne nous rapprochera plus du bonheur.
Aussi paradoxale que cela puisse paraître, on se comprend sans se comprendre. Je sais dorénavant que seule la solitude peut calmer sa colère et que seul le rire peut calmer ses angoisses. J'aime à croire que ma présence aussi, même lointaine, l'aide à surmonter ses peines. J'ai suivi inexorablement ses états d'âmes sans m'apercevoir qu'ils devenaient miens. Suivre son chemin, même inconsciemment, m'a achevé. J'ai pensé que c'était sans doute la meilleure solution pour éclore de la prison qu'elle m'avait créée, mais imperceptible me colle désormais à la peau. Depuis toujours, nos déchirements se sont entremêlés dans nos divergences, alors l'idée que nos convergences réuniraient notre amour me parut envisageable. Je crois que je me suis très vite égarée dans son ombre. En voulant me dévoiler à ses yeux, je me suis effacée dans son dos. Sa déception face à ma personne n'était rien comparée à sa déception personnelle et lui ressembler n'a servi qu'à accentuer ma disparition. Son amour-propre n'a jamais été présent, et avoir face à elle une pâle copie de son être lui paraissait absurde et lamentable. Après m'être envolée vers la contradiction, me voilà de retour dans la chaleur de sa pénombre.
Souvent les gens ne comprennent pas notre façon de déchirer notre amour. La similarité est montrée et accentuée. Selon eux, les « au revoir » seraient les prémices de futurs jours heureux. L'amour-propre est trop important pour qu'il soit oublié me disent-ils. S'aimer est le ciment pour aimer les autres. Je sais que je ne corresponds pas à son idéal et ma propre estime de moi s'en est vue bafouée. Leur donner raison me fait mal alors les ignorer est la seule solution que j'ai trouvée et je crois que ma mère en a fait autant. Si l'amour ne nous lie pas, la déraison ne le fait que trop. Puisque les sentiments sont ici mis à nu, il m'est sans doute possible de te confier que l'abandon est inimaginable pour moi, j'en mourrais. Pour moi, rien n'est plus dérisoire que la nuance entre l'au revoir et l'adieu. L'infime suffirait pour que le « à bientôt » devienne « à jamais ». Je connais ma mère, ses actions me sont connues alors même qu'elles ne lui soient apparues. L'infime lui tend les bras, il se débat pour aspirer ses convictions et me l'enlever. Il vient aussi souvent me rendre visite, je lutte mais c'est de plus en plus dur. Elle sait que je ne lui en voudrais pas si elle venait à me quitter, mais je pense qu'elle sait surtout que c'est moi qui partirai en premier.
Il m'arrive de devenir spectatrice de notre relation, elle me déçoit mais je me déçois davantage. De l'extérieur, la rage même si elle plonge dans le mutisme, fait peur. De l'intérieur, la flamme résiste, baladée entre feu et néant. Pour nous, le soleil est depuis toujours semblable à une brûlure inarrêtable. Quand la lumière apparaît, les visages nous analysent et semblent nous explorer ardemment. L'incompréhension est inscrite dans leurs yeux, nos silences les questionnent.
J'accompagne ma mère sans intermittence, le « je » s'est échappé, le « nous » s'est installé. Ma mère est regardée avec folie, je suis regardée avec dépit. L'éloignement est inévitable mais nos reproches nous suivent sans détour. Quand elle marche, quand elle parle, quand elle mange, je suis partout et nulle part à la fois. Semblable à une drogue, je suis mauvaise mais je suis addictive. Ma présence lui est insupportable mais mon absence est insurmontable. Mais quand la lune apparaît, sa douceur nous enivre. Il n'y a plus qu'elle et moi. La communication réapparaît, sans les mots, bien sûr, mais ils ne nous sont plus utiles depuis longtemps. Ses yeux parlent pour elle, ils me regardent en brillant et j'aspire à croire qu'ils ne me mentiront jamais.
Pourtant, ce soir, ses yeux brillent plus que d'habitude. Ils me parlent et me questionnent, comme tous les soirs, mais certaines étincelles me sont imperceptibles. L'éclat des étoiles, particulièrement présentes ce soir, me réconforte. Je crois qu'il est temps. La finalité de notre amour était inévitable. Le temps de comprendre a été long, mais je sais désormais qu'elle ne m'oubliera pas. Nous allons nous construire séparément pour nous retrouver profondément. Mes appréhensions face à l'abandon sont présentes, mais elles sont moindres. La rancœur aussi s'est échappée, emportant avec elle les remords. Et là, face à la lune, accompagnée de notre silence, j'ai compris. J'ai compris que le problème qui nous suivait depuis toujours n'était pas le manque d'amour, c'était l'harmonie. Son attachement sans faille à notre égard nous a fait plonger autant qu'elle nous a sauvées. Et bien au chaud, l'harmonie, devenait l'infime. Elle s'est élancée vers ma mère et lui a tendu la main. Ce soir, ses yeux brillent plus que d'habitude. Ils me parlent, ils me questionnent, ils me pardonnent et s'envolent. Je suis seule, face à la lumière des étoiles aveuglantes. Étonnamment, je me sens vivante. Aujourd'hui, ma mère s'est enfuie, sûrement envahie de doutes et de peur mais en sachant que son départ était les prémices du bonheur. Face à elle, s'offrent la renaissance et la découverte de son âme. Face à moi, s'offrent la liberté et la lumière. Aujourd'hui, ma mère est partie, mais je la comprends, je suis morte depuis longtemps.
Finalement, ces gens avaient raison. S'aimer est la clé pour aimer. Il est maintenant temps de laisser nos armes au nid. Ma mort t'a tuée et j'en suis désolée, mais j'espère que ma liberté t'aura sauvé.
Naïvement, j'ai longtemps pensé que parler pourrait nous sauver. Les mots m'ont toujours aidé à tout surmonter mais la perspective d'un accord était rêvée et plus je m'y suis accrochée plus tu t'en es éloignée. Chez les autres, la communication semblait sauver les meubles, chez moi elle les a fait trembler ; veuillez m'excuser. Tenter m'est familier, échouer m'est étranger. Pourtant, face à tant de désillusions, mes armes se sont envolées. Nous avons tout essayé pour faire basculer notre amour du bon côté, la perspective d'une famille soudée était sans doute trop utopique. Après tout, certaines situations sont inévitables et chez nous les déclarations d'amour sont les préfaces de reproches sanglants. Alors, le silence est devenu le seul bruit nous rapprochant du bonheur. Maintenant, je ne lui parle plus, elle m'entend mais ne m'écoute pas. Alors, puisque les paroles se sont depuis longtemps envolées, j'ai pensé que le regard nous permettrait peut-être de communiquer. Mais à quoi bon la regarder, elle me voit mais ne me regarde pas. La communication comme le silence sont synonyme de douleur, de peine immense et incommensurable et rien ne nous rapprochera plus du bonheur.
Aussi paradoxale que cela puisse paraître, on se comprend sans se comprendre. Je sais dorénavant que seule la solitude peut calmer sa colère et que seul le rire peut calmer ses angoisses. J'aime à croire que ma présence aussi, même lointaine, l'aide à surmonter ses peines. J'ai suivi inexorablement ses états d'âmes sans m'apercevoir qu'ils devenaient miens. Suivre son chemin, même inconsciemment, m'a achevé. J'ai pensé que c'était sans doute la meilleure solution pour éclore de la prison qu'elle m'avait créée, mais imperceptible me colle désormais à la peau. Depuis toujours, nos déchirements se sont entremêlés dans nos divergences, alors l'idée que nos convergences réuniraient notre amour me parut envisageable. Je crois que je me suis très vite égarée dans son ombre. En voulant me dévoiler à ses yeux, je me suis effacée dans son dos. Sa déception face à ma personne n'était rien comparée à sa déception personnelle et lui ressembler n'a servi qu'à accentuer ma disparition. Son amour-propre n'a jamais été présent, et avoir face à elle une pâle copie de son être lui paraissait absurde et lamentable. Après m'être envolée vers la contradiction, me voilà de retour dans la chaleur de sa pénombre.
Souvent les gens ne comprennent pas notre façon de déchirer notre amour. La similarité est montrée et accentuée. Selon eux, les « au revoir » seraient les prémices de futurs jours heureux. L'amour-propre est trop important pour qu'il soit oublié me disent-ils. S'aimer est le ciment pour aimer les autres. Je sais que je ne corresponds pas à son idéal et ma propre estime de moi s'en est vue bafouée. Leur donner raison me fait mal alors les ignorer est la seule solution que j'ai trouvée et je crois que ma mère en a fait autant. Si l'amour ne nous lie pas, la déraison ne le fait que trop. Puisque les sentiments sont ici mis à nu, il m'est sans doute possible de te confier que l'abandon est inimaginable pour moi, j'en mourrais. Pour moi, rien n'est plus dérisoire que la nuance entre l'au revoir et l'adieu. L'infime suffirait pour que le « à bientôt » devienne « à jamais ». Je connais ma mère, ses actions me sont connues alors même qu'elles ne lui soient apparues. L'infime lui tend les bras, il se débat pour aspirer ses convictions et me l'enlever. Il vient aussi souvent me rendre visite, je lutte mais c'est de plus en plus dur. Elle sait que je ne lui en voudrais pas si elle venait à me quitter, mais je pense qu'elle sait surtout que c'est moi qui partirai en premier.
Il m'arrive de devenir spectatrice de notre relation, elle me déçoit mais je me déçois davantage. De l'extérieur, la rage même si elle plonge dans le mutisme, fait peur. De l'intérieur, la flamme résiste, baladée entre feu et néant. Pour nous, le soleil est depuis toujours semblable à une brûlure inarrêtable. Quand la lumière apparaît, les visages nous analysent et semblent nous explorer ardemment. L'incompréhension est inscrite dans leurs yeux, nos silences les questionnent.
J'accompagne ma mère sans intermittence, le « je » s'est échappé, le « nous » s'est installé. Ma mère est regardée avec folie, je suis regardée avec dépit. L'éloignement est inévitable mais nos reproches nous suivent sans détour. Quand elle marche, quand elle parle, quand elle mange, je suis partout et nulle part à la fois. Semblable à une drogue, je suis mauvaise mais je suis addictive. Ma présence lui est insupportable mais mon absence est insurmontable. Mais quand la lune apparaît, sa douceur nous enivre. Il n'y a plus qu'elle et moi. La communication réapparaît, sans les mots, bien sûr, mais ils ne nous sont plus utiles depuis longtemps. Ses yeux parlent pour elle, ils me regardent en brillant et j'aspire à croire qu'ils ne me mentiront jamais.
Pourtant, ce soir, ses yeux brillent plus que d'habitude. Ils me parlent et me questionnent, comme tous les soirs, mais certaines étincelles me sont imperceptibles. L'éclat des étoiles, particulièrement présentes ce soir, me réconforte. Je crois qu'il est temps. La finalité de notre amour était inévitable. Le temps de comprendre a été long, mais je sais désormais qu'elle ne m'oubliera pas. Nous allons nous construire séparément pour nous retrouver profondément. Mes appréhensions face à l'abandon sont présentes, mais elles sont moindres. La rancœur aussi s'est échappée, emportant avec elle les remords. Et là, face à la lune, accompagnée de notre silence, j'ai compris. J'ai compris que le problème qui nous suivait depuis toujours n'était pas le manque d'amour, c'était l'harmonie. Son attachement sans faille à notre égard nous a fait plonger autant qu'elle nous a sauvées. Et bien au chaud, l'harmonie, devenait l'infime. Elle s'est élancée vers ma mère et lui a tendu la main. Ce soir, ses yeux brillent plus que d'habitude. Ils me parlent, ils me questionnent, ils me pardonnent et s'envolent. Je suis seule, face à la lumière des étoiles aveuglantes. Étonnamment, je me sens vivante. Aujourd'hui, ma mère s'est enfuie, sûrement envahie de doutes et de peur mais en sachant que son départ était les prémices du bonheur. Face à elle, s'offrent la renaissance et la découverte de son âme. Face à moi, s'offrent la liberté et la lumière. Aujourd'hui, ma mère est partie, mais je la comprends, je suis morte depuis longtemps.
Finalement, ces gens avaient raison. S'aimer est la clé pour aimer. Il est maintenant temps de laisser nos armes au nid. Ma mort t'a tuée et j'en suis désolée, mais j'espère que ma liberté t'aura sauvé.