Monstres de la nuit

Quand j'étais plus petite, j'étais une petite fille très colérique : je refusais de me coucher quand c'était l'heure, je tapais du pied quand je n'avais pas ce que je voulais, je criais et coupais les cheveux de mes Barbies. Ma mère, malgré mon caractère difficile, avait pris l'habitude de me lire un livre le soir avant de m'endormir. J'étais dans ma chambre rose, la lumière tamisée et au chaud dans mon lit comme dans un cocon. Je me rappelle encore des mots : colère, joie, gêne, anxiété, douleur, ennui....
Les émotions couchées sur le papier, prenaient vie peu à peu et devenaient êtres de lumière. Elles prenaient forme et leurs silhouettes se dessinaient sur les murs de ma chambre telles des ombres chinoises.
C'est alors qu'une nuit j'ai fait ce rêve. Etrange...
Je marchais seule dans une ruelle déserte. Seules les étoiles m'éclairaient. Il faisait presque noir et j'avais la sensation d'être engloutie par la nuit. J'étais comme une mouche prise au piège dans la toile d'une araignée.
Soudain le silence fut brisé par un craquement. Je me retourne violemment et je vois...
Un monstre... Après quelques secondes de face à face, je finis par ne plus être aussi effrayée. Je lui demandais, d'une voix d'abord tremblante puis de plus en plus sûre : «  Tu comptes me faire du mal ? ». Il me rassura rapidement sur ses intentions et je fus alors plus rassurée.
On discuta beaucoup pendant la nuit et tout à coup, tout devint noir comme si les étoiles n'avaient plus la force de briller et qu'elles s'étaient éteintes les unes après les autres.
C'est alors que je me suis réveillée dans mon lit, dans ma petite chambre rose et réconfortante.
Ce jour-là, je me suis rendue compte qu'une de mes émotions avait changé au fond de mon ventre.... La colère. J'ai compris que le monstre rencontré dans mon rêve était le monstre Colère et qu'il m'aidait à la ressentir de manière plus intense mais aussi à mieux la contrôler.
Je me suis alors demandée si je pouvais recommencer cette expérience. J'avais envie de le revoir. Avant de me coucher, j'ai essayé de penser bien fort à mon rêve de la nuit précédente.
Je me retrouvais à nouveau dans la ruelle sombre avec pour seule compagnie les étoiles. J'entendais à nouveau un craquement.
-Salut !
Je me retournai et je vis le monstre Colère juste devant moi. Il était immense, tout rouge, ses yeux étaient minuscules, il avait de tout petits ongles de doigts, les lèvres noires. Je lui répondis à mon tour poliment.
- Veux tu venir avec moi dans mon monde ? demanda-t-il.
- Avec plaisir », répondis-je. Je savais que tout cela n'était qu'un rêve et que tout ce qui se passerait ici aurait un impact positif sur ma vie.
 

Après avoir un peu marché, il a ouvert comme un portail transparent qui ouvrait sur son monde.
Nous avons franchi le seuil et là un univers coloré est apparu sous mes yeux ébahis. Ca me rappelait les carnavals aux mille couleurs auxquels j'avais assisté mais là c'était encore plus magique. C'était une explosion de rouge, de jaune, de vert, de bleu marine...
Il m'emmena chez lui et je l'interrogeais : « Pourquoi si tu es la Colère, tu n'es pas colérique ?
- Ce n'est pas forcément comme ça que notre monde marche, me dit-il. Même si la colère m'a été attribuée à la naissance, j'ai appris à la maîtriser.
En rigolant, il m'a raconté que lorsqu'il était petit, il avait explosé l'école après qu'un camarade se soit moqué de lui. De la fumée sortait régulièrement de ses oreilles. Il se transformait en une balle de flipper dès qu'il était contrarié et cassait tout ce qui se trouvait autour de lui.
- Mais comment as-tu réussi à te contrôler ? demandai-je.
- Et bien, j'ai appris que la colère est une énergie dévastatrice mais qu'elle peut se transformer en énergie positive. Je m'autorise à me mettre en colère parfois parce que si tu retiens toujours ta colère, un jour, tu exploseras et tu seras comme un volcan en éruption. Tu te souviendras de toutes les fois où tu auras contenu ta colère et tu vas te mettre à bouillir de l'intérieur. Alors que si tu l'apprivoises et l'autorises à sortir, elle est comme un petit feu au lieu d'être un incendie. »
A ce moment-là, quelqu'un frappa à la porte du monstre Colère. C'était une petite fille monstrueusement belle toute bleue marine. Elle portait dans les bras une poupée.
- Bonjour Monstre Anxiété, dit le Monstre Colère.
 

A peine avait-il prononcé ses mots que le noir est revenu. Quand je me suis réveillée, je suis sortie de ma chambre, j'ai dévalé les escaliers et j'ai rejoint ma mère dans la cuisine. Elle buvait son thé du matin :
 

- Maman, maman, dis-je. J'ai fait un rêve incroyable, plus vrai que vrai. J'ai été dans un monde tout coloré. Les habitants sont tous des monstres très gentils qui ont tous des couleurs différentes. Ils ont la couleur de l'émotion qui leur a été attribuée à la naissance. J'ai même rencontré une petite fille toute bleue presque noire !
 

Ma mère n'en revenait et me dit : « Quelle imagination débordante tu as ! »
 

A l'école, j'arrivais de mieux en mieux à contrôler mes émotions, surtout les plus sombres. Je repensais à ce que le Monstre Colère m'avait dit. Toutes les nuits, je rejoignais mes amis pour vivre ma deuxième vie. Il me semblait que Monstre Anxiété devenait de moins en moins bleue marine. Son bleu devenait plus clair au fil du temps. Comme moi, elle changeait.
 

Je savais qu'un jour, je n'irai plus dans le pays des monstres parce que j'aurai appris à maîtriser toutes la palette de mes émotions. Je n'étais pas triste. J'avais appris que chacune d'elles est importante. Et qu'elles ont toute une place dans nos vies.
 

Même la colère et la tristesse. Quand on pleure, on évacue tous les chagrins tristes, profonds et enfouis. La tristesse s'en va en même temps que les larmes qui coulent et allège le cœur. La tristesse s'en va toute seule. Si tu la gardes pour toi, elle va rester et te ronger. Mais si tu laisses la tristesse s'en aller sans la retenir, elle laissera la joie s'installer.
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