Mystère d'une vie

Je suis Serge Sèwanou AHISSOU, étudiant en Lettres Modernes. Je suis amoureux des belles lettres et de tout ce qui relève de l'esthétique. Rejoignez-moi : Sur Messenger : Serge Sèwanoü ... [+]

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«Moi, je suis différent, je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre». Quant à ma mère, je n'aurais jamais imaginé qu'elle partirait si tôt. Les fruits de sa moisson sont là, cet été présent où je dois être sa fête, elle n'est plus de ce monde. Je n'ai qu'un seul hommage pour elle : c'est le mystère de ma vie entière.
Cette nuit-là, devant la scène de son trépas, j'étais terrifié à l'idée d'avoir un parcours sombre durant toute ma vie. Orphelin de mère, je devrais supporter les caractères de la nouvelle femme de mon père.
La nuit où ma mère est morte, un vide s'était ouvert dans mon existence, et pour dissimuler ma peine, j'avais fait comme si le pire n'était pas arrivé. Devant cette salle où était hospitalisée ma mère avant sa mort, je feignais de cacher ma peine. Cette femme dont le sourire et le regard ont toujours illuminé mes jours venait de me quitter. Je m'en veux tellement ne lui avoir pas payé le prix de ses efforts pour m'apprendre à devenir un homme. Elle a emprunté très tôt ce sentier lugubre où les rires, les joies et les pleurs s'enterrent à perpétuité.
Je me rappelle encore ses derniers mots. Agonisant dans son lit d'hôpital, elle ne voulait voir qu'une seule personne. Moi ! Assis près d'elle couchée dans son lit, je lisais une douleur à nulle pareille dans son regard. Pour une seconde fois depuis ce jour où je m'étais blessé au terrain après avoir trébuché sur de vieilles tessons de bouteilles, je regardais ma mère couler des larmes. Elle me prit alors par la main; braqua son regard dans le mien, fit l'effort d'ouvrir la bouche et lâcha faiblement :
«Mon fils, je crois que tu es assez grand pour prendre soin de toi-même. Néanmoins, ton père sera à tes côtés et je sais qu'il te sera un bon père. Tu es un homme et pour cela tu devras être fort pendant longtemps qu'il le faudra»
- Non maman, pourquoi dis-tu cela ? Demandai-je lamentablement
- Mon heure a sonné mon fils
- Non maman, j'ai encore besoin de toi plus que jamais.
- Si mon fils, mais je crois que le moment est venu pour moi de m'en aller. Sois fort.
- Non maman, reste encore avec moi ! Lui dis-je les larmes aux yeux.
- Je serai là dans ton cœur. Dieu te protègera.
Après avoir prononcé ces mots, ma mère commença à se branler dans son lit. Saisit de panique, je cria «au secours». Le médecin traitant qui s'occupait de ma mère accourut à son chevet avec son minuscule cortège. Il demanda qu'on m'emmène dehors. Quand l'aide soignante me conduisait à la porte, il n'y avait plus de bruit de ma mère, elle s'était déjà calmée, je voyais un sourire se dessiner dans son visage, c'était son dernier.
Quand elle s'était branlée pour la première fois, je l'avais vue être tiraillée par deux dames, deux mondes carrément. Dame vie et dame mort, deux mondes qui se disputent chaque jour les mêmes proies. À chaque fois qu'un homme mourrait, c'est plus d'un qui naissait. La nature a horreur du vide diraient les théoriciens.
J'étais avec l'aide soignante quand j'ai aperçu mon père venir en courant. Une jeune femme, l'auxiliaire comme on l'appelait était venue à sa rencontre puis l'a escorté dans le bureau du médécin traitant. Dans le bureau, mon père avait mis du temps. On lui avait annoncé le décès de sa femme. Qu'est-ce qu'il y a de plus chagrinant que de voir une personne qu'on aime disparaître pour ne plus jamais revenir ?
On a pas besoin d'avoir fermé tout un siècle avant de pouvoir distinguer le bien du mal, je savais que ma mère était morte mais moi, j'avais toute une vie devant moi disais-je tout bas dans mon cœur.
Huit mois sont passés et mon père avait fini par faire un choix. Il ne pouvait pas tout faire seul, le ménage et un tas d'autres tâches. C'est vrai, j'étais là mais je n'y serais pas pour une éternité, ce choix valait bien le coût. Même si entre-temps je ne l'avais pas approuvé en raison de tout ce qu'il allait me voler, l'attention, le temps et l'amour que m'offrait mon père, je m'y suis adapté très tôt.
Une femme qu'aimait bien mon père, qui m'en voulait chaque jour comme si j'étais la cause majeure de sa stérilité. Au début, tout avait l'air d'aller bon train jusqu'a ce que débarque le bazar. Un sentiment nouveau. Je n'ai même pas les mots pour le décrire. La haine, le mépris ou l'orgueil ? Le même scénario devrait se répéter presque tous les jours, une tendance de chien et de chat. Elle me criait :
- Hé, toi ! Tu as encore osé te couvrir de mon drap ? Et à moi de répondre.
- Oui maman, j'avais très froid !
- Je t'interdis de m'appeler «maman». Combien de fois dois-je te rappeler que je ne t'ai pas enfanté ? Tu feras mieux de rejoindre ta mère là où elle est, en enfer, ainsi tu seras épargné du froid.
Ma réponse à tout cela était toujours «ok». Cette femme avait bien raison. Le simple fait que je l'appelais «maman» l'irritait tant, cela lui semblait une injure à sa stérilité mais ce qu'elle n'avait pas compris, c'est qu'elle devrait m'affectionner, espérant que la Providence lui vienne en aide un jour.
Mon père passait moins de temps à m'entretenir sur la vie comme il avait l'habitude de le faire, et mon avenir me paraissait nébuleux mais il y avait toujours cette voix dont l'écho n'avait jamais cessé de frapper mon ouïe.
«Tu es assez grand. Tu devras être fort» et à cela j'ajoutais «face aux vicissitudes de la vie». C'était devenu pour moi un refrain, celui sans doute des anges orphelins. Ce refrain qui me donnait l'espoir que mon avenir sera radieux.
À seize ans, j'avais passé mon baccalauréat en classe de première. Admis, j'allais fouler mes pieds au sol de l'université. La «cité de l'univers», c'est ainsi que l'appelait mon père l'année où ma mère et lui décidaient de comment j'allais faire mon entrée. Elle n'était plus là pour prendre les mesures qu'elles jugeaient efficaces pour mon plein épanouissement dans cette maison, cette jungle où les prédateurs règnent en maîtres absolus.
Mon père m'avait loué une cabine dans l'enceinte du campus et j'allais vivre avec un autre garçon de mon âge, un garçon totalement différent de moi. Vivre avec quelqu'un que je découvrais à peine à l'université était difficile pour moi. Partager ma cabine avec ce garçon qui avait une obsession pour les sorties nocturnes, l'alcool, la femme et le sexe me foutait la trouille.
J'avais peur de mal finir comme ces gars que je voyais défiler à longueur de journée, les pantalons déchirés, accros à l'alcool et autres stupéfiants; ces gars dont le seul but était de terrifier leurs semblables et de leur prendre leurs biens. Ma mère ne serait même pas contente de moi. Elle m'avait toujours souhaité une vie heureuse, loin de là où les crimes, les mains maculées de sang et les pleurs des innocents nourrissent les oisifs psychopathes pilotés par les mauvaises intentions.
Si maman était là, j'en suis certain qu'elle donnerait tout pour m'éloigner des dangers auxquels la société dans sa dimension indéfectible nous expose chaque jour que Dieu fait.
Et dire que quand on vient de très loin, d'un endroit où tout le monde ne vous aime pas, où nul n'a d'yeux pour l'autre, où chacun devrait chasser pour manger, c'est toute une source d'inspiration pour un homme dont l'avenir a un sens précis. Je me suis nourris de courage et d'ardeur. À chaque pas, j'y ajoutais la méfiance.J'ai su prendre garde de toutes les mauvaises compagnies qui se sont dressées sur mon chemin, j'ai gardé la foi, la détermination et l'abnégation; aujourd'hui, mon sacrifice a payé son prix. Je suis devenu un vrai homme. C'était le souhait de ma mère.
Et je me suis finalement rendu compte d'une chose, c'est que si j'ai été différent des autres depuis toujours, à l'image d'un extra-terrestre, c'est à cause de cette femme qui m'a toujours appris à croire en moi. Durant tout son séjour terrestre, elle est restée un mystère pour ma vie.
J'ai le cœur meurtri qu'elle ne soit plus là, près de moi. Quant à sa voix, je l'entends toujours qui me redonne confiance, me soulage et me fait croire en mes convictions. Je dois aller de l'avant.