Moi je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre. Elle est la seule au courant de mon secret, de mon fardeau. Ou devrais-je qualifier cela de don ? J'ai des pouvoirs psychiques. Lire dans les pensées ou tordre des cuillères, je connais. J'en ai souvent abusé étant enfant. Je m'amusais à faire peur à mes camarades, faisais voler leurs stylos à travers la classe, sous les yeux de mes professeurs choqués.
Je me souviens de l'un d'eux, un vieil homme. Il a terminé en asile. Je l'avais rendu fou. C'est drôle, j'ai l'impression de détruire la vie de tous ceux qui m'entourent. Comme si mon don n'était qu'une malédiction.
Aujourd'hui je passe le cap des 20 ans. Depuis mon entrée à l'université, je ne sociabilise plus. Je me suis enfermé dans mes cahiers et mes bouquins, je ne vois la lueur du jour que pour me rendre en cours. J'ai trop pris aux autres, je ne veux plus faire souffrir.
Laissez-moi vous parler de mon premier amour, une chimère magnifique. Elle s'appelait Calypso, était plus âgée, d'une année. Elle était lumineuse et mystérieuse. Elle était infiniment drôle, aimait la vie. Elle ne parlait qu'à son cercle restreint d'amis, était native du mois de mai. Je l'ai rencontrée pour la première fois le dernier jour du lycée.
Nous étions à peine en été et le soleil brûlait. Je descendis les escaliers menant au hall, accompagné de mes amis, certains en pleurs, d'autres surexcités, pris dans le tourbillon de sentiments d'un jour de fin d'année scolaire. Je ne pouvais penser à rien et n'eus qu'une grosse migraine, mon esprit étais en surchauffe, noyé dans un tumulte de paroles psychiques. Je me précipitai vers la sortie et arrivai dehors, loin de la foule et à côté d'un petit parking à vélos, vide. L'air était agréablement chaud. Je m'assis au bas de la porte et relevai les yeux, ma tête tout à coup débarrassée de son désordre habituel. Je vis adossée au mur de briques rouges une jeune femme aux cheveux violets profonds, mi-longs, voulant fumer, le regard concentré sur la maigre flamme de son briquet. Qu'elle était belle, à l'ombre du toit de plastique abîmé.
Sa cigarette ne s'allumait pas, alors enfin, ses yeux se relevèrent. Elle était de profil et regardait en face d'elle, je la regardais en face de moi. Puis je l'entendis dire, tout bas : " Ca me fera quelques minutes de vie gagnées, au moins. "
Puis, sans m'apercevoir, elle se redressa et s'apprêta à partir du côté opposé au mien.
- Attends.
Je ne sais comment j'eus le courage de la retenir. En plus, je n'avais rien à lui dire.
Elle se retourna et croisa mon regard, enfin. Des yeux marrons, voire noirs, qui s'éclaircissaient d'un vert intense aux rayons du soleil. Je crus voir un ange déchu.
Elle me fixa, l'air interrogateur :
- Attends ..?
Je ne savais plus parler.
- ...on se connait ?
- Non, mais je l'aimerais.
Ca y est, j'étais pris dans un élan de courage insoupçonné. J'en avais même oublié mes pensées.
- Oh... C'est audacieux ! Ha ! On me l'avait jamais faite, celle-là !
Elle se mit à rire, un sourire éclatant et des dents du bonheur. Son personnage me vivifiait.
Et de là commença notre première discussion. Elle était étrange. Elle était spéciale.
- C'est quoi, ton petit nom ?
- Je m'appelle James. Et toi ?
- Moi, c'est Calypso.
- Je ne t'ai jamais vue ici, comment est-ce possible ?
Je ne pensais plus à mon don, je ne pensais plus à rien. Etrangement, elle m'apaisait et me faisait oublier le cours du temps.
- Oh, ça... eh bien, eh bien, je... c'est la première fois que, euh... que je viens ici, je...hum...
- Tu... ?
- Je...
- Ma présence t'intimide tant que ça ?
- Quoi ? Haha ! Alors là ! Bien-sûr que non ! Toi, je t'aime bien, tu ne passes pas par quatre chemins, ce que tu peux être drôle !
J'eus extrêmement chaud, d'un coup.
- Alors pourquoi tant d'hésitation ?
- Si je te le dis tu me prendras pour une personne dénuée de bon sens, pour une folle.
- Parfait, j'adore ça. Dis-le moi tout de suite.
- Ha ! Comment ça ? Toi aussi tu as perdu la raison, non ?
- Oui, sûrement...
A cet instant je me rendis compte d'une chose. Cette chose que j'aurais dû remarquer bien avant.
Je n'arrivais pas à lire dans ses pensées.
Je n'en entendais plus aucune.
Tout était vide et j'étais libre.
- Que se passe-t-il ? Tu es tout pâle, ça va ?
- Euh... oui, laisse-moi m'asseoir deux minutes. J'ai eu un coup de chaleur, je crois...
- Haha ! Alors, ma présence t'intimide tant que ça ?
- ... Un peu.
- Oh.. !
Une fois au sol, je pris une grande respiration et fixai cette étrange femme dans le blanc de ses yeux noirs. Elle me souriait.
- Tu veux savoir pourquoi je suis venue... ? Tu vas me trouver bête.
- Non. Dis-le, maintenant.
- Très bien.. ! Je suis simplement venue car... j'en ai ressenti le besoin.
- Le besoin ? Mais encore ?
- Ha ! Je ne sais pas, c'était une intuition. Il était impossible pour moi de ne pas venir, et je ne sais même pas pourquoi, comment...
- Tu crois aux forces surnaturelles ?
- Haha ! Evidemment que non. Je suis très terre à terre. En même temps, je suis taureau.
- Tu sais, tu viens de te contredire en parlant d'astrologie.
- Ecoute, je suis un peu perdue. Tout se bouscule dans mon esprit, comme s'il luttait contre une force invisible. Malgré cela, depuis que je t'ai rencontré, je me sens légère. Ta présence, elle...
- ...Elle m'apaise. Moi aussi, ta présence m'apaise.
- Non, ta présence... je pense que c'est pour toi qu'on m'a poussée à venir ici.
- Je sais que tu m'apprécies déjà énormément, mais c'est cliché.
- Mais quel... ! Ha ! Tu n'en manques pas une, toi.
Elle se mit à regarder un vieux peuplier, au loin. Puis elle le pointa du doigt.
- Suis-moi, on continue notre discussion là-bas.
- Très bien, cheffe.
Et de là nous parlâmes de nos vies jusqu'au crépuscule. Sous le ciel orangé d'été, rien qu'un instant au cours de ma longue existence, j'avais pu oublié ma différence. J'avais oublié mon fardeau.
Calypso, c'était la seule personne au monde dont je ne connaissais pas les pensées. Elle était comme l'antidote au poison qui me rongeait depuis dix-huit années.
Avant qu'elle ne reparte, je pris son numéro, et nous continuâmes de parler une bonne partie de la nuit.
Mais je ne voulais qu'une chose : la voir, et oublier toutes ces pensées qui me hantaient.
Des centaines de messages envoyés, et un nouveau rendez-vous convenu : devant le lycée, près du petit parking à vélo, aux alentours de 22h.
Je ne l'avais pas revue, cela faisait 15 jours.
J'arrivai à l'endroit prévu une fois le soleil couché. Elle était déjà arrivée, toujours adossée au mur de briques, une cigarette sur le bout des lèvres. En la voyant là, simplement, c'était mon esprit entier qui se calmait.
Elle me sourit.
- Bonsoir, le retardataire.
- Bonsoir. Ravi de te revoir également...
- Haha ! Tout le plaisir est pour moi !
Sa joie m'avait manqué. Ce calme m'avait manqué.
Le temps passa à une allure folle, c'est bien connu. Tout va plus vite lorsque l'on est heureux. Lorsque l'on est accompagnés d'une personne que l'on aime.
Minuit passé.
- James, une cigarette ?
- Ah, merci, mais je ne fume pas...
- Oh, aller ! Rien qu'une seule !
- Ah... Comment y résister, de toute façon.
- Bien.
L'odeur forte du tabac se mélangeait à son parfum fleuri. Et mon regard se noyait dans ses iris noires infinies.
- Calypso, je dois t'avouer une petite chose. Es-tu prête ?
- Je le suis toujours.
Et je lui dévoilai mon secret.
Elle l'écouta, sans émotion. Elle qui était si vivante ne bougeait plus, n'éprouvait plus rien.
C'était incompréhensible.
Alors je lui pris les mains, et continuai.
- Tu es la seule qui m'apaise, Calypso. J'ai besoin de toi, avec moi.
Je t'aime.
Elle ne me répondit pas, il y eut un silence prolongé.
Une minute, puis deux, puis trois.
Quand tout à coup, elle me caressa la joue et prit mes lèvres, sur les siennes.
C'était intense, exceptionnel.
Le silence se brisa puis elle me dit en se levant :
- Je ne peux pas, je ne peux plus.
Elle s'en alla.
Elle est partie, en me laissant sa paix. Depuis ce soir-là, je parviens à faire le vide dans mes pensées, seulement quand elle y est.
Je me souviens de l'un d'eux, un vieil homme. Il a terminé en asile. Je l'avais rendu fou. C'est drôle, j'ai l'impression de détruire la vie de tous ceux qui m'entourent. Comme si mon don n'était qu'une malédiction.
Aujourd'hui je passe le cap des 20 ans. Depuis mon entrée à l'université, je ne sociabilise plus. Je me suis enfermé dans mes cahiers et mes bouquins, je ne vois la lueur du jour que pour me rendre en cours. J'ai trop pris aux autres, je ne veux plus faire souffrir.
Laissez-moi vous parler de mon premier amour, une chimère magnifique. Elle s'appelait Calypso, était plus âgée, d'une année. Elle était lumineuse et mystérieuse. Elle était infiniment drôle, aimait la vie. Elle ne parlait qu'à son cercle restreint d'amis, était native du mois de mai. Je l'ai rencontrée pour la première fois le dernier jour du lycée.
Nous étions à peine en été et le soleil brûlait. Je descendis les escaliers menant au hall, accompagné de mes amis, certains en pleurs, d'autres surexcités, pris dans le tourbillon de sentiments d'un jour de fin d'année scolaire. Je ne pouvais penser à rien et n'eus qu'une grosse migraine, mon esprit étais en surchauffe, noyé dans un tumulte de paroles psychiques. Je me précipitai vers la sortie et arrivai dehors, loin de la foule et à côté d'un petit parking à vélos, vide. L'air était agréablement chaud. Je m'assis au bas de la porte et relevai les yeux, ma tête tout à coup débarrassée de son désordre habituel. Je vis adossée au mur de briques rouges une jeune femme aux cheveux violets profonds, mi-longs, voulant fumer, le regard concentré sur la maigre flamme de son briquet. Qu'elle était belle, à l'ombre du toit de plastique abîmé.
Sa cigarette ne s'allumait pas, alors enfin, ses yeux se relevèrent. Elle était de profil et regardait en face d'elle, je la regardais en face de moi. Puis je l'entendis dire, tout bas : " Ca me fera quelques minutes de vie gagnées, au moins. "
Puis, sans m'apercevoir, elle se redressa et s'apprêta à partir du côté opposé au mien.
- Attends.
Je ne sais comment j'eus le courage de la retenir. En plus, je n'avais rien à lui dire.
Elle se retourna et croisa mon regard, enfin. Des yeux marrons, voire noirs, qui s'éclaircissaient d'un vert intense aux rayons du soleil. Je crus voir un ange déchu.
Elle me fixa, l'air interrogateur :
- Attends ..?
Je ne savais plus parler.
- ...on se connait ?
- Non, mais je l'aimerais.
Ca y est, j'étais pris dans un élan de courage insoupçonné. J'en avais même oublié mes pensées.
- Oh... C'est audacieux ! Ha ! On me l'avait jamais faite, celle-là !
Elle se mit à rire, un sourire éclatant et des dents du bonheur. Son personnage me vivifiait.
Et de là commença notre première discussion. Elle était étrange. Elle était spéciale.
- C'est quoi, ton petit nom ?
- Je m'appelle James. Et toi ?
- Moi, c'est Calypso.
- Je ne t'ai jamais vue ici, comment est-ce possible ?
Je ne pensais plus à mon don, je ne pensais plus à rien. Etrangement, elle m'apaisait et me faisait oublier le cours du temps.
- Oh, ça... eh bien, eh bien, je... c'est la première fois que, euh... que je viens ici, je...hum...
- Tu... ?
- Je...
- Ma présence t'intimide tant que ça ?
- Quoi ? Haha ! Alors là ! Bien-sûr que non ! Toi, je t'aime bien, tu ne passes pas par quatre chemins, ce que tu peux être drôle !
J'eus extrêmement chaud, d'un coup.
- Alors pourquoi tant d'hésitation ?
- Si je te le dis tu me prendras pour une personne dénuée de bon sens, pour une folle.
- Parfait, j'adore ça. Dis-le moi tout de suite.
- Ha ! Comment ça ? Toi aussi tu as perdu la raison, non ?
- Oui, sûrement...
A cet instant je me rendis compte d'une chose. Cette chose que j'aurais dû remarquer bien avant.
Je n'arrivais pas à lire dans ses pensées.
Je n'en entendais plus aucune.
Tout était vide et j'étais libre.
- Que se passe-t-il ? Tu es tout pâle, ça va ?
- Euh... oui, laisse-moi m'asseoir deux minutes. J'ai eu un coup de chaleur, je crois...
- Haha ! Alors, ma présence t'intimide tant que ça ?
- ... Un peu.
- Oh.. !
Une fois au sol, je pris une grande respiration et fixai cette étrange femme dans le blanc de ses yeux noirs. Elle me souriait.
- Tu veux savoir pourquoi je suis venue... ? Tu vas me trouver bête.
- Non. Dis-le, maintenant.
- Très bien.. ! Je suis simplement venue car... j'en ai ressenti le besoin.
- Le besoin ? Mais encore ?
- Ha ! Je ne sais pas, c'était une intuition. Il était impossible pour moi de ne pas venir, et je ne sais même pas pourquoi, comment...
- Tu crois aux forces surnaturelles ?
- Haha ! Evidemment que non. Je suis très terre à terre. En même temps, je suis taureau.
- Tu sais, tu viens de te contredire en parlant d'astrologie.
- Ecoute, je suis un peu perdue. Tout se bouscule dans mon esprit, comme s'il luttait contre une force invisible. Malgré cela, depuis que je t'ai rencontré, je me sens légère. Ta présence, elle...
- ...Elle m'apaise. Moi aussi, ta présence m'apaise.
- Non, ta présence... je pense que c'est pour toi qu'on m'a poussée à venir ici.
- Je sais que tu m'apprécies déjà énormément, mais c'est cliché.
- Mais quel... ! Ha ! Tu n'en manques pas une, toi.
Elle se mit à regarder un vieux peuplier, au loin. Puis elle le pointa du doigt.
- Suis-moi, on continue notre discussion là-bas.
- Très bien, cheffe.
Et de là nous parlâmes de nos vies jusqu'au crépuscule. Sous le ciel orangé d'été, rien qu'un instant au cours de ma longue existence, j'avais pu oublié ma différence. J'avais oublié mon fardeau.
Calypso, c'était la seule personne au monde dont je ne connaissais pas les pensées. Elle était comme l'antidote au poison qui me rongeait depuis dix-huit années.
Avant qu'elle ne reparte, je pris son numéro, et nous continuâmes de parler une bonne partie de la nuit.
Mais je ne voulais qu'une chose : la voir, et oublier toutes ces pensées qui me hantaient.
Des centaines de messages envoyés, et un nouveau rendez-vous convenu : devant le lycée, près du petit parking à vélo, aux alentours de 22h.
Je ne l'avais pas revue, cela faisait 15 jours.
J'arrivai à l'endroit prévu une fois le soleil couché. Elle était déjà arrivée, toujours adossée au mur de briques, une cigarette sur le bout des lèvres. En la voyant là, simplement, c'était mon esprit entier qui se calmait.
Elle me sourit.
- Bonsoir, le retardataire.
- Bonsoir. Ravi de te revoir également...
- Haha ! Tout le plaisir est pour moi !
Sa joie m'avait manqué. Ce calme m'avait manqué.
Le temps passa à une allure folle, c'est bien connu. Tout va plus vite lorsque l'on est heureux. Lorsque l'on est accompagnés d'une personne que l'on aime.
Minuit passé.
- James, une cigarette ?
- Ah, merci, mais je ne fume pas...
- Oh, aller ! Rien qu'une seule !
- Ah... Comment y résister, de toute façon.
- Bien.
L'odeur forte du tabac se mélangeait à son parfum fleuri. Et mon regard se noyait dans ses iris noires infinies.
- Calypso, je dois t'avouer une petite chose. Es-tu prête ?
- Je le suis toujours.
Et je lui dévoilai mon secret.
Elle l'écouta, sans émotion. Elle qui était si vivante ne bougeait plus, n'éprouvait plus rien.
C'était incompréhensible.
Alors je lui pris les mains, et continuai.
- Tu es la seule qui m'apaise, Calypso. J'ai besoin de toi, avec moi.
Je t'aime.
Elle ne me répondit pas, il y eut un silence prolongé.
Une minute, puis deux, puis trois.
Quand tout à coup, elle me caressa la joue et prit mes lèvres, sur les siennes.
C'était intense, exceptionnel.
Le silence se brisa puis elle me dit en se levant :
- Je ne peux pas, je ne peux plus.
Elle s'en alla.
Elle est partie, en me laissant sa paix. Depuis ce soir-là, je parviens à faire le vide dans mes pensées, seulement quand elle y est.