Ma maison fleurie

Moi je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre. Elle me demande souvent comment je vais mais je ne sais jamais quoi lui répondre. Si je lui dis que je suis triste, cela pourrait la rendre triste et si je disais que je suis heureux, cela serait mentir. Alors, je ne préfère pas lui répondre. J'ai toujours été seul, j'ai appris à me complaire dans cette solitude, à grandir en apprenant les choses de la vie par moi-même. Des fois je vois mes frères et sœurs, mais ils n'ont pas beaucoup de temps à m'accorder. Ils sont grands, la différence d'âge entre eux et moi les excuse je suppose, à quoi bon venir jouer avec un petit garçon comme moi. Je ne demande pourtant pas grand-chose, sentir les odeurs apaisantes de quelques fleurs ou regarder le vol majestueux de quelques hérons ensemble.

Parfois quand je m'ennuie, je m'assoie sous l'arbre dans l'allée de là où j'habite et je regarde le ciel. Lorsque je fais ça pendant la nuit, j'aime à imaginer voir passer une soucoupe volante. Cela aurait le mérite de chambouler ma routine, de me prouver qu'il y a quelque chose de magique dans ce monde car jusqu'à présent j'ai dû passer à côté. Des extra-terrestres, des entités ne venant pas de la terre, je me demande bien pourquoi maman m'appelle souvent son petit extra-terrestre. Elle ne cesse de me répéter qu'elle aimerait me rejoindre sur ma planète afin de me comprendre enfin. Elle, aussi, parfois regarde le ciel. Peut-être cherche-t-elle un extra-terrestre.

Parfois elle me parle de gaffes qu'elle a faites pendant sa journée au travail comme envoyer par erreur un mail avec une photo mignonne d'un petit chaton à son patron au lieu de son amie et pour laquelle elle s'est faite réprimandée et nous rigolons ensemble. J'adore ces moments, le rire de maman me remplit d'un je ne sais quoi, peut-être un peu d'humanité. C'est les seuls réels moments où je perçois une touche de bonheur en elle, il faut dire que depuis toujours je ne l'ai jamais vraiment vu heureuse.

Je ne comprends pas toujours pourquoi mais maman pleure souvent lorsqu'elle s'éloigne de ma maison. J'aimerais qu'elle m'explique ce que j'ai pu faire pour la mettre dans cet état. Elle voit peut-être en moi l'image de mon père à qui je dois sûrement ressembler, je suppose. Je ne l'ai jamais connu. Selon maman, il est parti lorsqu'elle a accouché de moi. Peut-être que j'étais l'enfant de trop, ou alors qu'il avait rencontré une autre maman. En tout cas, je ne voudrais jamais le rencontrer, c'est lui qui a rendu maman triste. Elle n'est plus la même depuis ma naissance, enfin c'est ce que mes frères et sœurs me disent.

Je n'ai pas d'amis, sûrement à cause du fait que je n'ai jamais été à l'école, maman me préférant près d'elle. Je suis donc tout le temps chez moi, enfermé entre ces 4 murs qui m'ont vu évoluer. Vous pouvez donc aisément comprendre que personnellement la pandémie du coronavirus n'a rien changé à mon quotidien. Ah si que dis-je, une chose a changé, je ne vois plus du tout mes grands-parents. Je ne sais pas pourquoi, ils doivent avoir autre chose à faire. Ou alors ils ne viennent plus car eux aussi doivent rester dans leur maison.

Parfois je me sens comme un panda dans un zoo, enfermé. Regarder des tas d'inconnus défilés devant chez moi à la recherche de la maison d'une personne qu'ils aiment plus que tout. Cela m'amuse, je m'assoie souvent sur mon toit pour contempler les différents types de personnes qui existent. Certains ont des visages rigolos, certains ont une moustache finissant en pointe comme un croissant de lune qui leur chatouille le nez. D'autres viennent vêtus entièrement de noir, sûrement des gothiques. Moi, je préfère la couleur surtout le bleu que je trouve apaisant. Maman le sait, elle m'apporte souvent des myosotis. Ces fleurs embellissent ma maison que je trouve déjà très jolie. En plus, mon nom y est inscrit, ce que je trouve cool. Il y aussi 2 fois la même date, je ne sais pas trop pourquoi. Mais surtout il y a une photo de moi pour que l'on comprenne bien que c'est ma maison et que les visiteurs des autres maisons ne se trompent pas. Maman embrasse souvent ma photo avant de partir. J'aimerais qu'elle m'embrasse moi plutôt mais le contact physique ne doit pas lui plaire.

Parfois, lorsque je marche dans l'allée afin de rejoindre mon arbre, je vois quelques personnes entrain de creuser la terre. A mon avis, ils construisent une nouvelle maison. Quelqu'un n'a sûrement eu d'autres choix que de venir habiter par ici. Une mutation imposée par son patron a dû être à l'origine de ce déménagement car personne ne choisirait volontairement de venir habiter par ici, quoique.

Parfois, maman ne vient pas me voir pendant 2 jours, ce qui m'inquiète souvent. J'ai peur qu'il lui soit arrivé quelque chose. Mais toujours, au bout de deux jours, je la vois réapparaitre devant chez moi. Aujourd'hui, d'ailleurs, j'ai surpris ma maman parler avec un inconnu dans ma rue. Il lui racontait qu'il avait perdu sa femme dans un accident de voiture, maman compatissait à sa tristesse. À un moment, l'homme s'est arrêté devant une maison sur laquelle il déposât quelques fleurs. Ouf, j'ai presque eu peur qu'il vienne chez moi alors que je ne le connais même pas.

Maman est venu me dire que demain, toute la famille viendra me voir. J'avais oublié que demain était le 1er novembre, le jour de l'année avec le plus d'affluence dans ma rue. Chaque visiteur venant avec des cadeaux, souvent des fleurs, les offrant aux habitants de mon patelin qui restent terrés chez eux car je ne les vois jamais. C'est le meilleur jour de l'année, tout le monde vient me voir, c'est mieux que noël. Lorsque maman partit, je me suis hâté afin de me préparer pour le lendemain, on ne s'y prend jamais trop à l'avance.

Ça y est, on est le Jour J, j'attends maman et les autres avec impatience. J'espère que maman viendra avec des myosotis. Je me suis fait beau, je suis sur mon trente-et-un. J'ai essayé de me peigner les cheveux comme je pouvais mais je ne suis pas doué, j'espère que maman trouvera, tout de même, son petit-extraterrestre à son goût. Je commence à entendre beaucoup de voitures se garer devant mon village, la pression monte. Je vais devoir vous laisser, je commence à apercevoir la silhouette de maman ainsi que de mes frères et sœurs passer le portail du village.

- « Maman ! »