« Moi, je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. »« STAR » est mon nom. Je suis camerounaise, j'ai grandi dans la ville de Yaoundé, Capitale politique du pays. Mon enfance, je l'ai passée dans un bidonville appelé communément Etam-bafia. Je vous laisse imaginer ces quartiers pollués où l'insalubrité et l'insécurité dictent leur loi. Ces quartiers en majorité constitués des personnes évoluant dans le secteur informel, souvent en manque d'éducation faute de moyens financiers. Cette jungle où seul l'instinct de survie nous garde en vie.Je suis la benjamine d'une fratrie de douze enfants. Avec le faible salaire de mon père comme plombier, une maman femme au foyer, mes trois sœurs aînés vivant encore à la maison avec leurs sept enfants, mes frères des vagabonds qui avaient pour distraction : fumer la cigarette et boire du whisky en sachet, imaginez dans quelles conditions nous menions notre vie quotidienne. Se nourrir n'était pas chose aisée, encore moins se vêtir et aller à l'école.Ma sœur aînée Suzanne m'a avouée que notre condition de vie était si misérable au point de contraindre ma mère à essayer de nombreuses méthodes peu recommandables d'interruption de sa dernière grossesse, il y a une vingtaine d'années. Suite à trois tentatives, ma mère a réalisé avec regret au bout de trois mois que je grandissais dans son utérus. Eh oui, déjà fœtus, je m'accrochais à la vie ! Ma mère a alors essayé une ultime tentative, et s'est jetée un matin sur une voiture en mouvement. Elle devait être vraiment désespérée, au point de risquer perdre sa vie. Mais grande était sa déception lorsqu'elle s'est réveillée couchée dans son lit sans aucune égratignure. Six mois plus tard, le premier jour du mois de Septembre, je poussais mon premier cri sur le vieux lit de mes parents. Suzanne, aidée d'une voisine, maman Béa, ancienne sage-femme retraitée, ont assisté à ma venue au monde. Ma mère étant alors superstitieuse, a conclu par ces situations qui ont précédé ma naissance, que j'étais particulière. Mon papa était particulièrement joyeux et se surprenait à rendre grâce à Dieu pour son bébé.Ma naissance était malgré tout assez exceptionnelle pour papa qui m'a appelée Star telle une étoile. Je n'ai malheureusement pas eu le privilège de connaître le lien qui se crée généralement entre une mère et son bébé lors de l'allaitement mais le manque d'affection de maman fut comblé par papa qui se substitua en véritable mère poule.En grandissant, ma mère n'a cessé de rejeter ses frustrations sur moi. Mes aînés avaient hérité du teint chocolat de papa tandis que moi, j'ai pris le magnifique teint caramel de maman. Padoux comme j'appelais affectueusement mon père, me conta qu'au loin, on arrivait à apercevoir la brillance peu ordinaire de mes petits yeux, d'iris noisettes châtaignés ; et plus bas, on remarquait mon nez droit que mes lèvres moyennement pulpeuses et rosées soulignaient à la base. On aurait dit une peinture animée destinée à un grand musée tellement ma prestance rendait captives toutes les attentions.Le charme naturel dont je jouissais ne m'aidait nullement à savourer une affection semblable à celle que maman portait à mes ainés. Il m'est arrivé de me demander si celle que j'appelais maman était bel et bien ma génitrice. Gamine pleine d'innocence que j'étais, quel crime avais-je commis pour mériter tant de rejet de sa part ?Des fois, il m'arrivait de vouloir disparaitre car quelque soit mon dévouement, je ne suscitais que du dégout chez maman. Je m'interrogeais sur mon avenir au lieu de m'amuser comme tous les gosses de mon âge. Il s'agissait maintenant d'une double jungle. Quitter le quartier et bannir de mon esprit cet état de psychose n'étaient plus une simple option. Les années se succédaient ,rien n'avait changé et papa se battait au mieux pour financer mes études.A 16 ans je préparais mon baccalauréat que maman qualifiait de gaspillage de temps et d'argent. Le jour du baccalauréat, j'étais sortie de très bonne heure pour rejoindre mon centre d'examen. Une pluie s'abattit subitement hélas aucun abri pour moi. C'est alors que surgit de nulle part, un pick-up blanc conduit par un monsieur dont l'épouse à la cabine, m'invita à monter et proposa de me déposer à mon école qui se trouvait sur leur chemin. Face à une telle amabilité, je ne pus refuser. Ce n'est qu'une fois installée, que je remarquai la présence de leur fils Arthur MOUNE âgé de 21 ans, il était inscrit dans la prestigieuse Ecole Nationale de Magistrature. Dès le premier regard, j'avoue que j'ai été séduite. Grand noir, au physique athlétique, il était particulièrement attirant! Durant le trajet, sentant mon inquiétude, il m'a rassurée que je réussirais à mon examen avec brio. Il m'a donné son stylo tout en murmurant : « Fais-en bon usage, c'est mon porte-bonheur ! ». Je l'ai pris volontiers avec un grand sourire. Le temps de la séparation était arrivé et il n'avait que demandé mon nom. C'est avec un pincement au cœur que je descendis. J'avais terminé mon examen et mes pensées me ramenaient vers cette rencontre inattendue. Dans un grand soupir, je sortis mon stylo pour le contempler quand soudain, j'aperçu une adresse collée sur l'étui. Sans réfléchir, j'appelai le numéro. Il m'a invité dans un restaurant huppé de la ville ; c'était le début d'une belle histoire. J'ai obtenu mon BAC, Arthur a reparlé de moi à ses parents qui m'apprécient grâce à leur carnet d'adresse assez fourni, j'ai intégré une prestigieuse école de médecine du pays.Actuellement, j'ai 23 ans et mon "King" 28 ans. Nommé procureur, il envisage me doter et m'épouser dans les mois à venir. Mes aînés étaient plutôt heureux, voyant là une opportunité de se faire une place au soleil. Aujourd'hui, c'est l'un des plus beaux jours de ma vie. La famille d'Arthur vient rencontrer la mienne pour la célébration de notre mariage coutumier. Mes sœurs m'aident à mettre mes belles parures quand maman fait son entrée dans la chambre. Elle demande à mes sœurs de nous laisser seules, en précisant qu'elle va achever ma préparation. Je croyais rêver ! Pour la première fois de ma vie, ma mère se proposait de prendre soin de moi. J'ai rêvé de cela toute ma vie et je n'ai pu retenir mes larmes. Elle m'a prise dans ses bras et en posant sur moi un regard à la fois tendre et bienveillant, elle me dit : « STAR, tu fais ma fierté ». Je n'en revenais pas ! Je pleurais plus encore ! Ma mère essuyant mes larmes, éclatait en sanglots aussi. Elle me dit qu'elle m'aime, qu'elle a remarqué ma beauté particulière dès ma naissance et que je lui ressemblait beaucoup. Pour elle, sa froideur était une façon de m'emmener à ne pas tout miser sur mon physique et à traverser les barrières pour décrocher ma réussite. Elle m'a toujours protégée en secret. Nous étions tellement émues. Maman s'expliquait pour la première fois, et me dit que son intuition lui disait que j'étais différente et appelée à un grand destin, son souhait était de me voir réussir où tous avaient échoué.Deux heures plus tard, nous célébrions notre mariage coutumier avec mon tendre fiancé. C'est dans une ambiance riche en émotions et une explosion de joie que tout se déroulait. Vêtus de nos magnifiques tenues traditionnelles colorées (Le sandja pour les hommes et le Kaba Ngondo pour les femmes), nous avons dansé les rythmes folkloriques de chez nous et d'ailleurs. Je me suis dit intérieurement que je n'avais rien pour être appelée à un pareil destin et dire que depuis le ventre de ma mère, l'Être Suprême , « Dieu », avait déjà tout planifié. Au moment du départ avec ma belle-famille, maman m'a prise dans ses bras et éclatant en sanglots, elle me dit : « Heureux mariage ma STAR, vas et illumines ton foyer, Madame MOUNE ». Avant de me laisser partir, elle me souffle à l'oreille : « je t'aime fort ma fille ». Et moi, je réplique : « je t'aime fort maman ».