Lueur d’un petit espoir

Ce n’est qu’une fierté et une satisfaction d’embrasser un autre domaine si intéressant que l'art de l'écriture.

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« Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. » Pour moi, même dans le comble de l'incertitude, elle a su garder une place chaque jour de sa vie. Pour ma mère je suis unique, unique pas parce que je suis sa seule fille, mais parce que, ce que je lui ai fait vivre était extraordinaire.

Je vole votre esprit et le plonge dans mon petit village ‘'Saghi''. Perché sur une colline, mon village est aussi enveloppé par une épaisse verdure à l'ouest de Labé, dans le ‘'Foutah Djallon''. Pendant cette période des années 1990, l'on n'était pas si affecté par le phénomène de dérèglement climatique. Il faisait bon vivre avec le marigot qui se situe à 5 kilomètres de marche. Saghi offrait toujours la chance de savourer gratuitement un vent si doux, si pur. Dans ce petit bourg enrobé de gros arbres, les feuillages touffus des ‘'couratiers, des akassias et des tibis'', se frottent et font retentir un bruit berçant.

Ouma, c'est ce nom qui a été attribué à ma mère depuis son village natal ‘'Tangué''. Femme au foyer et étudiante dans une École Nationale d'Instituteur, ma mère deviendra plus tard institutrice. Mes regards rivés sur elle, je rends hommage à une femme qui pour moi, est un vase dans lequel je puise l'essentiel de mes forces pour vaincre les incertitudes du lendemain. Bref, elle est mon vent d'espoir de tout temps. À toutes les dames, il est urgent de songer à exploiter ses riches potentialités qui somnolent en soi pour se lever en guerrière et s'asseoir en battante.

Je ne détourne pas votre esprit, je vous parle toujours de Ouma, ma mère. À son époque, le seul moyen de transport était les deux pieds pour plus de 7 kilomètres. Mais un propriétaire de ‘'Yamaha Simpson'' pouvait débarquer in extremis et vous déposez. Ma Ouma avait redoublé d'endurance pour faire un pont entre foyer et travail après avoir achevé les études. Deux mondes à géométrie variable pour les femmes de chez nous. Foyer synonyme de progéniture, Ouma, elle, n'a pas connu une conception rapide. En plus, un médecin l'avait prévenu qu'elle n'aura pas plus de quatre enfants. Son rêve d'avoir de la progéniture était immense. Par-dessus tout, un grand désir habitait son âme et ses entrailles : celui de donner naissance à une fille. Une beauté qui va vite grandir et atténuer sa souffrance de corvée, partager aussi ses histoires et ses succès. Naturellement comme chez la majeure partie des femmes, c'est un rêve d'enfance qu'elle souhaite voir se réaliser.

Après une éternité d'attente, de prières et d'espoir vint un jour béni où elle donna naissance. S'agit-il d'une fille ou d'un garçon ? Néanmoins, un ouf de soulagement pour avoir pu surmonter les sombres douleurs de l'enfantement. On pouvait tout de même lire le sourire au bout des lèvres de Ouma bien qu'il soit un garçon.

 Au fil du temps, vint un deuxième enfant, mais hélas, encore un garçon. Cette fille cachée dans le secret de la providence ne venait pas. Elle ne venait pas du tout. Une raison de plus pour Ouma d'inculquer aux garçons tout ce qu'elle aurait pu apprendre à la fille qu'elle n'a pas eu. Elle avait fini par apprécier ce que devenaient ces jeunes garçons.

Toujours aux aguets de ses désirs, l'espoir de Ouma d'avoir une fille finie par atteindre son seuil quand vient un troisième garçon. À partir de cet instant précis, le désespoir gagnait sévèrement son cœur. Pour une quatrième fois, y a-t-il lieu d'espérer encore ? Désormais, elle était divisée entre deux esprits : soit un miracle se produirait, ou alors l'histoire allait tout simplement se répéter.

Après 9 mois de lutte acharnée entre nausée, vomissement, manque d'appétit, et surtout d'évanouissement qu'elle subissait jusqu'à 6 reprises dans la semaine, arrive le fameux matin où très tôt commence le travail. Elle arrive à la maternité après trois heures de temps de route. À l'image d'une concession ordinaire à la clôture en grillage, les chants d'oiseaux percent les branches des eucalyptus et retentissent dans la cour de cet endroit de naissance. Les femmes venues pour la même raison sont nombreuses, pas de place pour une prise en charge rapide de Ouma. Sur un banc, installé en bas d'une fenêtre à la véranda, elle se servait des barres de fer comme support et se tordait de douleur. Une souffrance si intense qu'elle en perdait la voix. Des heures s'accumulaient. Et les douleurs de contraction s'intensifiaient mais enfin arriva son sauveur.

_ Suivez-moi madame...

 Une voix qu'elle identifia malgré la douleur, c'était celle d'une sage-femme, une amie au meilleur endroit et au bon moment. Elle l'aida à accéder à la salle d'accouchement avec des paroles de soutien.

_Tu es encore venue nous offrir un mari comme d'habitude ? interrogea la sage-femme

_N'est-ce pas vous les avez toujours préférées ces maris ? répondit Ouma avec une voix affaiblie.

_ Bien sûr, mais nous voulons désormais une fille pour nous aider à faire la corvée, les garçons doivent se reposer.

_ D'accord ! fut Ouma avec un grand soupir.

Après plus d'une heure de travail, le bébé naît enfin mais fatigué. Il avait du mal à pleurer. Ouma s'évanouit, les inquiétudes s'accumulèrent. Silence de cimetière dans la salle. Pendant ce temps à côté, raisonnaient les cris de pleurs de la famille d'une femme qui venait de perdre la vie en donnant naissance au même moment que Ouma. Néanmoins, ce n'était point un scoop chez moi qu'une femme meure en donnant la vie. Vous pourrez l'entendre au moins deux à trois fois dans le mois.

Les sages-femmes avaient déjà évacué le bébé de la salle d'accouchement quand Ouma se réveilla de son coma. La question de savoir si c'était une fille ou un garçon ne se posait plus. Pour l'instant, les premiers cris semblent plus précieux. Ouma abattu par la souffrance se repose sur un petit lit d'une place au fond de la salle. Soudain, une voix perce ses tympans.

_Il a pleuré en fin... Oui il a pleuré, crie la sage-femme en pénétrant dans la salle avec le nouveau-né.

_Il a survécu ? S'interroge Ouma en remerciant le ciel.

Émue, la sage-femme ne tarda pas d'annoncer la nouvelle.

_ Cette fois, Dieu t'a gratifié d'une fille. Tu as donné naissance à une fille.

_ Ne tentez pas de me moraliser, glisse sagement Ouma qui attendait de voir par elle-même pour y croire.

Le bébé dans ses bras, elle n'a pas perdu une minute pour assouvir ses doutes. C'était bien une fille.

Dans ses bras et pour la première fois, elle tenait la fille qu'elle rêvait d'avoir. Le rêve de ses nuits sans sommeil s'était enfin réalisé.

Cette fille-là, qui ne peut être que moi est l'âme pure de sa mère. Mais, ne laissant jamais l'esprit tranquille, à bas âge je commence à tomber régulièrement malade, parfois des cas graves qui laissaient Ouma s'interroger quant à ma survie. Mais comme on dit chez nous telle mère, telle fille. Je suis restée forte et contre toute attente défiant les affres de la maladie. 

Dans l'après-midi d'un samedi, subitement rentrée de l'école, surexcitée dans ma jupe ‘'lambada'' de couleur bleue au haut teinté de blanc, je me lançai un défi.

Nous sommes pendant la saison pluvieuse, le soleil apparaissait à peine, les rayons étaient interceptés par les feuillages des arbres et les troncs recouverts d'algues vertes très glissantes. J'arrive tout de même à grimper l'arbre et à sauter d'une branche à une autre. En pleine détente, surprise... Je reçus le clin d'œil d'un serpent qui faisait 3 fois ma taille. Le reptile finit par me mordre. Dans la peur et la douleur qui suivirent, tout de suite j'optai pour une chute libre. Conséquences, un bras et deux jambes fracturés, un choc crânien qui m'a plongé durant trois jours dans un coma profond. Sans oublier la morsure que tout le monde ignorait.

À Saghi, c'est en ces moments d'incertitudes de survie qu'une bouche indiscrète vint souffler à l'oreille de Ouma, ces paroles étranges : vous savez quoi ? Qu'elle n'a jamais donné naissance à une fille. Son bébé était un garçon et n'avait pas survécu. La fille avait perdu sa maman et a été donnée à Ouma.