Le souffle court, je courais pieds nus sur l'herbe humide et glacée tandis que le soleil se levait. Je n'avais aucune idée de l'heure qu'il était, tout ce que je savais, c'est que je n'étais plus dans mon lit mais au plus profond de la forêt. Comment étais-je arrivée jusque-là ? Moi-même je l'ignorais, mais vous le saurez bien assez tôt...
Enfin rentrée à la maison, je m'allongeai sur mon lit fixant le plafond, le regard vide, les pensées se mêlant les unes aux autres. C'était la quatrième fois de la semaine que je me réveillais hors de chez moi. Pourquoi au petit matin, n'avais-je jamais aucun souvenir de mes rêves ? Pourquoi ne me réveillais-je jamais dans mon lit ? Pourquoi la date du 6 juillet résonnait en boucle dans ma tête ?
Quand le soir vint, je décidai de sortir dans la forêt à la recherche d'explications, ou peut-être était-ce simplement la peur de m'endormir... La brise était fraîche mais le temps restait doux tandis que mes pieds m'emmenaient quelque part... Sur le chemin, je croisai un homme très grand, à la barbe de bûcheron.
- Jolie lune ce soir n'est-ce pas ?
Je lui fis un bref sourire qu'il ne discerna probablement pas dans l'obscurité, je regardai la lune rousse, lorsqu' il dit :
- N'avez-vous pas peur de perdre votre chemin ?
- J'ai l'habitude.
- Très bien, mais alors, suivez les balises, elles brillent quelque peu dans le noir, elles vous aideront à retrouver votre chemin si vous veniez à vous en éloigner.
‘Suivez' ce mot retentissait dans ma tête, ‘suivez', oui je suivais quelque chose... or je ne suivais pas les balises... je suivais... des lumières !
Me voyant perdue dans mes réflexions, l'homme me demanda si tout allait bien.
- Oui parfaitement bien. Merci, bonne soirée, dis-je en m'éloignant.
Pendant un moment, j'aurais parié qu'il était resté planté là à me regarder partir.
Quelques minutes plus tard, sans prévenir, et sans aucune douleur, je m'écroulai au sol les yeux clos. Des lumières se dressèrent devant moi, me soulevant dans le ciel alors que je restais inerte. Elles m'emmenèrent devant un immense saule pleureur. A mon réveil, il faisait encore nuit. Des sueurs froides coulaient le long de mon dos, et je vis gravée, sur une des racines de l'arbre, la date du 6 juillet.
- Quelle est cette date ? me demandai-je à haute voix.
A ma grande surprise quelqu'un me répondit.
- C'est le jour où tu es devenue si connue.
L'inconnu à la barbe de bucheron, se tenait à quelques mètres de moi et soutenait mon regard.
- Pardon ?
- Mia Masson, l'illustre héroïne de notre temps.
- Que dites-vous ? Héroïne, moi ?
Son regard laissait paraître de la pitié ce qui me vexa. Je me levai pour rentrer chez moi car cette situation devenait de plus en plus étrange.
- Attends, Mia.
N'arrivant pas à retenir mon attention il finit par dire :
- C'est fini !
- Qu'est-ce qui est fini ?
Il me fixa longuement. Son regard avait changé, maintenant il avait quelque chose de bienveillant et de compatissant.
- Laisse-moi t'expliquer, avant que tu ne partes définitivement.
Il s'assit près de l'arbre, et m'indiqua d'un geste de la main de faire de même. Je m'exécutai, sans vraiment comprendre pourquoi.
- Il y avait autrefois un sorcier, nommé Breht, infâme, sournois, et malveillant qui avait trouvé le moyen de supprimer la nuit. Elle était pour lui, source de douleur et de mauvais souvenirs. Il voulait qu'il fasse jour pour l'éternité. Mais bien sûr au fil du temps, la chaleur devenait accablante. Beaucoup calfeutraient leurs fenêtres mais la lumière se faisait de plus en plus intense chaque jour, provoquant la mort d'un grand nombre d'êtres vivants.
Un jour, une jeune femme rendit visite au vieil homme et lui proposa un marché. S'il rétablissait la nuit, elle lui donnerait une étoile.
- Une étoile ? Mais qu'allait-il en faire ?
- Eh bien vois-tu, aussi étrange que cela puisse paraître, la jeune femme, au tempérament rêveuse, s'était liée d'amitié avec une étoile qui lui avait une nuit confié un secret : l'énergie des étoiles permettait de ramener à la vie un être cher. L'héroïne savait que l'homme avait perdu son enfant. Qu'y a-t-il de pire au monde que de perdre son propre enfant ? C'est ce qui avait d'ailleurs rendu Breht complètement fou. Il accepta le marché et ramena la nuit. Mais une vie, valant une vie, la jeune femme dut se sacrifier afin de laisser l'enfant revenir auprès de son père. L'étoile, pleura son amie, et les larmes qu'elle versa sur son corps se transformèrent en un majestueux saule pleureur. Cela devint en quelque sorte sa tombe. Or, l'enfant du sorcier qui avait rejoint les étoiles vingt-ans auparavant, y resta. L'univers l'avait probablement décidé ainsi, pour punir le vieil homme de toutes les atrocités commises au monde... Fou de rage, Breht maudit la jeune femme sacrifiée, obligeant son esprit à errer à chaque cycle de lune rousse, désorientée, et sans aucun souvenir, elle se rendrait devant cette arbre lié à elle pour toujours. Cette malédiction durerait dix ans.
Je le regardais bouche bée.
- Mia, c'est arrivé le 6 juillet. C'est toi, tu t'es sacrifiée pour l'humanité, tu es la jeune femme, l'héroïne qui a marqué les mémoires de tous pour toujours.
- Mais, non c'est... impossible...
Mon cœur était si lourd, que je posai ma main sur ma poitrine en la serrant, comme pour me soulager.
- Et combien de temps cela fait-il que je reviens encore et encore ? sanglotai-je.
Tandis que la lune rouge comme le sang dominait le ciel il répondit :
- Aujourd'hui, ça fait dix ans.
Des larmes perlaient mon visage, des larmes qui n'étaient ni chaudes ni salées, qui n'avaient aucun goût, juste celui de l'amère tristesse.
Il me tendit la main, et je posai ma main dans la sienne pour le suivre. En rejoignant les étoiles, la phrase de mon histoire favorite résonnait dans ma tête : "Pour les uns, qui voyagent, les étoiles sont des guides".