23h11. Une lumière illumina l'obscurité profonde de la nuit. Située, comme à son habitude, à la lisière de la forêt que j'apercevais au loin, elle n'émettait pas le moindre vacillement. Tapie dans la pénombre de ma chambre, dont j'avais pris soin d'éteindre la lampe, je l'observai silencieusement. Voici douze jours que cet étrange phénomène se produisait chaque nuit, à la même heure précise. Ma curiosité avait immédiatement été éveillée, particulièrement puisque cet endroit de la montagne se trouvait presque inhabité, à l'exception de ma petite maison de vacances.
23h14. Dans huit minutes, elle allait disparaître. Un craquement dans mon dos me fit soudain sursauter. Je jetai un coup d'œil à ma vieille armoire en bois. Un soupir de soulagement, calmant les battements affolés de mon cœur, avant de reporter mon regard sur la sombre forêt. Accroupie près de ma fenêtre, j'en agrippai le bord de mes doigts. Des milliers de questions assaillaient ma tête. Lors de mes promenades environnantes, je n'avais jamais croisé un seul être vivant, alors un promeneur de nuit ? Cela me paraissait encore moins probable. Malgré l'idée angoissante de sortir dans la forêt en pleine nuit, un désir ardant d'aller constater ce phénomène de mes propres yeux me consumait depuis plusieurs jours. Je consultai de nouveau ma montre.
23h19. Encore trois minutes. Mon impatience montait. Je tenais absolument à voir si, fidèle à son habitude, la lumière disparaitrait à 23h22.
23h20. Le cœur battant, j'entrepris d'ouvrir lentement ma fenêtre. Le grincement qu'elle produisit me fit grimacer. Je tentai de faire le moins de bruit possible. Je ne souhaitais surtout pas informer la personne - s'il y en avait bien une – de ma présence. L'air froid de la nuit s'infiltra dans ma chambre. Frissonnant, je me penchai par-dessus le bord de ma fenêtre, pour essayer de distinguer plus précisément la lumière. Trop concentrée, j'en oubliai l'heure.
23h23. J'eus l'impression que mon cœur venait de manquer un battement : la lumière était toujours présente ! Premier changement. Je m'immobilisai, et j'attendis.
23h30. Toujours aucun mouvement. Mon inexplicable besoin d'en savoir plus grandissait et s'empara de tout mon être. Plus résolue que jamais, je m'emparai précipitamment de ma veste et dévalai les escaliers. Je saisis une lanterne, et quittai la maison.
L'atmosphère de la nuit m'enveloppa de son calme inquiétant. Scrutant l'unique pré me séparant de la forêt noire, je commençai à me frayer un chemin parmi la végétation, jaillissant de parts et d'autres du terrain. Confiante et déterminée, je faisais face à la lumière qui, alors que j'avançais dans sa direction, semblait me défier. Pourtant, chacun de mes pas me procurait une étrange sensation. Je n'y prêtai pas attention, et continuai de m'acheminer vers la forêt.
Levant la tête, je découvris au-dessus de moi le spectacle d'un sombre univers, parsemé de diamants étincelants. Un ciel étoilé.
Enfin parvenue à une cinquantaine de mètres du phénomène lumineux, je me stoppai dans mon élan. Mon cœur battait à tout rompre, ma lanterne vacillait, et des sueurs froides me parcouraient. Le doute s'immisçait en moi. A présent devant la forêt, seule et plongée dans la nuit noire, accompagnée de mon unique petite lanterne, ces bois ne m'avaient jamais paru aussi menaçants.
Le hululement d'un hibou me fit soudain sursauter. Prise de panique, je me retournai vivement. Aucune trace de l'animal en question. Mais en posant de nouveau mon regard sur la lisière de la forêt, mon sang se glaça. Je me figeai : la mystérieuse lumière s'était volatilisée. Ma curiosité reprit le dessus sur ma peur, et décidée à la retrouver, j'arpentai le reste du pré.
Parvenue à l'orée de la forêt, à mon grand désarroi, ma lanterne s'éteignit. Bien que l'idée ne me réjouissait pas, j'allais devoir me débrouiller sans. La déposant au sol pour ne pas m'encombrer, je pris le risque de m'enfoncer dans les ténèbres de la forêt. Mais à peine avais-je fait un seul pas à travers les imposants sapins que mon effroi revint, et un mauvais pressentiment commença à naître. Un sentiment insupportable. J'avais la désagréable impression que si j'avançais plus loin, je ne pourrai pas revenir en arrière. Mais je ne pouvais m'arrêter là, j'avais besoin de réponses.
Je m'aventurai alors dans les profondeurs de la forêt. Au-dessus de ma tête, une brise traversa les arbres. Le bruissement de leurs branches brisa le silence, jusqu'à présent ambiant. Tandis que mon regard s'habituait peu à peu à l'obscurité de la nuit, je cherchai des yeux toute source de lumière.
Soudain, des brindilles craquèrent dans mon dos. Je m'immobilisai immédiatement de terreur, et n'osai effectuer le moindre mouvement. C'est alors que je perçus un second bruit derrière moi. Des pas. Tressaillant, mes poils se hérissèrent. Me ravisant sur ma décision de demeurer calme et figé, je me retournai. Ce que je découvris me laissa dans l'incompréhension la plus totale. Aucune présence. L'endroit semblait parfaitement normal. Et pourtant, cela ne me rassurait absolument pas. Mon cœur palpitait encore violemment de frayeur.
A ce moment, j'entendis de nouveau des pas fouler le sol. Mais cette fois-ci, tout autour de moi. Je tentai de distinguer ne serait-ce qu'une silhouette à travers l'obscurité de la nuit, mais cela se révéla impossible. Des sueurs froides parcoururent mon corps sans défense. Je me sentais terriblement exposée au danger, comme une proie que son prédateur surveille avant d'attaquer.
Une voix rauque me parvint alors :
« Tu n'aurais pas dû venir ici, misérable humaine. Moi, le gardien de la nuit et de cette forêt, je ne supporte pas que l'on vienne me déranger sur mon territoire sacré. Tu t'es introduite trop loin. Maintenant c'est trop tard... »
Avant même d'avoir pu réagir à ses paroles, une immense créature se dressa devant moi. La dernière chose que je vis sont deux grands yeux éblouissants.