Mes parents.

Moi, je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre. Un être différent des autres êtres vivant sur cette Terre. Un être ayant un certain pouvoir exceptionnel. Ma survie après la naissance lui a convaincu que je suis vraiment exceptionnel.
En vérité, la vie que nous menons sur Terre n'est qu'une succession coordonnée et ordonnée. Rien n'est pour rien. Chaque chose qui se produit dans notre vie a une cause et un effet.
Depuis mon enfance, je n'ai jamais eu d'échec. Jamais d'échec. Pas à l'école ou même dans la vie courante. Dans mon cursus, j'étais toujours le premier. Jamais le deuxième. Mes condisciples m'appelaient ‘‘snipeur'' parce que mes réponses tapaient sur ce que voulaient les enseignants. Hmm ! La seule chose que l'on puisse connoter d'échec est que je suis né dans la famille pauvre. Mais cela n'est pas un échec car ça m'a appris que tous les problèmes ont un début et une fin.
Chez nous, ma mère et moi étions tous les soirs assis sur une natte dans notre chambrette, en forme d'une demi-sphère construite avec de la terre et couverte avec de la chaume. Avant toute discussion, elle me demandait toujours ‘‘qu'est-ce que vous avez appris à l'école ?''. Je lui racontais tout... cela était une sorte de révision, un cours du soir. Elle écoutait attentivement sans poser de questions ; peut-être qu'elle ne comprenait même pas, sûrement qu'elle avait zéro classe, pas même la 1ère année.
Après le cours du soir, ma mère se levait et s'agenouillait devant moi, qui restais toujours assis. Elle posait ses mains sur ma tête et regardait au ciel en disant à voix basse : ‘‘Seigneur, je te remercie pour ta providence. Je te remercie de m'avoir donné ce fils ; je lui mets dans tes mains. Je te supplie, Seigneur, de lui faire avancer afin qu'il puisse être quelqu'un de puissant... Amen.'' Après la prière, elle préparait le repas ; soit du manioc, soit des colocases, soit des patates douces qu'elle mélangeait avec des haricots et légumes comme les feuilles des haricots ou les feuilles de manioc sans oublier l'huile de palme et du sel iodé.
En attendant le repas, elle me donnait des conseils. Elle me disait souvent : ‘‘Mon fils, reste toujours serein. La vie est faite par des changements, les bons moments succèdent les mauvais et vice-versa. Ne perds jamais de lucidité pour les problèmes qui t'arriveront, ils disparaitront avec le temps.'' Elle ajoutait souvent : ‘‘j'ai appris non pas en classe mais par expérience de la vie. Je te demande de ne pas insister pas à ce sujet.''
Après la fin de l'école de base, les 9 classes... 1ère - 9ème année, j'ai fait un concours d'admission à l'enseignement secondaire. J'ai eu maximum, 100%. Bonjour les dégâts... Au soir de la proclamation des résultats du concours, ma mère était un peu malade mais n'avait pas d'argent pour se faire soigner. J'ai préparé le repas, nous avons mangé... sans moral.
Vers 1h du matin, un bruit m'a réveillé. C'était des gens qui dansaient et chantaient tout autour de notre maison. Ils étaient des milliers... Ils dansaient quitte à provoquer un tremblement de terre. On pouvait entendre dans leur chanson : ‘‘...votre fils est intelligent. Alors utilise son génie pour sortir sain et sauf de cette maison...'' Et bien d'autres choses.
Suite à la peur, j'ai demandé, à voix basse, à ma mère qui dormait près de moi.
- C'est-quoi ma-man ?
A seize ans, avec ma taille naine, je dormais encore sur le même lit que ma mère. Je n'avais jamais vécu ensemble avec une autre personne que ma mère, depuis ma naissance.
- Calme-toi, ça va finir.
Après cette réponse, J'ai vu un feu, en forme de la langue, sortir de la terre, près de la porte. Il s'agrandissait... Plus il s'intensifiait, plus je serrais ma mère. Ma mère s'est agenouillée. Elle a regardé au ciel, levé les mains vers le haut et a dit à haute voix : ‘‘Seigneur, tu as donné le pouvoir de faire des miracles à toute personne qui croit en toi. Tu nous as promis que personne ne nous vaincra si tu es à notre côté. Je te supplie, Seigneur, d'éteindre ce feu afin que ta puissance soit remarquée... Au nom de Jésus Christ. Amen !!''. A 5cm entre nous et la flamme. Ouf ! Après le mot Amen, le feu s'est éteint et les danses-chansons ont été stoppées.
- C'est quoi Maman?
- C'est ceux qui veulent que tu arrêtes tes études ?
- Mais... qui t'a dit ça maman ?
- Mon fils, tous les enfants intelligents de cette colline ont été tués par des sorciers...
- Quoi ? Je les déteste. Je ne veux plus vivre ici. Je m'en irai demain matin. Loin ! Très loin...
- Tu ne me laisseras pas seul.
Tôt tôt le matin, nous avons pris direction Ouest. Mais pourquoi cette direction ? Seul le Bon Dieu qui venait de nous sauver nous a orientés. Nous avons passé toute-journée-marche-à-pied-ventre-vide.
Vers 19 heures, nous sommes arrivés dans un endroit bien éclairé, avec une circulation des voitures. Je n'avais jamais vu un endroit pareil... Affamés et fatigués, nous nous sommes assis à terre, près de la route, à côté d'une vieille pancarte sur laquelle était écrit Ville de Gitega... Nous ne voyions pas ce qui allait suivre.
Après moins de 10 minutes, une voiture noire de marque BMW a garé. Une maman est sortie et nous a demandé pourquoi nous étions là. Ma mère s'est mise à pleurer. La dame-là m'a rapproché et m'a demandé à voix basse ce qui s'était passé. Je lui ai raconté tout, depuis 1heure. Elle m'a demandé mon papa... il est disparu... La note obtenue au concours... 100%. Elle a commencé à consoler ma mère.
- Moi aussi je suis veuve. Ne t'inquiète pas. Ton fils est intelligent et c'est un atout ; j'ai les jumeaux qui viennent de réussir au concours ; ils ne comprennent bien les cours que quand ils sont enseignés par leur condisciple. Ton fils leur donnera un cours du soir ; je vous donnerai tout ce que vous aurez besoin.
...dans sa voiture jusque chez elle. Dans un salon blanc et brillant, en bas, en haut et sur les quatre murs. Malgré cette belle maison, ma mère continuait à pleurer. Des larmes coulaient.
- Pourquoi pleurez-vous madame ? Lui a demandé la dame-là.
- Après 5 mois de mariage, la survie est devenue difficile. Moi et mon mari mangions à peine une fois par jour. Le soir, pas plus. J'ai attrapé la malaria. L'infirmier m'a donné 21 comprimés de quinine. Un matin, alors que j'étais tellement faible, mon mari est venu près du lit où j'étais allongée et m'a dit : ‘‘ma femme, je t'ai trop aimée et suite à la peur de te perdre je t'ai menti. Tu l'as récemment remarqué. Je vendais les propriétés que j'avais héritées pour satisfaire à tes attentes. Pour te montrer que je suis riche. Je t'achetais tout ce que tu voulais... Maintenant les propriétés sont terminées. Je serais bientôt incapable de nourrir nos deux bouches.

J'ai commencé à me demander pourquoi le ton de ma mère diminuait au fur du temps... Fatigue ? Faim ou aggravation de sa maladie ?
- Avec cette grossesse de 5 mois, nous serons bientôt 3. Mon cœur m'accuse de m'avoir fait semblant d'être riche. Je réglette d'avoir gaspillé tout mon héritage. C'est pourquoi je vais disparaitre. Seulement, je te souhaite que cet enfant soit une source de bénédictions pour toi... Adieu'' Il est parti. Vers le soir, je suis sortie de la maison et je lui ai vu dormi sous le manguier. Je lui ai approché ; des machins visqueux blancs étaient sortis de sa bouche. Il était déjà mort. Vraiment mort. C'est là que je me suis rappelé que j'avais manqué dix comprimés de quinine. Un mois après son suicide : stress, malnutrition,... J'ai mis au monde ce garçon, ce Moïse. Mais d'une façon miraculeuse, il a survé...
La voix de ma mère s'est assourdie. Elle a dormi sur les coussins. C'était la fin de sa vie... Suite à la fatigue, la faim ou la maladie non traitée? Peut-être les trois. Mais ses conseils sur la succession des bons et mauvais moments m'ont permis de ne jamais perdre d'espoir. C'est ainsi que j'ai continué mes études avec courage... je viens de terminer le cycle secondaire avec une bourse d'étude à l'étranger à l'appui.